Thèmes: Civilisation, Géopolitique, Société Conférence du Mardi 3 février 2009
Par Jean Gouze
L’immigration de l’Europe vers les Etats-Unis a pris de l’ampleur au cours du XIXe siècle. Plusieurs facteurs expliquent cette accélération par rapport aux siècles précédents. Tout d’abord, l’Europe est pauvre. La France sort exsangue des guerres napoléoniennes. L’Angleterre, quant à elle, cherche à s’enrichir en développant ses transports et ses points d’appuis à l’étranger, et plus particulièrement avec son ancienne colonie. Le commerce se développe avec les Etats-Unis, les Européens importent beaucoup de matières premières (maïs, coton…). Mais ces navires repartent le plus souvent à vide vers l’Amérique. Les commandants de navires cherchent alors à trouver une marchandise de retour. Cette marchandise, ce sera les émigrants. Les paysans en Europe, où la vie était de plus en plus difficile à vivre, rêvent d’Amérique et de ses grandes terres exploitables. Des couchettes en bois sont donc aménagées dans les navires de commerce pour permettre la traversée aux voyageurs. Les conditions sont très spartiates, sans confort aucun.
La mainmise des Anglais
L’Angleterre est de plus en plus puissante grâce aux échanges avec les Etats-Unis, mais le roi veut les rendre plus efficaces. Un concours est organisé pour récompenser le navire qui rallierait New York le plus vite possible. Isambard Brunel – l’un des ingénieurs anglais les plus innovateurs du XIXe siècle, qui avait conçu des tunnels, des ponts et même la ligne de chemin de fer Londres-Bristol – relève le défi et conçoit le Great Western, le plus grand bateau à vapeur au monde (64 m). Ce paquebot possède des aménagements pour les passagers jusqu’alors jamais vus sur un transatlantique. Parti le 8 avril 1838 de Bristol, il arrive à New York quinze jours plus tard, seulement quatre heures après son concurrent, le Sirius, parti deux jours avant lui. Le Great Western décroche le premier record de la traversée de l’Atlantique en 15j10h et 30 mn. La course au ruban bleu, qui consacre le navire le plus rapide, est lancée.
Toujours aussi innovateur, Brunel lance en 1843 le Great Britain, le premier navire à la coque entièrement en fer et dont la propulsion ne se fait plus à l’aide de grandes roues mais avec des hélices. Malheureusement, la technologie n’est pas maîtrisée et ce transatlantique connaîtra de nombreuses avaries au cours de sa carrière. Ce navire a été retrouvé voilà quelques années aux Malouines. Reconstruit à l’identique, le plus vieux bateau à vapeur au monde, devenu navire-musée, stationne en cale sèche à proximité de Liverpool. Le Great Eastern signera le chant du cygne de Brunel. Ce navire gigantesque à double coque (du jamais vu !) mesure 209 mètres de long, compte sept mâts et cinq cheminées, peut accueillir 800 passagers en première classe et 1 800 en seconde. Mais ce mastodonte des mers est trop lourd, n’avance pas assez vite et connaît de nombreuses malfaçons.
Pendant que les Anglais et les Américains sont lancés dans une course à l’innovation, que font les Français ? Eh bien, rien. Napoléon III considère que le bateau à vapeur n’a aucun intérêt. Lamartine se demande pourquoi fonctionner avec ce charbon qui coûte cher alors que Dieu a gratifié les hommes du vent, qui est gratuit. Il n’y a alors pas de navire français, même pour traverser la Manche il faut utiliser les bateaux anglais. Mais la guerre de Crimée marque un tournant. Pour envoyer les troupes françaises au front, les Français sont obligés de demander l’aide des Anglais. Quelle humiliation ! L’empereur décide donc doter le pays de chantiers navals pour que la France produise ses propres navires. Avec le financement des frères Pereire et l’aide de spécialistes écossais, les chantiers de l’Atlantique voient le jour à Saint-Nazaire. Le premier navire français, de facture très classique, en sortira en 1870. Les émigrants français n’ont plus à embarquer d’Angleterre pour partir en Amérique grâce à la liaison Le Havre – New York. A New York, les émigrants sont débarqués à Ellis Island, où un contrôle médical sommaire est effectué.
Des châteaux flottants
A partir de 1889, tous les transatlantiques fonctionnent à la vapeur. Ils se doivent d’être toujours plus rapides. C’est en voulant battre le record de la traversée de l’Atlantique que le Titanic, qui fait partie de la série de grands bateaux lancés par la White Star Line, avant l’Oceanic et après le Britannic, fait naufrage lors de son voyage inaugural en 1912. Le Titanic a pris une route très au nord, plus courte mais qui présente le risque de croiser les icebergs qui descendent la mer du Labrador. Plus des deux tiers de ses passagers périrent le 15 avril dans les eaux glacées. Comme beaucoup de transatlantiques, le Titanic disposait, en première classe, d’un grand escalier. Les personnalités de la politique, des arts, de la finance ou de l’industrie pouvaient se montrer dans leurs plus belles toilettes. Les conditions de traversée pour les plus pauvres se sont aussi grandement améliorées par rapport aux pionniers du XIXe siècle : ils disposent de matelas, d’éclairage, de chauffage et de nourriture.
En 1915, un autre géant des mers finit au fond de l’eau. Le Lusitania est torpillé par les Allemands en mer d’Irlande par beau temps, dans une eau relativement chaude. Mais, contrairement au Titanic, près de deux tiers de ses passagers survivent. Ces catastrophes ne ralentissent pas l’essor des transatlantiques, unique moyen de rallier les deux continents. Dans l’entre-deux guerres, ce sont de véritables châteaux flottants qui sont mis à l’eau. La conception et la décoration de ces navires visent à faire oublier la mer, le spectacle est à l’intérieur. Cette fois, la France n’est pas en reste, grâce à l’Ile-de-France et surtout au Normandie. Lancé en 1935, ce navire majestueux (313 m de long) construit à Saint-Nazaire décroche le ruban bleu dès son voyage inaugural. Il devient le roi des océans, avant d’être détrôné en vitesse mais pas en beauté par le Queen Mary, fruit de la fusion entre les deux plus grandes compagnies anglaises. Malheureusement, le Normandie coule dans le port de New York, noyé sous les tonnes d’eau envoyées par les pompiers pour éteindre l’incendie qui y faisait rage. A l’instar de l’Ile-de-France ou du Queen Mary, il devait être reconverti en transport de troupes pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Quand le France est lancé en 1960, c’est déjà le bateau de la nostalgie. Boeing a déjà lancé ses premières liaisons transatlantiques et rallier les deux continents ne prend plus que quelques heures. Le France est un très beau paquebot arrivé trop tard. Treize ans après son lacement, il est désarmé. Le premier choc pétrolier est passé par là, multipliant le prix du fioul par huit, et creusant les pertes de la compagnie. A la fin des années 70, il est revendu à des armateurs norvégiens qui le rebaptisent Norway. Mais sa carrière transatlantique est terminée, le paquebot devient bateau de croisière dans les Caraïbes, présageant le futur des grands navires. Depuis plusieurs années, on ne demande plus aux superbes bateaux qui sortent des chantiers navals de faire des voyages mais plutôt de promener les vacanciers – 2 000 sur un paquebot de bon marché, 1 200 voyageurs sur une bateau de meilleur standing. La conception de ces nouveaux paquebots est fondamentalement modifiée pour prendre en compte les nouveaux usages de la clientèle : 95% des cabines sont tournées vers la mer, avec au minimum une escale par jour, car il faut laisser à la clientèle la liberté de faire autre chose, et on installe des salles de jeux à bord ou encore des piscines pour divertir les passagers. C’est une autre conception du voyage qui s’est aujourd’hui imposée.
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