Thème: Histoire – Société 29 avril 2014
La Légion Étrangère – Tradition et modernité
par le Général Marc Thery, ancien chef de corps du 3e RE d’Infanterie en Guyane
Le Général Thery, Garchois depuis 30 ans, a exercé durant dix années un commandement dans la légion étrangère, ce corps militaire unanimement reconnu, prestigieux et mystérieux à la fois qui fascine et attise les curiosités.
A l’heure de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, et à la veille du 151e anniversaire du combat de Camerone, symbole du sacrifice des légionnaires, le Général nous livre un témoignage poignant sur l’histoire de ce corps d’élite, son organisation et son évolution au fil des ans, ses règles de vie strictes basées sur la discipline, l’honneur et la fidélité.
Le 30 avril 2014 à Aubagne, la cérémonie de commémoration a rendu hommage aux légionnaires de 1914-1918, engagés volontaires pour la durée de la guerre (EVDG), générations fauchées et décimées qui ont tout donné à la France patrie. Ils incarnent l’engagement au service de la liberté.
Histoire de la légion
Honneur et Fidélité
La légion étrangère est un corps de l’armée de terre française, créée en 1831 par le roi Louis-Philippe à l’instigation du ministre de la guerre, le Maréchal Soult, afin de permettre l’incorporation de soldats étrangers dans l’armée française. A l’origine, la légion d’honneur ne peut combattre qu’en dehors du territoire du Royaume ; la Grande Guerre en sera la première exception.
L’engagement à la légion étrangère est réservée aux hommes âgés de 18 à 40 ans et compte, depuis sa création jusqu’en 1963, plus de 600 000 soldats de nationalités différentes ; allemands, italiens, espagnols, polonais, belges, américains, irlandais, suisses forment les troupes des régiments étrangers. Leurs effectifs peuvent atteindre jusqu’à 20% des troupes ; chaque compagnie étant composée alors d’hommes appartenant à une même nation et parlant la même langue.
La légion constitue un moyen efficace pour retirer les éléments « indésirables » de la société française du 19e siècle. Dans ses rangs, une population interlope où se côtoient des évadés, des mendiants, des criminels de droit commun mais surtout des immigrés non désirés, opposants au Régime.
De nombreuses autres nationalités sont représentées, comme les pays de l’Est et les Balkans, majoritaires dans les années 2000. Ce corps d’armée constitue, pour la plupart des engagés, un moyen d’immigration privilégié afin de changer de vie, d’échapper à un passé tourmenté, ou tout simplement d’entamer une vie meilleure. Pour d’autres, le prestige de la légion étrangère et l’amour du pays demeurent la raison de leur volontariat ; les motifs de l’engagement restent, quant à eux ; secrets et inconnus de tous.
Le premier drapeau de la légion arrive en Algérie, en août 1834, dans les mains du Colonel Combes, remis à Marseille par le Duc d’Orléans, fils aîné du roi, et porte l’inscription « Le Roi des Français à la Légion Etrangère ». Apparaît ensuite sur les drapeaux et étendards des régiments étrangers le première devise de la légion « Valeur et discipline », remplacée en 1920 par « Honneur et Fidélité », contrairement aux drapeaux de l’armée française qui portent l’inscription « Honneur et Patrie ». Sa devise « Legio Patria Nostra » (Notre Patrie, c’est la Légion) ; sa maxime « Légionnaire d’un jour, légionnaire toujours ».
Dans les plis des drapeaux figurent les batailles de la légion, en hommage aux hommes tombés pour la France.
Les légionnaires, aussi appelés les Képis blancs, ont acquis leur notoriété lors des combats menés sur les champs de bataille du monde entier, notamment dans le cadre des conquêtes coloniales.
Aujourd’hui, les légionnaires sont présents lors des conflits modernes sous forme d’aide humanitaire, de protection des populations, de maintien de la paix ou parfois de soutien à des gouvernements étrangers, alliés à la France par des accords.
Principalement constituée de régiments d’infanterie à ses débuts, la légion étrangère comporte aujourd’hui également des unités d’arme blindée et cavalerie de génie, où sont intégrés des parachutistes, des spécialistes de montagne, du combat de jungle ou de désert, sans oublier des unités de reconnaissance et de renseignements.
Bataille de Camerone, symbole du sacrifice des légionnaires
La bataille de Camerone est un combat qui oppose une compagnie de la légion étrangère aux troupes mexicaines le 30 avril 1863, lors de l’expédition française au Mexique. Soixante-deux soldats du 3e régiment étranger de la légion d’honneur, assiégés dans un bâtiment d’une hacienda du petit village de Camerone de Tejeda, résistent plus d’une journée à l’assaut de deux mille soldats mexicains. A la fin de la journée, les cinq légionnaires survivants, à cours de munitions, ramassent leurs blessés et leurs morts et sont constitués prisonniers. Face à la ténacité et à la vaillance des combattants français, les soldats mexicains consentent à leur laisser leurs armes afin de les préserver dans l’honneur.
Camerone est célébré chaque année, le 30 avril dans toutes les unités, comme un symbole du sacrifice des légionnaires. Le « Serment de Camerone » rappelle le courage et la détermination des légionnaires et le respect de la parole donnée, accomplie jusqu’au sacrifice suprême.
La mémoire des combats
L’Histoire se poursuit et les combats s’enchaînent.
La légion étrangère s’est illustrée durant la grande guerre. Dès août 1914, des milliers d’étrangers présents en métropole ou dans les colonies, rejoignent les rangs de la légion sous le commandement du Colonel Rollet, afin de prouver leur attachement et leur reconnaissance à la France. De nombreux pilotes volontaires américains rejoignent les rangs de la légion et s’illustrent au travers d’héroïques combats contre les aviateurs allemands. Le Mémorial de l’Escadrille Lafayette, érigé à Marnes-la-Coquette, commémore le sacrifice de ces aviateurs américains.
En 1940, la bataille de Narvik en Norvège, la bataille de Bir Hakem en Libye en 1942 avec la 13e DBLE dirigée par Messmer, la campagne d’Italie en 1943, la campagne de France en 1945, ont été le théâtre de l’intervention militaire de la légion étrangère.
De 1946 à 1954, ce ne sont pas moins de 72 800 légionnaires qui servent en Indochine. Avec plus de 10 000 morts, la légion enregistre le taux le plus élevé en pertes humaines ; près de 12% pour les képis blancs contre moins de 7% pour l’ensemble du corps expéditionnaire français d’Extrême Orient.
Au cours de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, la légion contribue au maintien de l’ordre et se distingue avec le 1er régiment étranger des parachutistes lors du putsch d’Alger, le 20 avril 1961.
Opérations contemporaines
En 1970, le Général de Gaulle souhaite la dissolution de la légion étrangère mais son ministre de la défense Pierre Messmer, ancien de la 13e DBLE, l’en dissuade.
Les missions dans le monde sont de plus en plus nombreuses : au Tchad en 1976, au Zaïre en 1978 avec le sauvetage de Kolwezi, en 1982 au Liban, en 1991 avec la guerre du Golfe, en 1992 au Cambodge, en 1993 en Bosnie, en 1995 au Rwanda, en 1996 en Centrafrique.
Depuis 2001, la légion étrangère participe à la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité en Afghanistan ; depuis janvier 2013, la France est présente au Mali avec l’opération Serval, en Côte d’Ivoire, depuis février 2014, avec l’opération Licorne pour le maintien de la paix.
Partout dans le monde, la légion étrangère a rempli avec succès et bravoure les nombreuses missions qui lui ont été confiées. Depuis 1831, ce sont 33 000 légionnaires tués au combat.
Une organisation en perpétuelle évolution
L’adhésion à des valeurs communes forge l’âme du légionnaire. La discipline, le culte de la mission, l’amour du travail bien fait, le respect et la solidarité forment la trame de son code d’honneur.
La nature exceptionnelle des hommes que la légion recrute impose des responsabilités de commandement centralisées, autonomes et adaptées. Des bataillons par nations à ses débuts, la légion accueille aujourd’hui au sein de ses compagnies un panaché de nationalités.
La légion étrangère, dirigée par le Général de Saint-Chamas, compte aujourd’hui 7000 hommes (100 000 dans l’armée de terre soit 7% des effectifs) issus des cinq continents ; un mélange de races, de religions et de cultures qui coexistent en totale harmonie. Parmi les légionnaires, 30% sont français.
En 2014, la légion étrangère est constituée de dix régiments, dont trois outre-mer (Kourou, Abu-Dhabi depuis 2011 et Mayotte) :
1er régiment étranger (1er RE) installé à Aubagne,
1er régiment étranger de cavalerie (1er REC) stationné à Orange
1er régiment étranger de génie (1er REG) stationné à Laudun
2e régiment étranger d’infanterie (2e REI) basé à Nîmes
2e régiment étranger de génie (2e REG) installé à Saint-Christol
2e régiment étranger de parachutistes (2e REP) stationné à Calvi
4e régiment étranger (4e RE) stationné à Castelnaudary
Groupement de recrutement de la légion étrangère (GRLE) de Nogent-Sur-Marne
Les recrutements de la légion évoluent au fil des ans, en fonction des bouleversements géopolitiques. Ainsi, depuis l’effondrement du « rideau de fer », on enregistre ces dernières années une proportion importante des candidats des pays de l’est, tendance qui ne se dément pas malgré l’émergence du recrutement asiatique et américain du sud.
La légion étrangère ne bénéficie d’aucune disposition statutaire interdisant le recrutement des femmes. Néanmoins, et compte tenu du fort taux de sélection à l’engagement (une recrue engagée pour dix candidats volontaires, après trois semaines de tests au sein de la maison mère à Aubagne), celle-ci ne recrute, comme légionnaires, que des hommes. Des hommes en bonne santé physique et mentale ; sont exclus les criminels de sang, les violeurs et ceux qui ont abandonné leur famille.
En revanche, un nombre variable d’officiers et de sous-officiers féminins servent en son sein (0,02% des effectifs), en tant que « cadres du régime général affectés à la légion ». Si ces femmes portent le béret de l’institution, elles n’en portent pas les attributs (képi blanc, épaulettes rouges et vertes et ceinture bleue).
Depuis la création de la légion étrangère en 1831, les recrues peuvent être engagées sous « identité déclarée », identité d’emprunt leur garantissant l’anonymat, les privant en contre-partie de nombreux droits : droit de vote, de reconnaissance d’un mariage ou d’un enfant, souscription d’un emprunt, droit d’héritage… Depuis septembre 2010, cette disposition n’est plus obligatoire mais optionnelle, la majorité des recrues étant désormais engagées sous identité réelle.
Traditions et règles de vie modernes
Les traditions à la légion étrangère sont nombreuses ; elles constituent un ciment pour ce corps d’armée et se traduisent à travers un code d’honneur, un code vestimentaire, des emblèmes et symboles spécifiques, des chants (le Boudin, chant de marche de la légion).
Mais ces traditions ne sont pas immuables, elles évoluent avec l’institution.
La réputation de la musique de la légion étrangère dépasse largement les frontières françaises ; elle se produit, en dehors des cérémonies militaires classiques, plusieurs fois par an dans des salles à l’étranger. En formation de défilé, elle se distingue des autres musiques de l’armée française par ses fifres, son chapeau chinois, et par une cadence puissante et majestueuse de 88 pas à la minute (contre 116 pas à la minute pour les autres régiments).
Depuis les années 1980, la légion étrangère s’est dotée d’un code d’honneur destiné à constituer une référence morale pour tous les engagés volontaires. Chaque légionnaire se voit remettre un exemplaire rédigé dans sa langue maternelle lors de son arrivée et doit apprendre par cœur la version française lors de son instruction.
L’uniforme de la légion étrangère se distingue des autres. Composé d’un pantalon beige, d’une ceinture bleue, d’épaulettes vertes et rouges ainsi que du célèbre képi blanc, l’uniforme fait partie intégrante de la gloire de ce corps.
Valeurs et discipline
Servir avec « honneur et fidélité » implique pour ces soldats le respect des valeurs, d’une discipline et d’un entraînement physique très stricts, dépassant celle imposée à l’armée française. Fidélité au drapeau, solidarité envers ses camarades et ses supérieurs sont les maîtres mots « Chaque légionnaire est ton frère d’arme, quelle que soit sa nationalité, sa race, sa religion. Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d’une même famille ». « Respectueux des traditions, attaché à tes chefs, la discipline et la camaraderie sont ta force, le courage et la loyauté, tes vertus ».
En échange de cette loyauté, la légion leur offre un refuge, une patrie, un uniforme, et leur confie une mission sacrée « La mission est sacrée, tu l’exécutes jusqu’au bout, et, s’il le faut, en opérations, au péril de ta vie ».
Le commandement « à la française », reconnu unanimement et mondialement, repose sur cinq principes essentiels : exemplarité du chef, proximité et disponibilité, bienveillante fermeté, discipline, confiance et contrôle.
« L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle » disait Saint-Exupéry ; c’est par la légion que l’homme mue, devient légionnaire et s’ennoblit.