FRANCE ET EGYPTE, UN DIALOGUE PLURICENTENAIRE

Thèmes : Histoire, Géopolitique, Société                                                                                 Conférence du mardi 28 mai 2019.

FRANCE ET EGYPTE, UN DIALOGUE PLURICENTENAIRE

Par Monsieur Richard FLAHAUT, Conservateur Honoraire du ministère des Affaires Etrangères, chargé de Mission à l’Hôtel Matignon.

INTRODUCTION

Les liens entre la France et l’Egypte sont très forts. Les relations entre les deux pays ont été, au fil des siècles, aussi bien politiques qu’économiques ou culturelles. En France, l’Egypte est présente physiquement mais aussi dans notre inconscient collectif. Physiquement car quasiment toute personne se rendant à Paris est amenée à passer devant l’obélisque de la place de la Concorde, carrefour névralgique de la capitale. Dans notre inconscient car dans l’histoire sainte les références à l’Egypte sont nombreuses, Moïse est sauvé des eaux du Nil et Marie et Joseph cacheront Jésus bébé en terres égyptiennes. Enfin certaines figures historiques égyptiennes comme Cléopâtre ont inspiré bon nombre d’écrivains et de cinéastes.

I – Des relations dès le Moyen-Age.  

Déjà durant l’Antiquité les liens entre l’Egypte et l’Empire romain étaient très étroits, l’Egypte étant un grenier à grain pour les peuples du nord de la Méditerranée. A la naissance du christianisme, le monachisme est né en Egypte avec Antoine d’Alexandrie qui dès le IIIe siècle fonde une communauté dans le désert. Par ailleurs lors de l’établissement de l’Eglise et de ses dogmes, notamment au Concile de Nicée, l’évêque d’Alexandrie est plus puissant et influent que celui de Rome.

Lors de la septième croisade, en 1163, les Francs dirigés par Amaury Ier traversent l’isthme de Suez afin de conquérir l’Egypte fatimide. Ils mènent trois tentatives de conquête en 1164, 1167 et 1168. Ces affrontements militaires constituent la première rencontre entre les deux nations. En dépit des défaites, les Francs comprennent que la conquête de l’Egypte est primordiale pour protéger la terre sainte.

A partir du VIIe siècle, l’Egypte se trouve sous autorité musulmane. En 1453, les Ottomans prennent le pouvoir et placent à la tête de l’Egypte un Turc qui collecte les impôts pour le sultan. Le Pacha s’entoure de Mamelouks qui sont des chrétiens de naissance, enlevés dans les Balkans et en Russie alors qu’ils sont enfants généralement de moins de 10 ans, qui sont circoncis et élevés comme des musulmans au service du Pacha. Les Mamelouks sont très influents mais les rivalités entre eux créent un climat instable ce qui n’empêchent pas les étrangers d’être attirés par l’Egypte. Les Mamelouks conservent un rôle important jusqu’au massacre de leurs chefs par Méhémet Ali en 1811 qui considère qu’ils sont un obstacle à son autorité.

En 1536 François Ier signe des capitulations et crée des relations diplomatiques privilégiées avec la Sublime Porte. Le roi de France obtient que les marchands français puissent s’installer à Alexandrie et qu’ils soient exonérés de l’impôt.  Les bateaux français sont alors les seuls à pouvoir commercer directement avec l’Egypte. Des liens particuliers se nouent et les premiers voyageurs arrivent en Egypte dès 1560. Au fil des décennies, des récits de voyage sont publiés et l’on découvre les premiers lieux de la chrétienté mais aussi la civilisation des pharaons. On peut ici mentionner les travaux de Constantin-François Chassebœuf de la Giraudais, qui publie des ouvrages sur les langues orientales et des récits de voyage sous le nom de compte de Volney, contraction de Voltaire et Ferney, philosophe qu’il admire.

Dès le règne d’Henri III, les consuls conseillent au Roi de contrôler l’Egypte car c’est la route vers l’orient et un carrefour crucial pour le commerce. Mais Henri III n’a pas le temps de mettre sur pied un plan précis d’invasion. La même proposition sera faite à Richelieu qui n’y croira pas et ne donnera donc pas suite au projet. Sous le règne de Luis XIV, Leibniz enverra un rapport d’une centaine de pages montrant les avantages et bénéfices que pourrait entraîner la conquête de l’Egypte au ministre Pomponne, qui le dédaignera.

Sous le règne de Louis XV, des conseillers sont envoyés afin de moderniser l’Egypte. Cependant, la guerre de Pologne monopolise les forces françaises qui s’opposent à la partition de la Pologne entre la Prusse et la Russie. L’expédition prévue pour l’Egypte ne sera pas envoyée. Au temps de Louis XVI, l’Egypte est à la mode et de nombreux scientifiques, conseillers et diplomates sont envoyés au pays des pharaons, notamment l’ingénieur de Tott qui en 1777 a pour mission de relever l’emplacement de tous les forts et installations militaires du pays. L’Egypte est si populaire que lors de la première de « La flûte enchantée » de Mozart, les décors représentent une vue des pyramides de Gizeh. La politique internationale empêche à nouveau la France d’être davantage présente en Egypte. En effet, à la suite de la révolte des colonies américaines, les Français souhaitant affaiblir l’Angleterre, envoient des troupes pour aider les révoltés, ce qui est très coûteux et reporte une nouvelle fois à plus tard l’expédition en Egypte.

Ce n’est qu’en 1798 que la France révolutionnaire, soucieuse de bloquer la route des Indes à la Grande-Bretagne, lance une expédition en Egypte. Bonaparte, fraîchement auréolé de ses victoires en Italie, est à la tête de cette expédition qui marquera profondément les relations franco-égyptiennes.

II – L’expédition de Bonaparte et ses conséquences.

L’expédition d’Egypte est une campagne militaire et scientifique menée entre 1798 et 1801 afin de s’emparer de l’Egypte et ainsi lutter indirectement contre la Grande-Bretagne, hostile à la France révolutionnaire. C’est aussi une importante expédition scientifique et culturelle car l’Egypte est considérée comme le berceau des civilisations.

Le 2 juillet 1798 Bonaparte débarque à Alexandrie avec son armée. Par une proclamation adressée aux Egyptiens, il se pose en libérateur du peuple oppressé par les Mamelouks, et en ami du sultan. Le 1er août 1798, l’amiral Nelson détruit une grande partie de la flotte française à Aboukir alors que Bonaparte est au Caire. Bonaparte entreprend de transformer Le Caire en ville européenne et veut imposer une organisation centralisée à la française. Le 22 août 1798 est créé l’Institut d’Egypte ainsi que deux journaux, « La décade égyptienne » et « Le courrier de l’Egypte ». Un an plus tard, Bonaparte transmet ses pouvoirs à Kléber et rentre en France.

Outre les opérations militaires, l’expédition d’Egypte a été l’occasion d’une expédition scientifique composée de savants tels que Monge, Berthollet et Fourier. De cet aspect scientifique on retiendra la pierre de Rosette découverte dans le village de Rachid en juillet 1799 et qui permettra à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes ainsi que l’ouvrage en 23 volumes « Description d’Egypte » qui regroupe toutes les recherches scientifiques effectuées lors de l’expédition. L’Institut d’Egypte contribuera à développer technologiquement l’Egypte et à propager l’esprit des Lumières.

Sur le plan politique, après le départ des Français en 1801, l’Egypte connait une situation politique instable et complexe ce qui permettra à Méhémet Ali de s’imposer comme Pacha d’Egypte après avoir fait assassiner tous les chefs de provinces qui étaient ses rivaux. C’est la fin des Mamelouks.

Méhémet Ali décide de moderniser l’Egypte et se tourne naturellement vers la France. Il envoie des cadeaux au Roi de France, notamment la célèbre girafe et deux obélisques de Louxor dont finalement un seul sera ramené en France car extrêmement difficile à transporter. Il sera installé sur la place de la Concorde, sous Louis Philippe.

De nombreux Français contribuent à la modernisation de l’Egypte dont la mise en place du système de santé et la réorganisation totale de l’armée égyptienne. Par ses liens privilégiés avec l’Egypte et le travail réalisé à l’Institut d’Egypte, les Français deviennent les leaders dans une nouvelle discipline : l’archéologie. Méhémet Ali Pacha, très francophile, envoie ses cinq fils étudier à Paris, et les deux langues officielles d’Egypte sont l’égyptien et le français et non plus le turc.

Fin 1838, un des fils de Méhémet Ali Pacha, Ibrahim, prend le pouvoir. Son ami d’enfance est Ferdinand de Lesseps dont le père était un diplomate en fonction en Egypte. De ce fait, il sera favorable à l’idée du canal de Suez bien que le financement soit un problème. Il instaure également des changements sociétaux importants comme le fait qu’il n’y ait plus qu’une seule épouse à la Cour. Par ailleurs, un code civil calqué sur celui de Napoléon est adopté et la société s’occidentalise.

III – Le canal de Suez.

L’idée d’un canal a toujours existé et le premier a été construit en 1862 av. J-C. par Sesostris III. Ce canal allait de la mer Rouge vers le Nil, c’est-à-dire d’Est en Ouest et sera utilisé durant plusieurs siècles afin de faciliter le commerce entre Orient et monde méditerranéen. Au VIIe siècle de notre ère, les Arabes le fermeront car ils y voient un danger pour La Mecque.

Dans les années 1820, une communauté de laïcs, les saint-simoniens s’installent en Egypte. Les saint-simoniens sont une communauté fondée par le comte de Saint-Simon, théoricien qui promettait à l’humanité de passer de l’âge théologique et féodal à l’âge positif et industriel. Cette idéologie aura une grande influence auprès des scientifiques de l’époque. Ainsi, à leur arrivée en Egypte bien qu’ayant déjà le projet du canal de Suez en vue, ils commencent par construire le barrage du Delta. Les saint-simoniens présentent un projet de percée d’un canal en 1833, plan conçu par Prosper Enfantin mais le manque de fonds gèle le projet. Cependant, les saint-simoniens poursuivent leur idée et créent en 1846 une société d’étude pour le canal. Cette société réalise un nouveau nivellement topographique précis de l’isthme qui corrige les données relevées lors de l’expédition de Bonaparte. Il apparait que la différence de niveau entre la mer Méditerranée et la mer Rouge n’est pas de neuf mètres mais de beaucoup moins. On ne craint donc plus de voir la Méditerranée se déverser dans la mer Rouge en cas de percée d’un canal.

Ismaël Pacha, qui régnera de 1860 à 1895, confiera le projet du canal à Ferdinand de Lesseps. Il sera réalisé en seulement dix ans en traversant les trois lacs existant entre les deux mers. Le financement sera en grande partie assuré par la banque des frères Pereire.

L’inauguration du canal en 1869 aura lieu en grande pompe devant de nombreuses personnalités notamment l’Impératrice Eugénie et l’Empereur austro-hongrois François-Joseph. Le yacht du Khédive Ismaïl, « Le Marousiah », sert toujours pour les voyages officiels.

On peut également mentionner que la statue de Bartholdi qui devait être élevée à l’entrée du canal est finalement refusée. Retouchée, la Statue de la Liberté sera offerte par la France aux Etats-Unis où elle se trouve toujours à l’entrée du port de New-York.

Le canal de Suez reste un ouvrage majeur du XIXe siècle qui aura permis l’essor du commerce international entre l’Orient et l’Occident. Il est aussi la troisième source de devises de l’Egypte. En 2015, Al-Sissi inaugure le Nouveau Canal de Suez qui permet de doubler la capacité de passage.

IV – La France et l’Egypte de la fin du XIXe à nos jours.

Ismaël Pacha continue à moderniser Le Caire et un vaste programme d’« haussmanisation » est mis en place. Jardins et artères sont copiées sur le modèle parisien. Mais si Paris vient à l’Egypte, le contraire est aussi avéré. Ainsi, à l’Exposition Universelle de 1867, trois pavillons égyptiens sont installés, le premier sur le modèle du temple de Dendera, le second sur le modèle d’un palais et le troisième sur le modèle d’ateliers à l’égyptienne. L’Egypte sera présente aussi aux expositions de 1889 et 1900 pour laquelle on reconstitue un quartier populaire du Caire. Par ailleurs, Ismaël Pacha dote Le Caire d’un opéra. Pour son inauguration, le Pacha commande à Giuseppe Verdi une œuvre, ce sera « Aïda ».

En 1882, l’Egypte est surendettée et la France est elle aussi en difficulté après la défaite de 1870. Les Anglais, désireux de chasser les Français, provoquent un « crack » boursier et Ismaël Pacha doit vendre une grande partie de ses parts du Canal qui seront rachetées par les banques anglaises. La France est chassée d’Egypte qui devient un protectorat anglais.

Au début du XXe siècle, Fouad prend le pouvoir et doit affronter la Première Guerre Mondiale, à la suite de laquelle il obtiendra un peu plus de liberté. En effet, les nationalistes égyptiens ayant aidé les Anglais qui avaient bénéficié de nombreuses denrées égyptiennes, considèrent qu’ils sont du côté des vainqueurs et vont par conséquent négocier des avantages pour leur pays au Traité de Sèvres. Saad Zaghloul obtient le statut de royaume pour son pays. En 1922, l’Egypte devient un royaume et Fouad prend le titre de Khédive d’Egypte, c’est-à-dire Roi d’Egypte. Elevé à Londres, il connaît parfaitement le monde occidental. Les liens avec l’Europe restent forts comme le montre le fait qu’une de ses filles devienne une princesse d’Orléans Bragance.

Farouk succède à son père. Elevé en Italie, il est très pieux et respecte les préceptes de l’islam mais la société égyptienne est résolument tournée vers l’Occident et la monarchie égyptienne vit et s’habille comme le Gotha européen. On peut aussi relever la lutte de Huda Sharawi, grande féministe, contre le port du voile.

En 1952, le royaume s’effondre suite à un coup d’Etat financé par les Américains qui souhaitaient contrôler le canal de Suez. C’est l’arrivée au pouvoir de Nasser qui nationalisera le canal.

CONCLUSION

Les liens entre la France et l’Egypte, particulièrement au cours des deux siècles qui ont suivi l’expédition de Napoléon, ont été riches et fertiles et d’une grande spécificité. De nombreux organes sont restés fidèles à la culture française. Ainsi la prestigieuse revue « Egypte contemporaine » est restée jusque dans les années 1940 publiée en français et la banque d’Egypte garde son logo en français. De nos jours la France participe à de grands projets au Caire comme la construction du métro, de centres commerciaux ou d’hôpitaux. Par ailleurs, la fascination de la France pour l’Egypte perdure. Ainsi, lors de la modernisation du musée du Louvre, qui expose de nombreux trésors égyptiens, c’est le projet d’une pyramide en verre qui a été choisi.

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