MAI 1944 : LA VICTOIRE FRANÇAISE DU GARIGLIANO

Thèmes: Civilisation, Géopolitique, Histoire                                                                                              Conférence du mardi 11 février 2025.

MAI 1944 : LA VICTOIRE FRANÇAISE DU GARIGLIANO

Par Monsieur Michel DAVID, Lieutenant-colonel (ER), docteur en histoire, ancien chef du département histoire-géographie de Saint-Cyr, enseignant à l’Université catholique ICES de la Roche-sur-Yon, guide conférencier.

INTRODUCTION
La bataille du Garigliano est la dernière campagne française en Italie, les armées françaises ayant combattu à de très nombreuses reprises sur le sol italien au cours de l’histoire (Marignan 1515, Arcole 1796, Rivoli 1797, Marengo 1800, Magenta et Solférino en 1859). Au début du XVIe siècle, le fleuve Garigliano marquait la frontière nord du royaume napolitain. Il a été le lieu de la bataille du Garigliano de 1503 lors des affrontements des Français avec les troupes espagnoles de Charles Quint pour le contrôle du royaume de Naples, affrontements qui virent la défaite des troupes françaises malgré la vaillance du chevalier Bayard.
Les exploits français lors de la bataille du Garigliano de 1944 vont permettre aux armées alliées d’enfoncer la ligne Gustav et d’atteindre Rome début juin 1944 alors que leur progression était interrompue depuis janvier de la même année. Ce fait d’armes marque la renaissance d’une armée française véritablement opérationnelle et qui occupera désormais une place entière auprès des Alliés. Curieusement, cette victoire française est peu évoquée dans les manuels scolaires. Cependant, un pont enjambant la Seine à Paris, construit dans le milieu des années 60, porte le nom du Garigliano, comme un beau témoignage de reconnaissance pour cette magnifique victoire.

I- Le contexte.
Entre novembre 1943 et juillet 1944, un Corps Expéditionnaire Français, sous les ordres du Général Juin, participe donc à la campagne d’Italie aux côtés des alliés anglo-américains.
Rappelons qu’en novembre 1942 a eu lieu le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. Les troupes françaises de l’armée d’Afrique, jusqu’alors sous le contrôle de Vichy mais entretenues par le général Weygand dans la perspective de reprendre la lutte contre l’Allemagne, se rallient aux Alliés. Encore très mal équipées, ces troupes du Maroc, d’Algérie et de Tunisie vont s’illustrer tout au long de la campagne de Tunisie qui s’achève par la reddition des forces germano-italiennes en mai 1943. Dans le même temps, les Forces Françaises Libres (FFL) qui se sont distinguées à Bir Hakeim accompagnent les troupes britanniques qui repoussent Rommel de Libye jusqu’en Tunisie. A l’issue de cette campagne de Tunisie où elles ont lutté contre le même adversaire mais de façon séparée, un profond antagonisme demeure entre soldats de l’armée d’Afrique ayant suivi Pétain et les FFL fidèles à de Gaulle. Il faut dire que les deux camps se sont affrontés à Dakar, au Gabon et lors de la campagne de Syrie. Cet antagonisme transparait à l’occasion du défilé de la victoire à Tunis, les FFL refusant de défiler avec l’Armée d’Afrique et choisissant de défiler avec les Anglais. Et pourtant, les pertes de l’armée d’Afrique durant cette campagne, près de 15 000 hommes tués, blessés ou disparus, auront été supérieures aux seuls effectifs rassemblés par les FFL.

En juillet 1943 les forces alliées débarquent en Sicile. Les Américains sur la côte sud de l’île et les Britanniques sur la côte nord-est. C’est à qui arrivera le premier à Messine. Mais, le débarquement est mal préparé et les pertes humaines sont élevées. Finalement c’est le général américain Patton qui arrivera le premier à Messine, la conquête de la Sicile provoquant la signature d’un armistice avec l’Italie qui se range aux côtés des Alliés. En dépit de ce succès, les anglo-américains ne réussissent pas à empêcher la fuite de quelque 140 000 hommes qui viendront renforcer les troupes sur la péninsule et ainsi ralentir considérablement la progression des Alliés. En septembre 1943, les Alliés finissent par débarquer sur la péninsule italienne, les Américains du général Clark à Salerne et les Britanniques du général Alexander à Reggio, l’objectif étant d’atteindre Rome en décembre 1943.

II- Les enjeux et les forces françaises en présence.
Le premier enjeu de ce débarquement en Italie est le contrôle de la Méditerranée, surtout pour les Anglais qui veulent maintenir la sureté du canal de Suez et des routes commerciales de leur empire. Le deuxième enjeu est de faciliter l’avancée des troupes soviétiques sur le front de l’Est en ouvrant un second front à l’Ouest et ainsi diviser les forces allemandes. Diplomatiquement, les anglo-américains satisfaisaient une demande récurrente de Staline qui souhaitait un débarquement en Europe afin de soulager ses troupes. Le troisième enjeu était d’attirer les forces allemandes vers le Sud afin de préparer le débarquement de Normandie.
C’est le général Giraud, commandant en chef, qui prépare la campagne d’Italie. Désormais, les troupes françaises dont les Anglo-Saxons ont reconnu les mérites en Tunisie, sont équipées de neuf par l’armée américaine. Par ailleurs, même s’il demeure des séquelles des divergences d’opinion, « Africains » et FFL vont combattre côte à côte sous les ordres du général Juin qui fait l’unanimité tant par ses compétences tactiques et stratégiques que par sa dimension humaine dans le commandement. Contrairement à son camarade de promotion Charles de Gaulle à Saint-Cyr, Juin, lui, ne s’intéressera jamais à la politique.
Dans un premier temps, seules deux divisions françaises débarquent en Italie, la 3e division d’infanterie algérienne – la 3ème DIA du général de Monsabert et la 2e division d’infanterie marocaine – la 2ème DIM du général Dody ; deux autres divisions viendront plus tard.
Ces divisions françaises sont composées de soldats confirmés, robustes, gens de l’Atlas habitués à vivre dans des milieux hostiles. La plupart sont des engagés et il faut noter à ce sujet le formidable élan patriotique des Pieds-Noirs qui se sont mobilisés en masse pour libérer la Mère Patrie. On retrouve également de jeunes Français de métropole qui ont fui après que l’Allemagne a envahi la zone libre en novembre 1942.
En plus des divisions classiques, le corps expéditionnaire en Italie comprend les groupes de Tabors marocains du général Guillaume. Rompues au combat en zone montagneuse, ces unités formées de goumiers ont la particularité d’être accompagnées de mulets, les brels, qui assurent le port des charges et le transport logistique. Ces animaux parfaitement adaptés aux pentes escarpées et aux terrains caillouteux, permettent aux fantassins d’avancer rapidement sur des terrains difficiles dépourvus de routes voire même de pistes. En Italie, l’emploi des mulets sera généralisé, le Corps Expéditionnaire Français en possédant environ 10 000 accompagnés de vétérinaires et de maréchaux-ferrants. Les goumiers joueront un rôle essentiel dans les victoires françaises du Belvédère et du Garigliano.

III- Les opérations
Le Garigliano est un petit fleuve d’une quarantaine de kilomètres formé par la confluence des rivières Rapido et Liri, et qui se jette dans le golfe de Gaète sur la mer Tyrrhénienne. La chaîne montagneuse des Abruzzes et le fait que la péninsule italienne ne soit large que de 80 kilomètres à cet endroit a permis aux Allemands d’y construire la redoutable ligne Gustav qui va de la mer Tyrrhénienne à la mer Adriatique et barre la route vers Rome. Cette ligne est très solide car, établie sur une certaine profondeur, elle est composée de bunkers, de dispositifs enterrés, de champs de mines et de barbelés. Des observatoires installés sur tous les points hauts permettent d’en surveiller aisément les approches En son centre et à l’entrée de la vallée du Liri, la ligne Gustav s’appuie sur le mont Cassin qui est dominé par la célèbre abbaye devenue un haut lieu de la chrétienté depuis sa fondation par Benoit de Nursie au VIe siècle. Benoit est le fondateur de l’Ordre des bénédictins. Au pied de la montagne se trouve la ville de Cassino, à l’entrée de la vallée du Liri.
Les troupes anglo-américaines qui sont motorisées ne peuvent remonter vers Rome par les routes côtières solidement tenues par les troupes allemandes du maréchal Kesselring. Les Alliés décident alors de percer la ligne Gustav en son centre, de conquérir la vallée du Liri et, par cet axe central, de rejoindre Rome. Dès le mois de décembre 1943, les Français se sont distingués en s’emparant des hauteurs qui permettent d’approcher la ligne Gustav, les monts Pantano et Mainarde. Lors de la première bataille de Cassino, fin janvier 1944, les Américains confient aux Français une opération secondaire de diversion au nord de la zone afin de détourner en partie les forces allemandes du verrou de Cassino et de pouvoir plus facilement attaquer de front. Les Français, grâce notamment au 4e régiment de tirailleurs tunisiens, parviennent à franchir le Rapido et à prendre pied sur la ligne Gustav en s’emparant des hauteurs du Belvédère. Dans le même temps, les Américains connaissent une sanglante défaite à Cassino tout en se montant incapables d’exploiter le succès français.
Suite à cet échec, le général Freyberg, commandant les troupes néo-zélandaises, obtient du Premier Ministre Churchill l’accord pour le bombardement du mont Cassin en dépit des réticences du général Clark. En février 1944, quelque 500 tonnes de bombes tombent sur l’abbaye pourtant délaissée par les Allemands qui s’en étaient retiré sur l’insistance des moines en laissant une zone démilitarisée de 300m autour de l’édifice dans le but de le préserver. Des moines et de nombreux civils qui y avaient cherché protection y trouvèrent la mort. Pour un résultat nul, le général Freyberg avait détruit la plus ancienne et la plus prestigieuse abbaye d’Europe.

En mars, les Anglo-américains décident de lancer une nouvelle attaque directe sur Cassino. Et à nouveau c’est un échec. La seule victoire alliée sur la ligne Gustav demeure celle des Français du Belvédère. Le général Juin ne comprend pas l’entêtement américain et il est furieux que les Anglo-américains ne lui aient pas apporté des renforts pour poursuivre l’avancée suite à sa percée sur le Belvédère.

En ce mois de mars, deux nouvelles divisions françaises arrivent pour renforcer le Corps expéditionnaire français : la 4° Division Marocaine de montagne du général Sevez et la 1° Division motorisée d’infanterie (ou des Français Libres) du général Brosset. S’y ajoute un corps de goumiers marocains. Le général Juin dispose ainsi d’une petite armée de 112 000 hommes avec laquelle il va pouvoir véritablement manœuvrer. Les troupes françaises changent alors de secteur pour être mises à la disposition de la V° Armée de Clark dans le secteur sud, le long du Garigliano.
Les deux attaques frontales contre le mont Cassin ayant échoué, le général Juin parvient enfin à faire valoir sa stratégie qui consiste à éviter toute attaque frontale et au contraire à opérer un large débordement par le sud en passant par les monts Aurunci pour se rabattre ensuite vers le nord. Ce contournement des forces allemandes devrait les obliger à abandonner le verrou du Mont Cassin et permettre aux Britanniques d’avancer enfin dans la vallée du Liri.

La troisième bataille de Cassino a lieu du 11 au 21 mai 1944. Le général Juin cherche à surprendre les Allemands en attaquant de nuit sans préparation d’artillerie. En dehors de quelques gains de terrain, cette première tentative est un échec mais Juin est conforté par les rapports qui lui arrivent sur son adversaire. Le 13 mai, avec l’appui des 400 canons du CEF, il lance un nouvel assaut. C’est la ruée des tirailleurs marocains qui, après s’être emparés du mont Faito, conquièrent le mont Majo. Dès le 15, la 4° DMM et le Corps de Montagne franchissent l’Ausente et font irruption dans les monts Aurunci. La 3° DIA parvient à Esperia le 17 tandis que la 1°DFL avance sur la rive sud du Liri. Comme Juin l’avait calculé, l’avancée du CEF tant en montagne que dans les vallées, entame le dispositif défensif allemand de la ligne Gustav et ouvre la vallée du Liri aux Alliés. La course vers Rome peut enfin commencer. C’est un petit détachement français qui arrivera le premier au cœur de Rome après s’être discrètement infiltré au milieu des troupes américaines de Clark qui font leur entrée officielle dans la ville sainte le 5 juin.
Après la prise de Rome, le CEF poursuit la lutte en remontant jusqu’à Sienne et la Toscane. Courant juillet, les Français sont retirés du front pour préparer le débarquement de Provence. Cette campagne d’Italie leur aura coûté 32 000 tués, blessés et disparus.

 

CONCLUSION
Au terme de cette campagne qui aura consacré le renouveau de l’armée française, le général Alexander, commandant en chef en Italie, écrit au général Juin : « Je vous exprime mon admiration sans borne pour la maîtrise avec laquelle vous avez conduit vos troupes et mené vos batailles. Sous votre direction éclairée et ardente, la gloire des armes françaises a été une fois de plus manifestée au monde. » Cette action déterminante vaudra au général Juin d’être décoré de l’ordre du Bain par le roi d’Angleterre et la reconnaissance des généraux alliés.
Un télégramme du général Marshall, chef d’état-major général des armées américaines au Pentagone, au général Clark, le 5 juin 1944 mentionne :
Présentez mes félicitations au général Juin et à ses commandants de division pour le succès qu’ils ont remporté. Dites-leur qu’ils ont fait revivre l’armée française que je connaissais, celle de la Marne et de Verdun.

 

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