6 juin 1944, LE DEBARQUEMENT

Thèmes: Histoire, Société                                                                                                                    Conférence du mardi 18 octobre 1994

6 juin 1944, LE DEBARQUEMENT

Par le Colonel Jacques Vernet. Travaille à la délégation de la Mémoire et de l’information historique au ministère des Anciens combattants et victimes de guerre

Pourquoi un débarquement ?

Certains généraux estimaient que l’on pouvait très bien se passer de grandes batailles et que seule l’aviation pouvait régler certains conflits. Après la défaite de 1940, il était possible d’imaginer que les Anglais, puis les Américains bombardent l’Allemagne et l’anéantissent pour amener les Allemands à capituler. Roosevelt et Churchill avaient envisagé de prendre cette décision.

Mais, pour vaincre un adversaire, la seule solution est de l’attaquer et d’occuper son territoire. En 1940, c’est l’adversaire qui occupait notre territoire, il fallait donc le reconquérir.

Le 4 juin 1940, les troupes françaises et britanniques sont encerclées dans la poche de Dunkerque. A la chambre des Communes, Churchill annonce l’échec des opérations du nord de la France, la fin de la campagne de Belgique, le repli de Dunkerque et conclut son discours en disant « nous reviendrons », expression utilisée plus tard aux Philippines par Mac Arthur.

Hitler s’est engagé contre les Russes en juin 1941 et dès lors, la menace d’un débarquement possible en Europe occidentale provoque l’incertitude dans le commandement allemand qui est obligé de maintenir des troupes face à cette menace, troupes ainsi indisponibles pour vaincre l’adversaire terrestre principal de l’Allemagne, l’Union soviétique.

D’autre part, cette menace permanente d’un débarquement possible gèle une partie des moyens des Allemands et permet aux Alliés de mieux se défendre sur les autres campagnes.

La préparation du débarquement

Churchill met sur pied des opérations combinées pour préparer des raids sur des objectifs ponctuels sur le continent. Il nomme, à la tête de ces opérations combinées, un jeune officier, oncle du Prince Philippe d’Edimbourg, Lord Mountbatten.

Le raid de Bruneval, où sera construit après la guerre le port pétrolier du Havre-Antifer, près du cap d’Antifer, est organisé par les opérations combinées pour tester la manière de faire un aller-retour à travers la Manche avec des vedettes rapides et de s’emparer de certaines pièces de radars allemands afin de faire de la « contre-guerre électronique ».

Le raid de la bataille de l’Eau lourde, vers les côtes norvégiennes, est également préparé par les opérations combinées.

Ces raids « frapper et revenir » procèdent de ce conditionnement progressif des troupes anglaises pour préparer le débarquement.

Puis les Etats-Unis entrent en guerre (que se serait-il passé si Hitler n’avait pas déclaré la guerre aux Etats-Unis ?) et la guerre devient mondiale.

En 1942, la mobilisation des Etats-Unis est totale et la nation américaine devient le grand pilote de la coalition avec le Président Roosevelt et impose sa stratégie.

Un premier projet est mis au point, l’opération Round-up (rassemblement), qui consisterait en une concentration massive de troupes en Grande-Bretagne. Ce projet reste en suspens en l’absence d’engins de débarquement et sachant que les sous-marins nazis font la loi dans l’Atlantique.

Les Américains mettent au point un autre projet, le plan Boléro, pour transférer 1 500 000 soldats américains en Grande-Bretagne. 75 000 bateaux, 268 millions de tonnes de matériel provenant du Canada et des Etats-Unis sont ainsi acheminés à travers l’Atlantique vers l’Angleterre.

A ces soldats américains s’adjoignent 1 750 000 Britanniques, 25 000 soldats du Commonwealth et 40 000 volontaires français, hollandais, norvégiens, polonais.

Mais devant le succès du général Montgomery, à la tête de la VIIIème armée anglaise à El-Alamein contre l’Afrika Korps de Rommel, Churchill impose aux Américains un débarquement en Afrique du Nord, c’est l’opération Torch.

En novembre 1942, cette opération a attiré en Afrique du Nord des hommes et du matériel allemands qui ainsi dégageront le front russe et apparaîtra à Staline comme une aide indirecte. Le commandant en chef de cette opération est un général de brigade américain à peu près inconnu, Dwight D. Eisenhower.

En janvier 1943, Churchill rencontre le président Roosevelt à Casablanca. Eisenhower reçoit l’ordre de préparer l’assaut contre la Sicile et il est convenu que le débarquement en Europe aura lieu au printemps 1944 sous l’autorité du général britannique Frederick Morgan qui recevra le titre de Chef d’Etat-Major du Commandement Allié (COSSAC).

La tâche principale du COSSAC est de mettre au point les plans d’une invasion de l’Europe qui sera baptisée opération Overlord.

Où débarquer ?

Logiquement le choix aurait dû se porter sur la route la plus courte, le Pas-de-Calais, mais les Allemands, qui s’en doutent, y renforcent considérablement leurs ouvrages défensifs.

COSSAC opte pour le Cotentin, dans une zone située entre l’Orne et la Vire. Des divergences apparaissent sur d’autres points car Washington souhaite consacrer un maximum d’engins de débarquement pour les campagnes du Pacifique alors que Churchill réclame une invasion de l’Italie. Il est aussi suggéré un débarquement dans le midi de la France, nom de code Anvil (enclume) pour contraindre les Allemands à dégarnir leurs forces en Normandie.

L’une des conditions importantes pour réussir le débarquement est d’avoir la suprématie aérienne au-dessus des plages de ce débarquement. Cette suprématie ne peut se faire qu’avec des chasseurs de petite taille qui ne peuvent aller loin.

Opération Forfitude

Les lieux du débarquement ayant été choisis, il devient indispensable de persuader les Allemands qu’il aura lieu dans le Pas-de-Calais, d’où la mise en place d’une campagne d’intoxication de l’ennemi, baptisée Forfitude.

L’aviation allemande survole le Kent où elle photographie des leurres, d’énormes concentrations de chars et d’engins de débarquement construits en caoutchouc, en toile et contre-plaqué. Un autre préparatif de diversion est la création d’un grand quartier général imaginaire qui encombre les ondes d’un faux trafic radio.

Le jour J, Forfitude doit envoyer en Manche de longs convois de petits bateaux équipés de leurres radars pour simuler les mouvements d’une véritable armada faisant route sur Dieppe. Ces mesures réussirent si bien que le haut commandement allemand demeura dans l’ignorance des lieux du débarquement.

Les préparatifs de l’Opération Forfitude

Outre la masse de renseignements fournis par la Résistance et les photos aériennes, on a rassemblé toutes les cartes postales de la côte normande et bretonne que les touristes britanniques avaient envoyées à leur famille durant leur séjour en France. Ces cartes postales permettaient, entre autres, aux soldats de se familiariser avec les terrains sur lesquels ils allaient arriver.

C’est de cette époque que datent les premiers nageurs de combat qui devaient aller chercher du sable et des cailloux afin de connaître la composition des plages sur lesquelles les navires allaient s’échouer, les blindés rouler, etc.

L’amère expérience de la tentative de débarquement dans le port de Dieppe en 1942 a convaincu les stratèges de la nécessité de ports artificiels et de l’appui d’engins blindés pour permettre à l’infanterie de se battre sur les plages. Pour protéger les plages, de nombreux bateaux seront coulés au large pour former des brise-lames, appelés « Gooseberry », puis des caissons de béton « Phoenix » déplaçant chacun 600 tonnes seront posés sur le fond pour constituer une barrière solide. A l’intérieur du port, les navires mouilleront le long de quais baptisés « spud » reliés à la plage par des passerelles flottantes.

La construction de ces ports artificiels demande du temps, ce qui explique que le commandement politique reporte à 1944 l’idée d’un débarquement et en août 1943, au cours d’une conférence à Québec, Roosevelt et Churchill fixent la date du débarquement au 1er mai 1944.

L’élément qui va jouer un grand rôle dans le débarquement est la capacité de transport. Or, fin 43, le débarquement en Italie nécessite beaucoup de navires. Ces navires seront envoyés en Angleterre avec tous les risques que cela comporte … la bataille de l’Atlantique avec les sous-marins allemands continue.

Le commandement suprême des forces alliées est confié à un officier américain, en raison de la prépondérance des troupes et matériels des Etats-Unis engagés dans l’armée d’invasion. Le choix se porte sur le général Eisenhower qui s’installe à Londres et les troupes commencent à s’organiser.

La date du débarquement fixée primitivement au 1er mai 1944 a été repoussée au 5 juin. Cette dernière date correspondait à une marée compatible avec le débarquement (la plus grande marée basse) et à la pleine lune (pour la visibilité).

Cinq divisions d’assaut aidées par des troupes aéroportées seront engagées en première vague : trois divisions britanniques (dont l’une sera composée de Canadiens) et deux divisions américaines.

Si Eisenhower a le commandement suprême, le général Montgomery commande les forces terrestres.

Cinq sites de débarquement ont été repérés :

Utah entre Saint-Martin-de-Varreville et l’embouchure de la Douve

Omaha de l’Est de Colleville-sur-Mer à l’Ouest de Vierville-sur-Mer

Gold à l’Est du lieudit La Rivière jusqu’à l’Ouest du Hamel
(Position centrale, elle situe le débarquement : « Arromanches »)

Juno entre Saint-Aubin-sur-Mer et l’embouchure de la Seulles

Sword à l’embouchure de l’Orne.

Utah et Omaha sont donnés aux Américains, Gold et Sword aux Britanniques, Juno aux Canadiens.

Les troupes sont réunies au Sud de l’Angleterre et un premier groupe de 170 000 hommes est embarqué le 3 juin, mais la météo annonce des conditions atmosphériques très mauvaises pour le 5 juin : une tempête violente amène Eisenhower à différer de 24 heures le jour du débarquement.

Le jour J

Pour que l’effet de surprise soit maximal, les Alliés interviennent sur plusieurs fronts à la fois dans la nuit du 5 au 6, deux grandes routes aériennes doivent faire diversion à l’Est et à l’Ouest en déversant près de Carentan et de Ouistreham des milliers de planeurs et de parachutistes, cependant que les convois maritimes empruntent les chemins qu’ont ouvert pour eux les dragueurs de mines en direction des cinq plages choisies.

L’attaque se déroule en deux temps :

. Entre 0 h et 3 h du matin, trois divisions aéroportées (deux américaines et une britannique) sont larguées en vue de côtes.

. Entre 6 h 30 et 7 h 30, cinq divisions d’infanterie se dirigent vers les plages selon une répartition en deux secteurs, l’un américain, l’autre anglo-canadien.

OMAHA BEACH

La 1ère division d’infanterie américaine commandée par le général Clarence Huebner a pour objectif d’atteindre Isigny, Trévières, Vaucelles et de capturer la batterie de la Pointe du Hoc qui peut balayer à la fois la plage de Utah et de Omaha.

34250 hommes ont été débarqués. Sur 2 400 tonnes de matériel, 100 seulement sont arrivées à bon port. Les estimations officielles font état de plus de 2 000 morts et blessés. Au soir du 6 juin, la situation est précaire, presque toute l’artillerie, la plupart des chars et des moyens de transmission ont été engloutis. Les munitions risquent de manquer.

UTAH BEACH

La 4ème division d’infanterie américaine commandée par le général Barton a pour mission de s’assurer une tête de pont comprenant Quinéville, Sainte-Mère-Eglise, Les Forges et Sainte-Marie-du-Pont.

Elle a atteint presque tous ses objectifs. Au soir du 6 juin, elle est intacte et prête à passer à l’attaque. Au total 23250 hommes, 1 700 véhicules et 1 695 tonnes d’approvisionnement ont pu être débarqués.

GOLD

La 5ème division d’infanterie britannique, commandée par le général Graham, a pour mission d’atteindre Bayeux et d’assurer la liaison avec les troupes canadiennes et américaines.

Au soir du 6 juin, elle n’a pas atteint ses objectifs. 24 970 hommes ont été débarqués, les pertes en hommes sont de 423 tués, blessés ou disparus.

JUNO

La 3ème division d’infanterie canadienne commandée par le général Keller a pour mission de joindre les hauteurs à l’Ouest de Caen. Retardée dès le début par l’état de la mer et les obstacles immergés, l’opposition des Allemands à Bernières et Saint-Aubin, elle n’atteint pas ses objectifs.

21 400 hommes ont été débarqués ainsi que 3 200 véhicules et 2 100 tonnes de matériel. Les pertes humaines sont de 304 tués, 574 blessés et 47 prisonniers.

SWORD

La 3ème division d’infanterie britannique commandée par le général Rennie a pour mission de capturer Caen le plus tôt possible, mais Caen ne tombera que le 9 juillet.

28845 hommes ont été débarqués avant minuit. On évalue les pertes à 630 tués ou blessés sur la plage.

BILAN DU JOUR J

Les Alliés ont pris pied sur le continent, ouvrant une brèche dans « le Mur de l’Atlantique » tout le long de la côte de Normandie. Les pertes sont inférieures à ce qui avait été envisagé. L’opération est un succès, mais tous les objectifs ne sont pas atteints. Pour les Alliés, la phase suivante d’Overlord consiste à rassembler des forces suffisantes pour écraser l’armée allemande de Normandie, puis à se déployer en direction de la Seine.

Empruntons la conclusion à l’ouvrage de David Howarth « 6 juin à I’ aube » (Presses de la cité) : « Quand la nuit tomba, les hommes qui avaient débarqué les premiers étaient las. La guerre peut être mécanisée, les batailles restent limitées par l’endurance humaine. Certains se battaient toujours, d’autres purent se reposer. Dans la Manche, des navires vides en croisaient d’autres chargés d’hommes et de matériel. Dans les ports anglais, les embarquements se poursuivaient, des masses avançaient vers eux à travers tout le sud de l’Angleterre. L’assaut était terminé, la bataille pour la consolidation commençait.

+ de 1050 textes des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches  et via le QRCode   

2 commentaires

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.