Thèmes: Géopolitique, Histoire Conférence du mardi 12 octobre 1993
À l’occasion de l’ouverture de la saison 1993-1994 du Cercle de Documentation et d’Information, Monsieur Richard Flahaut, historien, nous a parlé du « Problème des Balkans ».
L’ex-Yougoslavie –
Située à l’Ouest de la péninsule des Balkans, l’ex-Yougoslavie est bordée au Nord par l’Italie, l’Autriche et la Hongrie, à l’Est par la Roumanie et la Bulgarie, au Sud par la Grèce et l’Albanie, et baignée à l’Ouest par la mer Adriatique. Elle était formée de six républiques fédératives correspondant chacune à une région historique :
La population, dont la langue principale est le serbo-croate, est composée d’une mosaïque de peuples où dominent les Serbes à l’Est et les Croates au Nord et au Sud-Ouest. Puis viennent les Slovènes, les Macédoniens, les Monténégrins et les Bosniens, enfin, quelques Hongrois, Albanais, Roumains, Turcs et Italiens.
La religion orthodoxe est dominante (41 %), devant la religion catholique (32 %). La religion musulmane reste minoritaire (12 %).
La Slovénie –
Les Slovènes s’établirent vers le 7ème siècle. Ce sont des Slaves qui, menacés par les Avars, se mettent sous la protection des Bavarois. ils seront englobés dans l’Empire de Charlemagne et christianisés par l’évêché de Salzbourg et le Patriarcat d’Aquilée (ville d’Italie).
On les qualifie « d’Autrichiens de langue slave ». Ils sont répartis entre les provinces de Styrie, de Carinthie et Trieste, puis réunis peu à peu par les Habsbourg et fortement germanisés, ils subissent les influences du protestantisme.
En 1809, Napoléon créé les « Provinces Illyriques » qui incluent une partie de la Slovénie avec pour capitale Ljubljana. La Slovénie est placée sous l’autorité de Marmont, duc de Raguse (Dubrovnik).
Les Slovènes restent fidèles aux Habsbourg jusqu’à l’effondrement en 1918.
Le 1er décembre 1918 fut proclamée l’union des Serbes, des Croates, des Monténégrins et des Slovènes, dans le cadre d’une monarchie parlementaire sous l’autorité des Serbes. La détermination des frontières est très difficile. L’Italie conserve l’Ouest de la Slovénie (400 000 Slovènes) et l’Autriche garde la Haute Carinthie.
En 1941, la Slovénie est partagée entre l’Allemagne et l’Italie. Elle deviendra République Populaire de la Fédération Yougoslave en 1946, mais le Traité de Paris (1947) pose le problème de Gorizia et de Trieste, villes italiennes à la frontière Yougoslave. Gorizia fut partagée en deux et Trieste devint un « territoire libre » jusqu’en 1954 où elle fut rendue à l’Italie.
Les Slovènes sont Catholiques et leur niveau de vie était le plus élevé de la Fédération. Ils formaient la première région économique de la Yougoslavie.
Le 25 juin 1991, l’indépendance de la Slovénie est proclamée.
La Croatie –
Au 7ème siècle, les Croates, peuple slave venu des Carpates, menacés par les Avars, acceptent la tutelle franque. Vers 878, ils s’émancipent du pouvoir franc. En 925, le roi Tomislav refoule les assaillants bulgares, expulse les Hongrois de la Pannonie qui comprend une partie de la Bosnie et obtient le contrôle de la Dalmatie.
Au 10ème siècle, ils subissent les querelles opposant le clergé franc et l’Archevêque de Pannonie, Méthode, fondateur de l’église et de la liturgie slavonnes. Le Concile de Split, en 1060, condamne la liturgie slavonne. Le catholicisme s’affermit et unit les Croates.
En 1089, le roi est assassiné, sa veuve appelle son frère, Ladislav 1er, roi de Hongrie. C’est la guerre civile. En 1102, la Croatie reconnaît le roi de Hongrie comme roi, cette « union personnelle » se maintiendra jusqu’en 1918. La Croatie conserve son autonomie, elle est gouvernée par un ban (gouverneur) nommé par le roi
Au 14ème siècle, les souverains hongrois occupent la Bosnie, mais ils en seront chassés au 15ème siècle par les Turcs qui, en 1526 occuperont la moitié de la Croatie.
Depuis la fin du 16ème siècle, la Croatie se trouve coupée en trois : la Slavonie en Croatie orientale sous domination de la Turquie, la Croatie occidentale sous domination de la Hongrie avec les Habsbourg d’Autriche comme souverains, le littoral sous la domination de Venise.
Au 18ème siècle, après l’échec de Turcs au siège de Vienne (1683), la Croatie est annexée à l’Empire Austro-Hongrois. En 1867, elle obtient une autonomie restreinte au sein du gouvernement hongrois. Zagreb devient la capitale (Université, Académie des Sciences et des Arts). La ville de Fiume (Rijeka) est rattachée à la Hongrie jusqu’à la première guerre mondiale, elle revient à l’Italie en 1920. C’est le port le plus important de la Yougoslavie depuis 1947.
Le 29 octobre 1918, la Croatie obtient son indépendance et son rattachement au « royaume des Serbes, Croates et Slovènes ». Les frontières sont modifiées et le Traité de Rapallo (1920) attribue à l’Italie, l’Istrie et les îles de Cres-Losinj, de Vis, de Lastovo.
En 1929, le roi Alexandre 1er de Yougoslavie tenta, sans succès de vaincre le mouvement nationaliste croate, qui prit avec les « Oustachis » de Palévitch, une forme terroriste. Le roi Alexandre fut assassiné à Marseille (1934), en même temps que le ministre français, Louis Barthou.
En 1941, la Croatie forma un état indépendant reconnu par Hitler et Mussolini, sous la direction de Palevitch qui y établit un régime de terreur en exterminant les Serbes, les Juifs et les Tziganes, mais protégeant la minorité musulmane considérée comme des Croates. En 1945, la Croatie est intégrée dans la Fédération yougoslave.
En 1990, le président Franco Trudjmann réclame l’indépendance de la Croatie et l’obtient le 25 juin 1991. Les Serbes occupent la région de Krajina et créent une région autonome serbe au cœur de la Croatie.
La Bosnie-Herzégovine
Au 13ème siècle, chassés de Bulgarie et de Serbie par les Turcs, les Bogomiles (Serbes et Croates) s’installent dans cette région des Balkans qui doit son nom à la Bosna, affluent de la Save.
En 1390, la dynastie Kotomanic s’impose et paie tribut aux Turcs. En 1465, le pays est conquis par les Turcs, c’est le pays de Hum ayant à sa tête un voïvode, Stephan Vucic, qui prend le nom de Herceg (duc), « Hercégovine »…? La population est islamisée.
De 1850 à 1862, s’installe une résistance féodale aux réformes voulues par les Turcs. Les révoltes de 1875 sont soutenues par les Serbes et les Monténégrins.
En 1878, le Congrès de Berlin donne à l’Autriche l’administration de la Bosnie « Au nom du Sultan ». L’Autriche nomma un gouverneur civil, le Hongrois Kallay (1882-1903).
L’idée de création d’une nation bosniaque indépendante de la Serbie rencontre une très forte opposition des Serbes soutenus par la Russie.
Le 28 juin 1914, l’Archiduc François-Ferdinand de Habsbourg est assassiné à Sarajevo par un Bosniaque, Gavrilo Princip. Cet attentat avait été préparé à Belgrade, grâce à la société secrète « La Main Noire » dirigée par le Colonel Dimitrievic, chef des services secrets serbes. Ce fut l’une des causes de la Première Guerre Mondiale.
En 1918, intégrée dans le « Royaume des Serbes, Slovènes et Bosniaques », la Bosnie-Herzégovine disparait en tant que telle, ses quatre provinces sont découpées entre les différents pays yougoslaves.
En 1941, la totalité de la Bosnie est attribuée à la Croatie.
C’est en Bosnie que Tito ira se réfugier et fonder l’Armée Nationale de Libération. En 1946, pour éviter les querelles entre Bosniaques et Croates, la République de Bosnie-Herzégovine est créée. Les Musulmans majoritaires deviennent des Yougoslaves. On ne leur reconnaîtra des droits particuliers qu’en 1968.
En 1990, la Bosnie-Herzégovine, pays pauvre, élit ses députés en bloc par « Nation » (Musulmans, Orthodoxes, Catholiques) et par égalité de représentants.
Le Monténégro
De langue serbe et de religion orthodoxe, ce pays est connu dans l’histoire sous le nom de Zeta. Il apparaît au XIème siècle quand le prince Michel obtient du Pape le titre de Roi et fixe sa capitale à Skadar (la Skoder de l’Albanie actuelle).
Dès le 13ème siècle, il est intégré dans l’Empire serbe mais est dirigé par des dynasties locales qui s’appuient sur les Vénitiens.
Au 15ème siècle, Zéta est occupée par les Turcs. Le Prince Ivan IV s’installe dans la région de la Montagne Noire (Crna Gora : Monténégro).
En 1516, placé sous l’autorité de l’Empire ottoman, il a à sa tête le Prince Evêque de Cetinje. A partir de Danilo 1er (1797), le titre de Prince Evêque restera dans la même famille, transmis d’oncle à neveu. La principauté se sécularise avec Danilo II (1851) qui ne garde que le titre de Prince. Son neveu, Nicolas Ier accède au trône.
En 1875, au moment de la révolte de la Bosnie-Herzégovine contre les Turcs, les Monténégrins et les Serbes déclarent la guerre à la Turquie, guerre qui prendra fin au Traité de Berlin en 1878 avec la reconnaissance de l’indépendance du Monténégro.
Le Monténégro se range aux côtés de la Serbie contre l’Autriche, mais l’Autriche l’envahit en 1916. Le 26 novembre 1918 le roi Nikita (77 ans) est destitué et se retire en France où il mourra à Antibes en 1921. Le Monténégro est réuni à la Serbie.
En 1941, l’Italie tente de constituer, sans succès, un état indépendant du Monténégro sous son protectorat.
En 1946, le Monténégro devient une République Fédérative de Yougoslavie. La capitale quitte Cetinje pour Titograd.
La Serbie
Le territoire actuel de la Serbie fit partie au ter siècle de la province romaine de Mésie qui fut envahie par les Serbes au 7ème siècle. Après avoir subi la domination des empereurs byzantins, des Grecs et de Bulgares, ils finirent par conquérir leur indépendance en 1180.
La Serbie atteignit son apogée sous le règne de d’Etienne Douchan en 1331 et devint l’état le plus puissant des Balkans.
En 1389, elle fut entièrement soumise par les Turcs qui prennent Belgrade en 1521.
En 1688, les Autrichiens reprennent Belgrade, mais en 1739, le Traité de Belgrade restitue « la Serbie aux Turcs » et oblige les Serbes à quitter le Kosovo. A Belgrade s’installe une garnison de janissaires.
En 1804, Karageorges mène une insurrection, il s’empare de Belgrade en 1806 et se fait proclamer prince héréditaire. Milos Obrenovitch lui succède en 1815. Il mène l’insurrection, aidé par la Russie et obtient de la Turquie que la Serbie soit une « principauté vassale » avec son Assemblée et son armée.
En 1829, les Russes se battent contre les Turcs et au Traité d’Andrinople, Milos Obrenovitch est reconnu prince héréditaire. Il abdique en 1839 en faveur d’Alexandre Karageorges.
En 1858, les Obrenovitch reprennent le pouvoir jusqu’en 1902.
En 1876, la Serbie déclare la guerre à la Turquie, la Russie entre dans les Balkans et en 1878, le Traité de Berlin reconnaît l’indépendance de la Serbie.
En 1882, Milan Obrenovitch prend le titre de roi de Serbie. Il est assassiné en 1903.
Le nouveau roi est un Karageorges (gendre du roi du Monténégro), Pierre Ier. Avec l’appui du Ministre Nicolas Pasic, il rétablit la Constitution de 1888 qui avait été abolie.
En 1912, la Serbie déclare la guerre à la Turquie. Le Traité de Budapest (1913) donne la Macédoine à la Serbie.
En 1914, après l’assassinat de Sarajevo, l’Autriche-Hongrie lance un ultimatum à la Serbie. Belgrade est occupée par les Autrichiens et reprise en 1915. La Bulgarie en guerre écrase l’armée serbe qui se réfugie auprès des alliés à Corfou.
En 1918, Alexandre Karageorges proclame le « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes ».
En 1941, l’armée allemande occupe la Serbie qui s’intégrera à la République fédérale de Yougoslavie en 1945.
En 1990, quand la Slovénie et la Croatie demandent leur indépendance, le Président serbe, Milosevitch s’y oppose.
La Macédoine
Ancien royaume fondé au 7ème siècle av. JC., la Macédoine s’intègre au monde grec vers 479. Une longue période de luttes dynastiques se termina avec l’avènement de Philippe II vers 359. Ayant établi une monarchie absolue et organisée une puissante armée, il entreprit la conquête de la Grèce qu’il acheva avec sa victoire de Chéronée vers 338 (Le lion de Chéronée : conférence de de M. de Lassalle du 27 avril 1993).
Au 12ème siècle, un serbe, Douchan, se fait couronner roi des Serbes et des Grecs. En 1380, la Macédoine est intégrée à l’Empire turc.
A l’issue de la guerre russo-turque de 1878, le Traité de San Stéphan° attribua la Macédoine à la Bulgarie, mais le Congrès de Berlin rétablit la domination ottomane.
En 1893 fut créée l’Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne (ORIM) favorable à l’autonomie. Le Comité suprême macédonien, créé en 1895, était lui, pro-bulgare.
En août 1903, le soulèvement de l’ORIM conduit à une violente répression turque. Un parti favorable à une Macédoine autonome dans une fédération turque se forma. Les luttes mutuelles terrorisaient la population.
En 1913, la Grèce, la Roumanie, la Serbie, le Monténégro et la Turquie battent la Bulgarie. Au Traité de Bucarest, le 10 août 1913, la Macédoine est partagée entre la Grèce, la Turquie et la Bulgarie.
Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, la Bulgarie annexa preque toute la Macédoine que le Traité de Paix (1947) restitua à la Grèce et à la Yougoslavie.
Le Kosovo
Les Albanais descendraient de cette région qui est le berceau du peuple serbe. En 1346, y résidait, à Pec, le patriarche de l’église orthodoxe serbe. A partir de 1389, le Kosovo subit la domination turque jusqu’en 1880 quand s’établit le premier gouvernement albanais.
En 1912, la Serbie occupe ce qu’elle appelle « la Vieille Serbie » et lorsque naît l’Albanie en 1913, elle garde le Kosovo.
En 1941, le Kosovo est rattaché à l’Albanie sous l’autorité italienne et sera attribué à la Serbie en 1946. 11 obtiendra son autonomie en 1974.
En 1990, le parlement est dissout par les Serbes et le Kosovo est intégré à la Serbie.
ANNEXE
De longs et lourds contentieux
Monsieur Flahaut nous a donc présenté l’état et la politique des républiques à venir, dans leur ordre historique et leur position géographique, du Nord au Sud.
La difficulté pour les Français, citoyens d’un Etat hyper centralisé dans toute son histoire et ses politiques, est de bien comprendre les problèmes d’un état fédéral comme le fut la Yougoslavie de 1920 à 1990.
L’exemple des Cantons suisses, des Nations du Royaume-Uni, les législations pénales différentes (au sujet de la peine de mort notamment) des différents Etats des Etats-Unis d’Amérique, les problèmes sécessionnistes de l’Union des Républiques qui furent soviétiques et socialistes, montrent pourtant que les difficultés de la cohabitation de peuples, de nations, de religions, de langues différentes à l’intérieur d’un même Etat ne trouvent pas de solution unique.
Et les combats qui agitent actuellement les régions connues sous le nom de Yougoslavie, sont l’expression de très lourds et très longs contentieux.
Très longs : Le nom de Macédoine « partie de la Grèce antique peuplée de peuples très divers » a près de 2 500 ans, mais survit dans une « entrée » de nos repas printaniers, groupant, coupant, mélangeant des légumes très divers.
Très lourds 1. Nous -sommes au lendemain de la Première Guerre Mondiale, et le sort de ce qui va devenir la Yougoslavie se joue à Versailles, mais aussi à Sèvres, Neuilly, Saint-Germain, dans les traités multiples qui terminent 1914-1918.
Entre des idéologies différentes, des régimes différents, mais aussi des rivalités et des arrière-pensées, les alliés vainqueurs tracent les nouvelles frontières des nouveaux états européens, mais aussi celles du Moyen-Orient et de l’Asie Mineure, à travers l’Empire austro-hongrois et l’Empire turc, la Russie se transforme en URSS avec un minimum d’interventions occidentales.
Encore quelques détails pour préciser ce qui précède. La plupart d’entre nous avons appris — et retenu — sur les bancs de l’école « la Guerre franco-allemande de 1914-1918 et le rôle de l’Empereur Guillaume Il ». Mais sait-on que cet Empire — le IIème Reich — comprenait vingt-cinq Etats, c’est-à-dire quatre royaumes (Prusse, Bavière, Wurtemberg, Saxe), six grands duchés, cinq duchés, sept principautés et trois villes libres. Pour nous, c’était l’Allemagne.
A la même époque, l’Autriche-Hongrie abritait une dizaine de nationalités différentes et souvent hostiles dont des Italiens, des Allemands, des Polonais, des Ukrainiens…
Et lorsqu’en 1878, le Traité de Berlin — Monsieur Flahaut l’a plusieurs fois rappelé — avait mis fin à une nouvelle guerre des Balkans, il avait créé, aux dépens de l’Empire turc, huit Etats nouveaux dont certains n’eurent qu’une vie brève d’une dizaine ou une vingtaine d’années… et il fallut recommencer trois fois en quarante ans
E.B.
Les Balkans (Congrès de Vienne, 1878)
(Atlas historique – France Loisirs)
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