Thèmes: Sciences, Géologie Conférence du mardi 19 janvier 1988
Michel Cassé, astrophysicien à l’Institut de Recherche fondamentale du C.E.A., spécialiste de l’évolution stellaire, de l’astrophysique nucléaire et des rayons cosmiques, est venu nous parler avec une argumentation solide et des envolées poétiques, des premiers instants de l’Univers.
Au début était la répétition, partout dans le ciel des étoiles, sur la terre des Hommes parce que l’Etoile est l’objet le mieux adapté à l’Univers.
Elle est ronde car elle n’a pas à effectuer le moindre mouvement pour se nourrir. Elle brille car elle brûle. Si elle brûle, c’est qu’elle périt. Donc les étoiles sont mortelles. Si les étoiles sont mortelles, à quoi référer la mort puisque la mort se référait à l’éternité du ciel. Les étoiles ne sont pas éternelles et la société des galaxies appelée l’Univers ne perdurera pas. En d’autres termes nous sommes dans le devenir.
L’âge estimé de l’Univers est de 15 milliards d’années. Comment fait-on pour donner un âge à la terre, aux étoiles et à la société des étoiles que l’on peut appeler Univers ?
S’agissant de la terre on utilise une horloge radioactive : l’uranium.
L’uranium naturel est composé de 2 éléments dont l’un a une très longue durée de vie. En observant en laboratoire la désintégration de l’uranium, on peut se convaincre que sur la moitié de 1000 atomes d’uranium, il en restera 500 au bout de 10 milliards d’années. Cet uranium se transforme en plomb. Le fait de mesurer dans la terre, la teneur en plomb et en uranium aide les scientifiques à déterminer l’âge de la terre qui est de 4,5 milliards d’années.
La matière qui nous compose s’est figée en eau.
Notre matière est née du même nuage que le soleil. La substance du soleil et la substance de l’homme sont identiques. Les formes sont différentes. Le soleil est une étoile durable dont la sagesse a permis qu’une évolution biologique puisse se développer dans son environnement gravitationnel.
Les astrophysiciens reconstruisent les étoiles en se basant sur la physique. L’étoile opaque devient transparente car la matière de la théorie est transparente à l’esprit. Les seules personnes à pouvoir parler du cœur véridique de l’étoile sont celles qui, devenant scaphandriers célestes, ont plongé dans l’étoile par la pensée.
Tout ceci n’est possible que par |’usage des lois. Ce sont des lois de notre esprit.
Les lois sont des phrases qui résument nos connaissances.
Ces lois ont accrédité l’idée que l’univers devient intelligible à partir du moment où l’on se dote d’une méthodologie qui consiste à appliquer la physique du ciel entier. Alors naît l’astrophysique et la science du ciel.
Après les étoiles viennent les sociétés d’étoiles que l’on appelle les galaxies et ensuite vient l’univers qui n’a pas de bord. C’est un ordre à retrouver.
On est loin de nos préoccupations cartésiennes de maîtrise et possession de la nature. Comment les astronomes savent-ils de quoi les étoiles sont faites ? Ils ont appris à décrypter le langage de la lumière.
Les astronomes ont transgressé un interdit qui est celui de voir ce que personne n’a jamais vu. Nos yeux sont satellisés. Alors notre univers s’ouvre au regard de la douceur ou de la violence.
L’œil, notre détecteur est particularisé. Il n’est sensible qu’à une certaine forme de lumière notamment à celle du soleil et des étoiles et leur « obscure clarté » car le soleil n’est qu’une étoile parmi des milliards d’autres.
Vouloir faire apparaître des objets qui ne sont pas de la nature du soleil, signifie changer le regard.
A chaque œil son objet et à chaque objet son œil. La lune a la lunette. Le noir n’est pas l’absence. Ce n’est pas parce que l’on ne voit rien qu’il n’y a rien.
La grande révolution astronomique de cette époque c’est que l’astrophysicien décalque l’invisible et fait apparaître un ciel nouveau.
La lumière est un messager consciencieux qui transporte de l’information d’un point à l’autre de l’univers.
Les astronomes ont appris le langage de la lumière.
Dans le ciel, le bleu signifie chaud, le rouge froid, le jaune l’intermédiaire.
Donc la couleur indique la température de surface d’une étoile.
Existe-t-il des étoiles invisibles ? Oui.
Les satellites sont nos yeux cosmiques et voient apparaître un spectacle étrange qui n’a plus rien à voir avec la lumière caressante à l’œil que dispensent les étoiles piquées sur la voute céleste. À chaque objet et phénomène peut être associé un regard, un détecteur infra-rouge par exemple. L’infra-rouge est une lumière qui traverse les nuages.
Les nuages sont faits de noyaux d’atomes et d’électrons séparés car la température y est telle que les noyaux d’atomes se libèrent.
Les étoiles sont des réacteurs nucléaires à confinement gravitationnel. La chaleur vitale des étoiles est produite par des réactions nucléaires et la gravitation est telle que la matière chaude ne s’échappe pas.
Les étoiles sont des objets si massifs que, malgré la chaleur qui y règne, ils sont retenus par l’attrait de la matière pour la matière que l’on nomme gravitation. Chaque point de l’étoile est repoussé par la pression thermique et retenu par la gravitation ce qui explique que l’étoile est sphérique.
Les étoiles ne sont pas transparentes sauf au raisonnement et à une sorte d’ange qui s’envole de leur cœur le neutrino. C’est un être « indifférent ». Chaque centimètre carré de notre peau est traversé par 60 milliards de neutrinos par seconde.
Le soleil est une source de neutrinos. Chaque fois qu’un neutron se ‘transforme en proton ou inversement, ce qui se produit nécessairement au cours des réactions nucléaires, alors un neutrino est émis. Le soleil étant un réacteur thermonucléaire est une source de neutrinos.
Le soleil est une étoile tout à fait banale.
Le cœur du soleil est le lieu où la matière se dématérialise car elle se transforme en lumière. Quatre noyaux d’hydrogène se ‘transforment en hélium, ceci en milliards et milliards d’exemplaires par seconde. Mais les 4 noyaux d’hydrogène pèsent plus lourd que le noyau d’hélium.
Où est passée la différence : elle a été rayonnée. C’est pour cela que le soleil brille.
La lumière émise par le cœur de l’étoile met 1 million d’années pour filtrer car le soleil est opaque à sa propre lumière.
La règle de vie de la parfaite étoile est de ne pas trop briller puisque briller est une hémorragie. En revanche le neutrino traverse le cœur et le corps du soleil comme s’il n’existait pas. Il arrive sur la terre 8 minutes après. Si le soleil s’éteignait, ce n’est pas la lumière qui nous le dirait mais ce serait les neutrinos.
Les étoiles sont des alchimistes. Ce sont les artisans consciencieux qui jouent dans l’économie générale de l’univers, le rôle de moteur de la complexité. Elles opèrent la synthèse des noyaux d’atomes.
Le simple est donc transformé en complexe.
D’où vient le simple ? Il vient d’un phénomène que certains dénomment big-bang. « Je récuse ce terme car si l’univers est bien la totalité des choses, il ne peut pas faire détonner un milieu préexistant. Big bang est une onomatopée qui fait penser à explosion. Je m’inscris en faux pour la raison que l’émergence ne peut être que silencieuse. Donc silence sur les origines ».
Le physicien ne peut parler qu’à partir du moment où il se donne trois mots : le temps, l’espace et l’énergie. S’il n’y a pas de temps, il n’y a pas d’espace, s’il n’y a pas d’espace, il n’y a pas d’énergie, s’il n’y a pas d’énergie, il n’y a pas de monde.
Posons donc un discours appelé cosmologie dont le premier mot est triple, temps, espace, énergie et faisons appel à la métaphore pour mieux le comprendre. Posons donc que l’explosion créatrice engendre |e temps, l’espace et l’énergie.
L’espace se dilate, le temps s’écoule, l’énergie se matérialise et en même temps elle donne naissance à son double, l’antimatière.
A chaque variété de particule correspond une antiparticule de même masse mais d’attributs internes (charge électrique, moment magnétique) opposés. Lorsqu’une particule s’ajoute à l’Univers, elle est toujours accompagnée de son double antagoniste et mortel, son antiparticule.
Inversement, quand une particule rencontre son antiparticule, elles s’annihilent mutuellement et retournent à la lumière, tel est le cas de l’antiproton, du positon ou antiélectron etc… Le proton est particulier car il est sa propre antiparticule.
Une particule sur 1 milliard a émergé de cette phase turbulente. C’est ce qui donne naissance à toutes les étoiles.
La matière l’emporte de peu et se présente sous 2 formes élémentaires : l’électron et le proton qui se marient. Alors se produit un évènement extraordinaire. L’univers devient transparent. Auparavant, lorsque les électrons étaient libres dans l’espace, ils capturaient la lumière et l’Univers était opaque à sa propre lumière, c’est-à-dire inobservable.
A partir du moment où l’électron et le proton se marient, la lumière est libérée et l’univers devient transparent, c’est-à-dire observable.
Les atomes, nés de la jonction des électrons et des protons, s’amassent en grands nuages où fleurissent les galaxies. Dans une galaxie s’isole une étoile appelée soleil qui s’entoure de planètes sur l’une desquelles émergera la conscience.
Cette histoire n’est pas figée. La matière a continué à évoluer, à s’enrichir. Il a suffi de 2% d’éléments lourds comme le carbone, l’azote, l’oxygène, le fer … pour que nous puissions penser. Mais que sera la vie car depuis ces 4 milliards d’années, les étoiles ont continué à vivre. C’est en mourant que les étoiles inséminent les produits de leur œuvre qui s’appellent carbone, oxygène … Nous sommes donc centre et poussière d’étoiles.
Le soleil deviendra une étoile géante qui volatilisera la Terre. Alors les atomes seront de nouveau libres dans l’espace. Et cette matière continuera à évoluer.
Les étoiles ont un destin qui consiste à passer d’une forme gazeuse à une forme parfaite, noire que l’on appelle une naine blanche qui deviendra noire en refroidissant ou une étoile à neutron qui est un gigantesque noyau d’atomes noir appelé trou noir.
Il y a des impasses dans cette histoire. « Je vous ai donné une image flamboyante de la matière, mais il y a un double mouvement dans l’étoile : le cœur s’effondre et l’enveloppe s’envole. Le cœur calciné d’étoiles constitue une autre population céleste, mais toute noire. Ces étoiles-là n’attendent que la résurrection. Il suffit qu’une belle étoile se présente à proximité pour qu’elles la capturent et se remettent à briller ».
« Après vous avoir présenté de manière très imagée une histoire que je considère comme universelle, j’aimerais conclure en disant que sans le savoir nous labourons la poussière des étoiles apportée par le vent et nous buvons l’univers dans une goutte d’eau de pluie car dans cette goutte-là sont l’hydrogène qui est la forme de l’explosion originelle et l’oxygène qui a été forgé dans les étoiles ».
En savoir plus:
https://www.eyrolles.com/Sciences/Livre/du-vide-et-de-l-eternite-9782738131713/
Texte original de la conférence: 19880119-Les premiers instants de l’univers
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