Thèmes – Histoire, Société Mardi 18 septembre 2018
14-18 : LE SPORT SORT DES TRANCHÉES – UN HÉRITAGE INATTENDU DE LA GRANDE GUERRE
Par Michel Merckel, professeur honoraire.
INTRODUCTION
Au XIXe siècle, l’activité physique est réservée aux classes sociales privilégiées pour lesquelles c’est un loisir. Comme on peut l’imaginer, les classes ouvrières et les paysans qui effectuaient des tâches très pénibles physiquement ne pratiquaient aucun sport. C’est après la Grande Guerre que l’on assiste à l’essor de la pratique du sport. La première guerre mondiale a été une guerre longue, extrêmement pénible aussi bien physiquement que moralement. Maurice Genevoix écrira « Ce que nous avons fait c’est plus qu’on ne pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait ». Dans un tel contexte, le sport a permis à de nombreux soldats de découvrir de nouveaux sports apportés par les combattants anglo-saxons et surtout d’avoir des moments d’évasion afin d’oublier l’horreur de la guerre.
I – L’évolution de la pratique sportive.
En 1914, la France compte 41,6 millions d’habitants et 1,5 millions d’affiliés à des sociétés de gymnastique et de tir, les fédérations telles qu’on les connaît actuellement n’existant pas. Parmi ces affiliés on ne dénombre que 300 000 sportifs c’est-à-dire des personnes qui participent à des compétitions. On évoquera cette faible pratique du sport en France comme l’une des raisons de la défaite de 1870 face à la Prusse qui elle, mettait en valeur l’exercice physique et la nécessité d’un corps fort pour avoir un esprit fort.
Au début du XXe siècle, les deux sports les plus populaires en France sont le cyclisme et la boxe. Le football avait été ramené d’Angleterre, sous Napoléon III, par les bourgeois et il était considéré comme un sport pour les oisifs. Quant au rugby, il avait été ramené par les marins britanniques. L’Eglise condamnait ce sport car elle l’estimait trop violent et le rugby devint un sport de laïcs. Entre 1919 et 1920, au sortir de la guerre, plusieurs fédérations sont créées, notamment celles de rugby, de natation et de football.
Durant la Grande Guerre, le sport est présent et connaît une certaine évolution au cours des années de guerre. On peut distinguer trois phases : l’initiation entre 1914 et 1915, l’enracinement en 1916 et la reconnaissance à partir de 1917 et enfin l’envol du sport en 1919.
La Grande Guerre débute en août 1914 et ce que l’on prévoyait être une guerre courte commence par la débâcle de la cavalerie française. La première bataille de la Marne est gagnée par les troupes françaises mais entérine une ligne de front fixe et dès la fin de 1914 la guerre de tranchée débute. Joffre lance deux attaques très coûteuses en hommes et le moral des troupes est au plus bas. On s’ennuie beaucoup, Henri Barbusse écrit « On est devenus des machines à attendre » et cette attente dans les tranchées insalubres mine le moral des combattants. Pour s’occuper on fait de l’artisanat, on joue de la musique, on lit, on écrit et on joue des pièces de théâtre et on joue au football et au rugby. Grâce au sport on oublie les combats et des sports que l’on aurait du mal à imaginer pouvoir être pratiqués en temps de guerre sont pourtant bien pratiqués. Ainsi, on fait de l’équitation grâce aux chevaux de la cavalerie, de la natation dans les rivières, des sports de force et, dans les Vosges, on fera même du saut à ski. Les publications de revues et journaux sont très importantes et des comptes rendus de matchs et de compétitions sportives apparaissent régulièrement dans les journaux des tranchées.
Dès 1916, le sport s’enracine durablement dans la guerre et les combattants pratiquent de plus en plus un sport. Le 21 avril 1916 commence la bataille de la Verdun et le Maréchal Pétain organise ce qui sera appelé le tourniquet, c’est-à-dire qu’il fait tourner les soldats, entre front et repos. Cette organisation paraît bien nécessaire lorsque l’on sait que Verdun c’est 300 jours de combats et aucun gain de terrain. Le 1er juillet, c’est l’offensive de la Somme, là aussi en quelques jours la perte en hommes est très lourde. Ce jour on dénombre 20 000 morts britanniques. Le contact avec les Anglo-saxons ne fait que renforcer la pratique du sport et la diffuser. En effet, on pratique régulièrement la course, le rugby et le football mais de nouveaux sports apparaissent. Les Canadiens par exemple apportent la compétition du bûcheronnage. Par ailleurs, de nombreux soldats anglo-saxons initient les enfants des villages autour des zones de combats à toutes sortes de sports. Certains de ces enfants seront tant marqués par cette découverte que dans l’après-guerre ils participeront à la création des diverses fédérations françaises. Les pertes dans les rangs des Alliés quelle que soit leur nationalité et le contact permanent amènent les soldats à organiser des tournois interalliés. On prend conscience des valeurs du sport et des attitudes nées dans la pratique sportive, comme le fair-play, touchent les combattants.
1917 est l’année de la reconnaissance du sport comme élément important dans la guerre d’autant plus que les combats continuent de faire rage et le nombre de morts est très élevé. Le 16 avril c’est la bataille du Chemin des Dames, durant laquelle le Général Nivelle s’entête, engendrant un terrible massacre. Les poilus après des mois d’horreur se mutinent. Pétain réussit à gérer la crise et en juin 1917 il fait passer une circulaire où il prône le repos avec du sport. On effectue des achats de maillots et de ballons et, de nombreux tournois et compétitions sont organisés. Le premier prix n’est pas une coupe ou une médaille mais une permission. Le football prend de plus en plus d’ampleur.
L’arrivée en 1917 des Etats-Unis dans le conflit a des conséquences sur la relation au sport de la part des combattants. Tout d’abord l’état d’esprit change et désormais on fait du sport pour gagner, c’est l’esprit de compétition des Américains. De gros moyens et un apport massif de matériel arrivent grâce aux moyens financiers des Etats-Unis. De nouveaux sports aussi sont « importés » notamment le base-ball, le basket-ball et le volley-ball. Les Américains vont aussi innover dans l’organisation du sport et ils vont créer de nombreux foyers sportifs, les Young Men’s Christian Association (YMCA) qui disposent déjà d’une très bonne infrastructure et de moyens conséquents.
On peut mentionner que plusieurs célébrités américaines ont participé à la première guerre mondiale comme par exemple Cole Porter, Humphrey Bogart, Walt Disney, Buster Keaton ou Ernest Hemingway.
En novembre 1918, l’armistice est signé mais les soldats ne sont pas démobilisés et continuent de pratiquer divers sports. En 1919 on assiste à un véritable envol du sport. Ainsi en juillet 1919 ont lieu les premiers Jeux Interalliés à Vincennes. Les Américains avaient construit un somptueux stade, le stade Pershing, qu’ils offriront à la France. De nombreuses épreuves y ont lieu, comme l’athlétisme ou le basket-ball. L’école militaire de Joinville sert de lieu d’hébergement. Au vu de ces Jeux, qui ont connu un grand succès populaire, dès 1920 se pose la question de savoir si les Jeux Olympiques doivent avoir lieu. Il est décidé qu’ils auront lieu, et ce sera à Anvers, port quasiment entièrement détruit par la guerre. On veut faire de ces Jeux la vitrine de la reconstruction européenne et surtout du renouveau sportif du vieux continent. Ainsi, on fait appel à des entraîneurs américains pour progresser.
II – L’héritage sportif de la Grande Guerre.
Avant la première guerre mondiale, les femmes ne peuvent participer qu’à des marches, le sport leur étant interdit car il abîmerait l’appareil reproductif féminin. En 1903 est organisée la marche des Midinettes qui tire son nom des couturières parisiennes. Elles sont 2 500 à participer et la gagnante court les douze kilomètres en 1 heure et 10 minutes, ce qui est remarquable pour l’époque. En 1918 Alice Milliat crée la Fédération Sportive Féminine de France mais de son côté, Pierre de Coubertin affirme « Il n’y aura point d’Olympiade femelle ». En réponse, se tiennent en 1922 les Olympiades féminines au stade Pershing à Vincennes. Au vu du succès, 20 000 spectateurs se rendent au stade où concourent des athlètes de cinq pays dans onze compétitions, et en 1928 les femmes participeront pour la première fois aux Jeux Olympiques qui se tiendront à Amsterdam.
Après la guerre, les sports collectifs connaissent un essor important. James Naismith, professeur d’éducation physique dans le Massachusetts invente le basket aux Etats-Unis avec de vieux ballons de football et un panier à légumes. Ce sport est inventé pour remettre en état les blessés du football américain, sport très violent qui met à mal les organismes. Il faut donc un sport où les contacts physiques sont restreints. Durant la guerre on joue beaucoup au basket ce qui contribuera à son essor après la guerre mais aussi parce qu’il bénéficiera du patronage catholique. De nos jours, la Fédération Française de Basket est la quatrième de France avec 630 000 licenciés.
Après-guerre le sport qui connaîtra le plus grand essor, est le football. Une coupe de France est organisée qui sera baptisée coupe Charles Simon. La première finale a lieu en mai 1918 et voit la victoire de l’Olympique de Pantin face à Lyon. En avril 1919 est créée la Fédération Française de Football présidée par Jules Rimet, lieutenant durant la guerre, qui reprend la coupe Charles Simon et la transforme en Coupe de France, épreuve à laquelle peuvent participer tous les clubs, comme c’est toujours le cas de nos jours ; c’est pourquoi on assiste parfois à des finales opposant un célèbre club de première division avec un petit club de niveau bien inférieur. Jules Rimet deviendra président de la FIFA pendant 25 ans et il créera la Coupe du Monde, qui sera jouée pour la première fois en 1930 en Uruguay, dont l’Uruguay sortira vainqueur. La Coupe du Monde de football connaîtra un succès grandissant jusqu’à atteindre une immense popularité de nos jours.
Pour ce qui est du rugby, le premier championnat de France a lieu en 1892 avec 14 clubs dont 12 originaires de la région parisienne. Ainsi le Racing club de France devient le premier champion de France. Le bouclier de Brennus est créé pour l’occasion. Ce bouclier est l’œuvre du sculpteur Charles Brennus d’où son nom. Le monde du rugby est celui qui a payé le plus lourd tribut au conflit, on estime que quelques 200 rugbymen affiliés et 24 porteurs du maillot de l’équipe nationale sont tués. Le premier match de la France contre les Néo-zélandais surnommés les All Blacks a lieu en 1906 à Paris et ce sont les All Blacks qui gagneront 38 à 8. Pendant la guerre on crée les « All Blacks de guerre » pour qu’ils fassent une tournée auprès des scolaires, ce qui sera un grand succès. En octobre 1916 sort le premier numéro de la revue « Rugby ». Les hommes entre 20 et 40 ans étant au front seuls les seniors et les enfants jouent, ce qui amènera la création des catégories d’âge, principe qui sera adopté par tous les sports et dans le monde entier.
La guerre laisse énormément de mutilés et d’estropiés. On utilise le sport comme moyen de rééducation. Les blessés eux-mêmes organisent des petites compétitions entre eux. Les premiers fauteuils roulants apparaissent et les prothèses progressent énormément et on assiste alors à des compétitions entre hommes appareillés. Des gueules cassées refont du sport notamment de la boxe comme Eugène Criqui, blessé par un éclat d’obus à la tête et qui reprend la boxe à la fin de la guerre. Ses efforts le mèneront à décrocher le titre de champion du monde à New York en 1923. En décembre 1918 est créée par Eugène Rubens Alcais la fédération des sourds-muets. Alcais organise en août 1924, au stade Pershing, les premiers Jeux Mondiaux des sourds. Les épreuves disputées sont l’athlétisme, le cyclisme, le football, la natation et le tir. Le succès est tel que par la suite les handicapés participent aux Jeux Olympiques. Actuellement on compte 100 000 licenciés en handisport dans 86 disciplines différentes.
III – Les champions.
De très nombreux champions ont participé à la Grande Guerre, en particulier les joueurs de rugby, comme nous l’avons vu mais toutes les disciplines ont vu leurs champions contribuer au conflit.
François Fabert qui avait remporté le tour de France de cyclisme en 1909, meurt en 1915 dans les combats ; on ne retrouvera jamais son corps. On peut citer bien d’autres exemples comme l’aviateur Roland Garros, mort en combat aérien, et qui donnera son nom au célèbre complexe de tennis de la porte d’Auteuil ; le boxeur Georges Carpentier, premier Français champion du monde de boxe anglaise ; Jean Bouin spécialiste de course de fond, médaillé d’argent aux Jeux Olympiques de 1912 sur 5000 mètres; Charles Devendeville, nageur et joueur de water-polo, premier français champion olympique de natation; Léon Flament rameur d’aviron, médaillé de bronze aux J.O de 1928. Le bilan parmi les grands sportifs est bien lourd, on compte 429 grands sportifs morts durant la guerre.
En 2016, au stade de France, on inaugure un monument aux sportifs morts pour la patrie. Le tribut des rugbymen a été si lourd qu’un monument leurs est dédié au Chemin des Dames. Le monument est inauguré le 16 septembre 2017 en présence de 500 personnes dont plusieurs anciens champions français et britanniques. Le monument est une sculpture conçue par Jean-Pierre Rives ancien capitaine emblématique du XV de France.
CONCLUSION
Avant la Grande Guerre le sport ne jouait pas un grand rôle dans la société française. L’arrivée dans le conflit de nombreux Anglo-saxons et leur apport de nouveaux sports comme le basket ou le base-ball influent sur la place de plus en plus importante que prend le sport. Ils apportent aussi l’idée de compétition et de performance. Pendant la guerre on comprend que le sport est un moyen de créer des liens et d’entretenir les corps et les esprits. Immédiatement après la guerre de nombreuses fédérations sportives sont créées permettant le développement de la pratique sportive et la création de diverses compétitions nationales et internationales. Certains sports comme le football vont connaître un essor fulgurant.
Bibliographie : 14 – 18, le sport sort des tranchées par Michel Merckel, édition Le Pas d’oiseau
Un commentaire
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