IL ÉTAIT UNE FOIS LE TITANIC

Conférence du mardi 14 mars 1989

 

 

IL ÉTAIT UNE FOIS LE TITANIC        

Par Patrice Lardeau, responsable des Relations Publiques à IFREMER Méditerranée (Institut de Recherche pour l’Exploitation de la Mer), nous a raconté l’histoire du Titanic.

 

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Le début du XXème siècle est marqué dans le domaine des relations maritimes entre l’Europe et les Etats-Unis par la prééminence des compagnies allemandes qui assurent la majorité des liaisons entre les deux continents.

Dès 1905, l’Angleterre décide de relever le défi et met en œuvre une politique de développement de ses deux principales compagnies, la « Cunard line » et la « White Star Iine ».

La première réponse est la mise en service par la « Cunard line » de deux grands Paquebots, le « Mauritania » et le « Lusitania », qui vont permettre le retour du « Ruban bleu » en Europe (distinction qui récompense le passage le plus rapide entre l’Europe et les Etats-Unis).

En 1909, c’est au tour de la « White Star » de décider la mise en construction de 3 transatlantiques : l »‘Olympic », le « Titanic » et le « Gigantic ».

L »’Olympic » est mis en exploitation en 1911.

En 1912, c’est au tour du « Titanic » d’entrer en service.

10 avril 1912 – Le Titanic, remorqué hors du port de Southampton, part pour New-York

Le 10 avril de cette année-là, il quitte le port de Southampton pour son voyage inaugural qui doit le mener en 5 jours à New-York.

Malgré l’importance de l’évènement, le paquebot n’est pas plein. Il n’accueil1e ce jour-là que 2280 passagers pour une capacité totale de 3300 personnes.

Par contre, tout ce que la société compte de célébrités a tenu à participer à la première traversée ce qui apparaît, à cette époque, comme l’aboutissement des capacités technologiques du monde industriel. Les ponts inférieurs accueillent, en outre, des centaines d’émigrants partant vers les Etats-Unis afin de tenter un nouveau départ dans ce pays dont le dynamisme laisse espérer des réussites exceptionnelles.

Le Titanic, construit à Belfast, par les chantiers Harland et Wolf, ressemble à l’extérieur au paquebot Olympic lancé l’année précédente par ces mêmes chantiers. Mais à l’intérieur il se distingue de son « bateau frère » par un luxe bien supérieur, dépassant largement tout ce qui avait été réalisé auparavant et faisant de lui un véritable palace flottant.

Bien qu’il soit équipé d’un système propulsif impressionnant développant plus de 50 000 chevaux lui permettant de filer 24 nœuds, il n’a pas été conçu pour s’attaquer au « Ruban bleu » détenu par la société concurrente, la « Cunard line ». Tous les efforts ont porté sur le confort et la sécurité. Sa coque de 270 m de long est divisée en compartiments par 15 cloisons étanches, et le navire a été construit de façon à ce qu’il reste à flot même si 3 de ces compartiments venaient à être envahis par les eaux.

Une telle hypothèse est tellement invraisemblable que le paquebot est réputé insubmersible. Pour cette raison, officiers et hommes d’équipage répètent à qui veut l’entendre que « même Dieu ne pourrait le faire sombrer ».

Pour cette raison aussi, les canots de sauvetage ont une capacité très inférieure au potentiel d’accueil du liner (1175 places réparties en 20 embarcations pour 3300 personnes).

Les premières heures de la traversée font disparaître, s’il en était besoin, les appréhensions des passagers les plus angoissés. En effet pour les uns, tous les plaisirs sont présents à bord et il faut en profiter, pour les autres, moins favorisés dans les ponts inférieurs, l’espoir est au bout du voyage.

Aucun incident ne vient troubler les premiers jours de navigation. Le paquebot est régulièrement tenu au courant par radio de la présence et du déplacement des icebergs qui doivent croiser sa route dans la soirée du 14 avril.

Ce soir-là, le ciel est clair et la mer parfaitement calme, mais la température est fraîche. Le paquebot file 22 nœuds bien qu’il navigue dans la zone où les icebergs ont été signalés.

Frederick Fleet est dans le nid de pie pour effectuer la veille puisqu’il n’y a pas de radar à cette époque. A 23h 40, lorsqu’il aperçoit un immense iceberg droit devant le paquebot, le Titanic n’en est plus qu’à environ 500 mètres. Il alerte l’officier de quart, qui immédiatement donne les ordres nécessaires. Le paquebot de plus de 500 tonnes, lancé à pleine vitesse, vire sur bâbord, sa proue évite l’iceberg, mais son flanc tribord racle la masse de glace.

A bord, les passagers de première classe ne ressentent « qu’un très léger frémissement ». Pourtant la blessure est mortelle. La coque a été éventrée sur près de 100 mètres, 5 compartiments étanches sont rapidement engloutis.

L’invraisemblable s’est produit.

A partir de ce moment, les choses vont aller très vite et l’agonie du paquebot va être dramatiquement courte : 160 minutes. Sous les ordres du Commandant Smith, l’évacuation du bateau est ordonnée.

Mais plusieurs facteurs retardent l’exécution de l’évacuation :

– dans un premier temps, les passagers n’arrivent pas à croire que le Titanic est réellement en danger. Le choc a été si faiblement ressenti. En outre, ne leur a-t-on pas dit que le paquebot était insubmersible ?

– au niveau des troisièmes classes, le problème est totalement différent. Ils ont parfaitement compris, dès les premiers instants, que l’avarie était sérieuse, mais afin de prolonger la survie du paquebot, les portes étanches ont été verrouillées. Les passagers sont prisonniers.

– beaucoup de couples, à l’instant du drame refusent la séparation.

Pour ces différentes raisons, les premières chaloupes partent chargées seulement au tiers de leur capacité.

Au moment où les passagers prennent conscience que leur vie est en danger, il est trop tard. L’insuffisance du nombre des embarcations de sauvetage exclut toute évacuation complète du bâtiment en perdition.

Dès que les officiers, accompagnés de l’ingénieur Andrews, responsable de la construction du Titanic, se rendent compte que le bateau est perdu, un signal de détresse est lancé par radio. Simultanément des fusées de détresse sont tirées à partir du pont des embarcations afin d’attirer l’attention d’éventuels bateaux évoluant à proximité.

Or, des bateaux, il y en a !

Mais une tragique suite de quiproquos ne permettra pas aux bateaux de porter secours au Titanic : mauvaise évaluation de la distance des fusées, point mentionné lors du message de détresse faux.

Dans le monde entier, l’émotion, à l’annonce du naufrage, va être considérable. Le nombre de victimes (1490), mais aussi leur notoriété, expliquent l’ampleur des réactions. Mais il faut aller plus loin pour expliquer totalement l’impact de la tragédie sur l’opinion publique, impact qui donnera naissance au « mythe Titanic ».

En 1912, une folle espérance est nourrie par les nombreuses prouesses technologiques. Nombreux sont ceux qui estiment que, grâce aux progrès techniques, tous les problèmes sociaux, économiques mais aussi philosophiques sont en passe de trouver une solution.

Le « technologisme » s’est peu à peu substituée au scientisme, doctrine philosophique très en vogue au XIXème siècle.

Or, en quelques heures, le monde hébété prend conscience que ce colosse technologique a des pieds fragiles et c’est une dramatique remise en question de toute une hiérarchie des valeurs.

En Angleterre, le choc est encore plus rude. Persuadée de sa prééminence industriel1e, elle ressent comme une humiliation le fait que ce soit une de ses réalisations destinées justement à asseoir sa position de leader qui, en fait, sonne le glas de folles espérances placées dans ce domaine.

Les recherches

Malgré les années qui passent, le souvenir du naufrage reste vivace dans la mémoire des chasseurs de trésors certes, mais également dans la mémoire collective, ce qui est beaucoup plus significatif.

Preuve de cet intérêt demeuré intact après plus de 70 ans, un certain nombre de recherches effectuées dans le but de retrouver l’épave. Certaines d’entre elles sont suivies d’opérations en mer. Dans tous les cas, le résultat est négatif, soit parce que les moyens mis en œuvre ne permettent pas de retrouver l’épave, soit parce que la zone de recherche est mal définie.

En 1984, l’Institut Woods Hole Oceanography Institution (WHOI) décide d’étudier une nouvelle fois la question et propose une action commune à l’IFREMER.

L’IFREMER termine à cette époque à Toulon la construction d’un sonar latéral profond à haute résolution : le SAR (Système Acoustique Remorqué) destiné à la reconnaissance géomorphologique du plancher océanique.

Remorqué au bout d’un câble par son navire support, il est en mesure, en naviguant à 70 mètres au-dessus des fonds marins, d’en donner une image précise. A chaque passage, il « visualise » une bande de 1 000 mètres de large. Remorqué à une vitesse de 2,5 nœuds, il peut ainsi « couvrir » en heures une zone de 110 km2 environ.

L’analyse des livres de bord des navires ayant été mêlés de près ou de loin à l’évènement, la synthèse des témoignages, la prise en compte des données météorologiques des 13, et 15 avril 1912, ainsi que l’étude des courants permanents qui affectent ce secteur ont permis de définir une zone de km2 à l’intérieur de laquelle il y avait une forte probabilité que se situe l’épave.

Une préparation technique suivit cette étude historique.

Découverte de l’épave : le 1er septembre 1985

Les détails de la mission furent définis au cours de réunions préparatoires entre Américains et Français.

Il y fut décidé que les recherches se dérouleraient en 3 phases, les deux premières menées par la France à partir du navire océanographique « le Suroit », mettant en œuvre le SAR et le magnétomètre (mesurant le champ magnétique qui peut être perturbé par la présence de débris métalliques), la troisième étape assurée par le navire océanographique « Knorr » appartenant à la marine américaine et opérant avec des engins portant caméras et appareils photos, « l’Argo » et « l’Angus ».

Dans un premier temps, le mouillage d’un champ de balises acoustiques permit la localisation de l’épave sur le fond. Compte-tenu des données météorologiques relevées sur le site depuis plus de cinquante ans et de l’obligation de travailler face aux courants pour garder au bateau toute sa manœuvrabilité, ces balises devaient être mouillées de manière à délimiter un couloir de 4 km de largeur orienté sud-ouest, nord-est et à l’intérieur duquel le sonar devait effectuer 4 rails parallèles.

Le 9 août 1985, la zone déterminée à la suite de l’étude historique a été explorée à plus de 80 %. Compte-tenu de la qualité exceptionnelle des enregistrements réalisés par le SAR et le magnétomètre, il est certain que le Titanic ne se trouve pas dans la zone qui a été couverte.

Fortes de cette certitude, les équipes américaines vont relayer leurs partenaires français. Ils arrivent sur la zone le 25 août. Le « Knorr » appartenant à l’US Navy, accueille à son bord, outre les ingénieurs et techniciens américains, 3 ingénieurs français qui assureront l’interface avec les deux missions précédentes. Deux engins sous-marins, « l’Angus » et « l’Argo », sont mis en œuvre à partir du bateau.

Le 1er septembre, alors qu’il ne reste plus que 5 jours de campagne et quelques hectares à explorer, la caméra vidéo montée sur l’Argo enregistre l’image d’un élément que les ingénieurs qui travaillent depuis des mois sur les plans du Titanic identifient sans peine. C’est une chaudière parfaitement reconnaissable malgré les 73 années passées sous l’eau. Compte-tenu de son poids, cette masse d’acier a coulé droit vers le fond. C’est la signature du lieu du naufrage : le reste de l’épave ne peut pas être éloigné. En effet, quelques dizaines de mètres plus loin, les caméras découvrent successivement des débris épars puis l’épave, cassée certes, mais parfaitement protégée, dans cette eau sans vie et presque sans oxygène, des attaques de la corrosion et de toute concrétion. Seule une mince couche de sédiments fins recouvre les superstructures.

Les derniers jours de cette mission permettront d’effectuer grâce à une caméra fixée sur un châssis remorque, un relevé photographique de la zone. L’épave git sur un fond presque plat. Le bateau est cassé en deux parties. L’avant très bien conservé s’est posé à plat. L’arrière, distant d’environ 600 mètres, n’est au contraire qu’un amas de tôles et de poutrelles tordues. La forme générale est conservée mais les dégâts subis sont considérables.

La cassure s’est produite à l’arrière de la seconde cheminée. Tout autour des deux parties de l’épave, le plancher océanique est couvert d’objets hétéroclites et de débris disposés tels des pièces répandues autour d’une tirelire brisée.

Le retentissement de cette découverte va être considérable.

Toutefois, grâce à un effort médiatique de très grande ampleur mené par nos partenaires américains, ce sont eux qui en tireront le plus grand bénéfice.

Pour la partie française, dont le rôle a été essentiel, mais qui n’a pas eu la chance de détecter l’épave, la seule consolation est que cette campagne a clairement démontré la valeur de sa technologie. Les essais de matériels ont été très satisfaisants et les enseignements d’ordre technique riches et nombreux.

C’est donc dans cette atmosphère en demi-teinte que rendez-vous est pris pour l’expédition 1986. Elle constitue le deuxième volet des accords qui ont été conclus avec les américains. L’objectif de cette mission est de réaliser un document vidéo sur l’épave grâce aux photos prises en 1985.

Les aspects techniques de cette opération ne posent guère de problèmes. Le sous-marin « Nautile » construit en 1984 à Toulon a déjà fait ses preuves. Il est capable d’amener trois hommes à des profondeurs de 6 000 mètres. Equipé de 2 bras télémanipulés depuis la sphère en titane qui constitue l’habitacle de l’équipage, il peut effectuer sur le fond des travaux d’une certaine complexité.

En outre, l’IFREMER songeait depuis quelques mois déjà à la mise en construction d’un petit engin destiné à l’observation rapprochée de zones dangereuses, et interdites de ce fait aux sous-marins habités. Relié par un ombilical de 70 mètres au Nautile, à partir duquel il serait télécommandé, ce petit robot, muni de 3 caméras vidéo et d’un appareil photo, devait, grâce à un très faible encombrement, permettre d’atteindre les objectifs inaccessibles au sous-marin porteur.

Fin 1985, il est décidé de lancer la phase de construction de manière à ce que ROBIN (Robot d’Inspection du Nautile) soit opérationnel pour la mission Titanic.

Un cordon de 70m relie Robin, robot télécommandé, au Nautile.

Le 28 juin 1988, le NAD1R, le NAUTILE et le ROBIN sont en instance de départ.

« Le départ sur zone est imminent et nous aurons quelques jours pour plonger sur le Titanic avant que les américains ne nous rejoignent avec leur sous-marin ALVIN capable d’intervenir jusqu’à 4000 mètres et le JASON JUNIOR comparable à notre ROBIN. Malheureusement, la déception va être forte car le sponsor se retire et nous ne pouvons recueillir les financements promis. »

Nos partenaires américains ne sont pas concernés par cet ajournement. Ils vont passer près de deux semaines sur le site. Les problèmes financiers réglés, le samedi 18 juillet, le « NAD1R », portant le NAUTILE et le ROBIN appareille des Açores.

Les plongées vont se succéder. Ainsi, plus de 800 objets ont été remontés à la surface et cela en 32 plongées d’une durée moyenne de plus de 9 heures.

Tous les objets remontés du fond sont livrés à EDF à qui incombe la responsabilité de les traiter par électrolyse ou électrophorèse afin qu’ils ne se détériorent pas au contact de l’air après un séjour de plus de 75 ans dans les eaux glacées de l’Atlantique Nord.

Au cours de cette longue opération, la France a montré l’excellence de sa technologie. Le mérite en revient à tous les chercheurs, ingénieurs et techniciens qui ont su appréhender les problèmes à résoudre, y apporter la solution adéquate et assurer la mise en œuvre des engins propres à relever ce défi du XXème siècle.

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