Thèmes: Civilisation, Géopolitique, Histoire Conférence du mardi 6 février 2018
Par Monsieur Claude MUSTAFIAN, agrégé de mathématiques et docteur en Histoire.
INTRODUCTION
Au fil des siècles les relations entre la France et l’Arménie ont connu des moments forts, notamment durant les croisades et d’autres périodes avec des relations sporadiques. Actuellement, les relations entre les deux pays sont excellentes bien que la France cherche toujours à ménager la Turquie et l’Azerbaïdjan, pays pourtant en conflit sur de nombreux points avec l’Arménie.
I – Les relations franco-arméniennes avant les croisades.
Avant la première croisade de 1096 on trouve en France des preuves des relations existantes entre la France et l’Arménie bien que l’on ne sache pas précisément quelles en étaient les modalités. Ainsi sur un tableau d’une église de Tallard, au Sud de la France, on remarque un religieux arménien en train de prêcher. Mais, on ne connaît ni le nom de cet homme ni comment il est venu. On trouve aussi des exemples d’églises ayant une structure typiquement arménienne bien que là encore, on ne sache pas comment cette influence est arrivée en France. C’est le cas de l’église de la Très-Sainte-Trinité construite au IXe siècle et située à Gemigny-des-Prés dans le Loiret. C’est la seule église de France ayant une mosaïque byzantine et dont l’oratoire présente un plan très similaire à celui de l’église Sainte Etchmiadzin en Arménie. Nous disposons aussi du glossaire d’Autun, daté de la fin du XIe siècle, juste avant les croisades, comportant des traductions en arménien. On peut enfin mentionner les écrits de Grégoire de Tours (539-594) qui atteste que l’évêque arménien Simon s’est réfugié dans son diocèse en 591. Ce sera par Simon que Grégoire de Tours apprendra le martyre de quarante huit chrétiens de Sébaste sous Licinnius en 320 soit presque trois cents ans auparavant . Si tous ces éléments prouvent qu’il existait des relations entre les deux pays, bien qu’elles soient restées sporadiques.
II – Au temps des croisades.
En 885 Achot Ier devient roi d’Arménie et il est reconnu à la fois par Byzance et le Califat. Cependant, en 1044, les Byzantins contraignent, le roi arménien de l’époque à abdiquer et ils annexent l’Arménie. En 1064 ce sont les Turcs seldjoukides qui s’emparent d’Ani, sous le commandement d’Alp Arslan. Ces événements ont pour conséquence le départ pour la Cilicie de bon nombre d’Arméniens dans cette fin de XIe siècle.
C’est Rouben, retranché dans les montagnes du Taurus, qui est à l’origine d’un Etat arménien durable entre l’Anti-Taurus et l’Amanus, en Cilicie. Ainsi dès 1080 et jusqu’en 1375, le centre de gravité de la civilisation arménienne se déplace vers les bords de la Méditerranée qui devient un nouveau foyer national. Cette migration en Cilicie, zone frontière entre l’Empire byzantin et le Califat entraîne fatalement la mort de nombreux Arméniens lorsque les deux Empires s’affrontent. La création par Rouben du royaume d’Arménie correspond avec le lancement de la première croisade, la Cilicie se trouvant sur la route de Jérusalem, le roi arménien bénéficiera de cette situation. Cependant, il y des bémols car il existe une certaine méfiance envers les Arméniens et cela depuis le Concile de Chalcédoine où les Eglises orientales refusent les conclusions du Concile sur la nature du Christ, provoquant un schisme. Autre problème à l’arrivée des croisés, la finalité même de l’expédition qui consistait à conquérir des territoires et non à respecter les peuples autochtones. Ainsi, le roi arménien Toros est tué suite à un soulèvement fomenté par Baudouin qui en profite pour fonder le comté d’Edesse au détriment des Arméniens. Les croisés fonderont trois autres royaumes en plus de celui d’Edesse, la Principauté d’Antioche, le Royaume de Jérusalem et le Comté de Tripoli, ce sont les quatre Etats latins du Levant. L’arme essentielle des Arméniens pour rester au pouvoir dans ces territoires conquis par les croisés ce sont leurs princesses; En effet, les croisés étaient venus pour s’installer, ils se marient donc avec des princesses arméniennes car les chevaliers ne pouvaient pas se marier avec des musulmanes et les syriaques avaient une société sans aristocratie. La reine arménienne qui aura le plus d’influence et qui passera à la postérité est Mélisande. Elle est la fille du roi Baudouin II et d’une princesse arménienne. Son père demande au roi de France de lui envoyer un chevalier pour épouser sa fille, elle épouse donc le prince d’Anjou mais se fait couronner avec lui. Elle veut marquer le fait que son mari n’est roi que grâce à elle. A la mort de son mari elle se fera à nouveau couronner avec son fils.
En 1187, Saladin reprend Jérusalem aux chrétiens et Guy de Lusignan doit lui remettre les clés de la ville. Lors de la troisième croisade (1189-1192), Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre et Philippe Auguste, roi de France prennent la route maritime pour reconquérir Jérusalem alors que l’Empereur du Saint Empire germanique, Frédéric Barberousse emprunte la route terrestre et demande de l’aide au roi arménien Léon Ier. Léon Ier dit « Le magnifique » entretient des relations suivies avec l’Occident et la culture arménienne est ouverte sur celle de l’Europe.
Au cours de toute cette période des croisades le contact entre les Arméniens et les Francs donne lieu à l’introduction de nombreux mots français dans la langue arménienne, essentiellement dans le langage de la Cour et des fonctions étatiques. Par ailleurs, le français était couramment parlé à la Cour d’Arménie mais les codes de lois des royaumes latins, les assises, rédigés en français sont traduits en arménien. En 1307, le Pape Clément V, Pape avignonnais, demande à Hayton, un érudit arménien qui avait de nombreuses relations avec les Mongols, d’écrire la première histoire des Mongols.
III – Du XIVe siècle à la fin du XIXe siècle.
A la mort de Léon Ier, une nouvelle dynastie arrive au pouvoir, les Héthoumides, qui recherchent l’alliance des Mongols. Mais peu à peu les Mongols se convertissent à l’islam et cessent de protéger les Arméniens. Le royaume d’Arménie se retrouve entre les Mongols et les Mamelouks qui sont d’anciens esclaves turcs qui avaient pris le pouvoir en Egypte. En 1375, c’est la fin de tout Etat arménien et ce jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Les Arméniens en dernier recours cherchent de l’aide en occident. Le Pape, exerce un chantage en rédigeant une liste « d’erreurs » commises par les Arméniens et que ces derniers devront « corriger » s’ils veulent de l’aide. Le Pape souhaitait que les Arméniens adhérent au catholicisme, ce que les Arméniens refuseront et il seront donc abandonnés à leur triste sort.
Lorsque le roi Léon IV meurt sans héritier en 1341 c’est son cousin Guy de Lusignan, qui ne régnera que deux ans, qui lui succède mais lui même n’ayant pas d’héritier c’est son cousin germain Léon de Lusignan qui sera le dernier roi arménien. Il régnera moins d’un an car en avril 1375 une atmosphère de suspicion et de trahison permettent aux Mamelouks de s’emparer de la capitale, Sis. Ils amènent en captivité au Caire Léon V et sa famille. Un franciscain, Jean Dardel, en chemin vers Jérusalem, rencontre Léon V et ayant lié amitié avec lui, il demande au sultan quelle est la rançon demandée. Le franciscain réunit la somme auprès du Roi de Castille et fait libérer Léon V. Ce dernier se rendra à la Cour d’Espagne pour remercier le roi Jean de Castille qui lui accordera le titre de « Seigneur de Madrid, Andujar et Villareal » puis s’installe en France où il cherche à convaincre les rois d’Angleterre, de France et d’Espagne à organiser une nouvelle croisade mais ce fut un échec à cause de la guerre de Cent Ans. Léon V a son gisant dans la Basilique de Saint-Denis et c’est le seul roi qui n’a jamais régné sur la France à avoir ce privilège.
Suite à la disparition du dernier royaume d’Arménie, des diasporas arméniennes se forment en Europe, la plus importante est celle d’Italie, mais la Crimée et l’Est de l’Europe accueillent aussi de grandes communautés arméniennes. L’imprimerie étant interdite dans l’Empire ottoman, les premiers imprimés arméniens sont publiés à Venise, en 1512 « Urbatagirk » est le premier livre publié en arménien par Hakob Meghapart. Certains imprimeurs arméniens s’étant réfugiés à Amsterdam, en 1666 ils publient la première bible arménienne. En France, le premier missel arménien sera publié à Marseille en 1672.
Le XVIIe siècle connaîtra une mode orientaliste avec notamment la tragédie de Corneille « Polyeucte » dont le héros est arménien ainsi que le roman de Voltaire « Zadig » ce qui signifie Pâques en arménien. Dans le parc du château de Versailles on trouve également deux statues sans nom dont on suppose qu’elles représentent les deux rois arméniens Tiridate et Tigrane. En 1672, un Arménien nommé Pascal, ouvre le premier café de Paris. Quant-au café Procope, qui existe toujours, il avait été fondé par un autre Arménien, Grégoire, avant d’être racheté par un Italien. Dans le domaine religieux, la France continue d’envoyer des missionnaires pour convertir les Arméniens au catholicisme mais le patriarche de Constantinople résiste fermement.
La Bibliothèque Nationale de France abrite environ 350 manuscrits arméniens car depuis François Ier et surtout sous Louis XV la France acquiert des documents arméniens, ce qui témoigne de la constance de l’intérêt que suscite l’Arménie et sa culture en France. En 1729 l’abbé Sevin se rend en Crimée pour acquérir de nouveaux manuscrits. Les Arméniens refusant de les céder, l’abbé paye des mercenaires Tatars qui les volent et les revendent aux Français. Alors que déjà Colbert, ministre de Louis XIV, organisait des expéditions pour former un fond de documents sur l’Arménie, au début du XVIIIe siècle François Pétrus de la Croix est le premier érudit français à se consacrer aux études arméniennes. En 1800, Napoléon crée un cours de langue arménienne ce qui permettra la formation de beaucoup d’intellectuels arméniens et en 1812 est créée la première chaire d’arménien. Par ailleurs, en 1855 paraît le premier périodique arménien en France « Massiats Aghavni » par Gabriel Aïvazian mais ce sera « Armenia » crée en 1885 à Marseille par Merguerditch Portougalian qui fonde véritablement la tradition journalistique arménienne de France. De plus, toujours au XIXe siècle, des savants français comme Victor Langlois ou Antoine-Jean Saint-Martin promeuvent les études sur l’Arménie et se rendent en Cilicie où ils récupèrent encore de précieux documents. A la fin du siècle plusieurs voyageurs font des photographies et des gravures qui sont autant de témoignages.
IV – Le XXe siècle.
Dès la fin du XIXe siècle un mouvement arménophile surgit en France suite aux massacres d’AbdulhamidII dans l’Empire ottoman. La répression féroce du sultan avait entraîné la mort d’environ 250 000 Arméniens entre 1894 et 1896 sans la moindre intervention des puissances occidentales. Si le courant des sympathisants aux Arméniens existe bel et bien certains intellectuels comme Pierre Loti, soutiennent les ottomans et vont jusqu’à écrire que les Arméniens sont « les pires des Juifs » ce qui est extrêmement condescendant au vu de l’ambiance antisémite qui régnait dans ces années. En 1902 est construite la cathédrale St Jean-Baptiste de la rue Jean Goujon dans le neuvième arrondissement de Paris, grâce aux dons d’Alexandre Mantashev, un richissime arménien, originaire de Tbilissi en Géorgie.
En 1915 un terrible génocide est minutieusement organisé dans l’Empire ottoman provoquant la mort d’un million d’Arméniens. Durant cette meurtrière année 1915, dans la région du Musa Dagh (Mont Moïse), les habitants des villages choisissent de résister à l’armée turque et défendent le siège durant 53 jours. A court de vivres et de munitions, ils fuient vers la plage. L’amiral français Dartige du Fournet qui mouillait au large des côtes syriennes décide de les sauver. Quelques 3000 Arméniens seront sauvés.
A la fin de la Grande Guerre, l’Empire ottoman est démantelé et par le Traité de Sèvres de 1920 l’Arménie obtient une part substantielle de l’Est de la Turquie actuelle, c’est-à-dire 46 000 km2 contre à peine 30 000 km2 actuellement. Cela est dû au fait que Mustafa Kemal, devenu chef de la nouvelle Turquie, ayant refusé de signer ce traité, poussera hors de Turquie les troupes françaises qui devaient contrôler et protéger le territoire des Arméniens de Cilicie; et d’autre part les Bolcheviks au Nord qui s’emparent d’Erevan et contrôlent le territoire historique des Arméniens. Pour les communistes arméniens, l’Union soviétique a sauvé du génocide turc un certains nombre d’Arméniens mais les socialistes ont une autre vision et rappellent qu’en 1947 Staline a fait appel aux Arméniens de la diaspora pour repeupler l’Arménie soviétique mais sitôt arrivés une grande partie est envoyée directement dans les goulags sibériens où ils meurent.
Le génocide des Arméniens restera longtemps un sujet tabou afin de ménager la sensibilité turque et ce n’est qu’en 1974 qu’a lieu en France la première étude sur le sujet et la France attendra 2001 pour reconnaître officiellement le génocide.
La situation actuelle de l’Arménie est assez médiocre, géographiquement elle est prise en étau par les deux parties qui forment l’Azerbaïdjan, économiquement la situation est très difficile ce qui entraîne un dépeuplement massif, les jeunes générations s’expatriant aux Etats-Unis ou en Russie. En ce qui concerne les relations entre la France et l’Arménie actuellement elles sont excellentes.
CONCLUSION
Le dernier royaume d’Arménie sur ses terres historiques fut détruit par Byzance en 1045, toutefois un nouveau royaume d’Arménie en Cilicie sera crée en 1098 par les croisés ce qui intensifiera les relations entre la France et l’Arménie. Mais en 1375, les Mamelouks scellent la fin du royaume d’Arménie, provoquant une diaspora notamment en France. Les intellectuels arméniens publieront leurs ouvrages hors d’Arménie car la situation des Arméniens sous l’Empire ottoman est difficile et aboutira au génocide de 1915. La diaspora arménienne s’accroît et dans les années 1920 la communauté arménienne de France compte quelques 600000 personnes. L’inaction des puissances occidentales face à la politique agressive de la Turquie a mené à l’Arménie actuelle qui n’est qu’une petite partie de la Grande Arménie et à la présente situation économique si préoccupante.
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