PASSÉ, PRÉSENT ET AVENIR DES MALADIES INFECTIEUSES

PASSÉ, PRÉSENT ET AVENIR DES MALADIES INFECTIEUSES

PROFESSEUR Henri MOLLARET

Mardi 11 octobre 1988

Le Professeur Henri Mollaret, professeur à la faculté de médecine de Paris et à l’Institut Pasteur, chef de l’unité d’écologie bactérienne à l’Institut Pasteur, expert à l’Organisation Mondiale de la Santé pour les maladies infectieuses, a parlé, devant un public venu nombreux l’écouter, des maladies infectieuses.

Les maladies infectieuses ne sont pas n’importe quel type de maladie.

Il s’agit d’un aspect particulier de la pathologie aussi bien chez l’homme que chez l’animal.

C’est le conflit permanent de deux mondes.

Une maladie infectieuse, qu’elle soit due à des bactéries, à des virus, à des champignons, à des parasites …, résulte de l’affrontement de deux mondes : celui de l’infiniment petit et celui des organismes supérieurs (hommes ou animaux).

Il ne faut pas croire que la situation épidémiologique : naissance et vie des maladies contagieuses, soit fixée une fois pour toute.

Depuis une vingtaine d’années, nombre de maladies nouvelles sont apparues : maladie des légionnaires, yersiniouses, sida…

La raison majeure en est la suivante : le monde est couvert de micro-organismes, bactéries, virus ou autres. L’homme n’est encore entré en relation qu’avec une très petite partie de cette population agressive. Si l’on considère les quelques millénaires que représente la période historique de l’humanité depuis la « naissance » de l’Univers, cette période est extrêmement courte et nous ne sommes pas dans un monde définitivement établi où les rapports de force sont définitivement mis en place.

L’Homme est en grande partie responsable de ses maux, de ses maladies infectieuses.

Involontairement, inexorablement, les activités de l’Homme se modifient, ses relations avec l’environnement changent. Il est resté pendant des siècles, à côté d’espèces agressives, de microbes, de virus, qui vivaient là où l’Homme n’avait pas encore pénétré. Il n’était pas en relation avec les espèces microbiennes, ne leur permettant pas ainsi de manifester leur agressivité à son égard.

Tant que l’Homme ne commet pas telle ou telle modification, dans son mode de vie, dans son alimentation, dans ses activités, bouleversant l’ensemble de l’écologie à la surface du globe, tel ou tel microbe micro-organisme reste caché, attendant son heure, ou la venue de l’Homme.

PASSE DES MALADIES INFECTIEUSES

L’homme des cavernes était déjà attaqué par la tuberculose, la syphilis. Nous le savons car ce sont des maladies qui laissent des traces dans le tissu osseux. Nous savons aussi par sa momie que Ramsès fut atteint de variole.

Pour un assez grand nombre d’endémies*, nous possédons des informations historiques plus ou moins précises permettant de dire qu’à telle époque, telle maladie existait.

* Endémie : maladie sévissant en permanence dans une région donnée, favorisée par certaines conditions épidémiologiques et entretenue par des conditions défectueuses d’hygiène.

Parmi les grandes maladies qui ont dévasté des continents, on peut citer la peste noire (1348) qui en deux ans a fait plus de 50 millions de morts, c’est-à-dire les 2/3 de la population de l’Europe.

Pendant des siècles, ces maladies ont été un conflit entre l’humanité qui se développait et une population bactérienne ou virale qu’elle n’avait jamais rencontrée auparavant.

Les grands fléaux :

On a déjà cité la peste qui existait bien avant l’Antiquité grecque ou latine.

La peste, maladie contagieuse dont le vecteur est la puce, est partie de la région des contreforts himalayens, gagnant lentement les réglons occidentales.

Si la peste a atteint l’Europe, c’est parce que les Tatars l’avaient utilisée comme arme bactériologique. En 1347, les Génois, navigateurs et commerçants, avaient installé un petit comptoir en Crimée. C’était l’aboutissant pour l’Occident de toutes les navigations méditerranéennes qui exportaient vers l’Orient, et inversement c’était l’aboutissant des routes de la soie, des caravanes, des épices qui à travers les déserts d’Asie Centrale venaient jusqu’à la mer pour faire des échanges avec l’occident.

Un jour, une horde de Tatars est venue mettre le siège devant le comptoir. Les Génois se sont défendus pendant un an et les Tatars allaient lever le siège lorsque la peste a frappé les agresseurs.

Ces derniers eurent l’idée de lancer à travers les murailles quelques cadavres pestiférés, espérant répandre la maladie à travers la ville. Lorsque les Génois virent ces cadavres, ils reconnurent facilement la maladie et partirent au plus vite. Malheureusement, est-ce qu’ils embarquèrent avec eux un rat ou une puce infectés ? Toujours est-il qu’ils débarquèrent la peste en Europe.

Actuellement, l’Europe est débarrassée de cette maladie, les USA n’arrivent pas à s’en défaire, l’URSS la connaît comme une des maladies majeures de son territoire ; l’Asie et l’Afrique sont encore sous l’emprise de ce fléau.

Le Typhus est une autre maladie, qui a longtemps dévasté les populations de l’Antiquité. II a lentement régressé lorsque l’Homme a modifié son comportement.

En effet, le typhus est transmis par le pou que les progrès de l’hygiène ont contribué à faire disparaître.

Ainsi, la peste et le typhus sont deux maladies dont la dispersion dans l’espèce humaine est liée à des ectoparasites (parasites externes) humains : la puce et le pou.

Or, ces deux maladies ont régressé spontanément, à partir de la première moitié du 17ème siècle, sans qu’aucun effort médical valable à l’époque n’ait pu être entrepris.

Que se passa-t-il en Europe qui ait pu influencer les puces et les poux ? Deux modifications du comportement humain sont intervenues :

. Au début du 17ème siècle, l’Homme a commencé à se déshabiller pour dormir et à porter des vêtements de nuit qu’il alternait avec des vêtements de jour. La biologie des puces et des poux est conditionnée par la chaleur. Ces insectes frileux ne peuvent se reproduire qu’à condition qu’un hôte, l’Homme, leur donne la chaleur nécessaire. Donc, pendant des siècles, l’Homme a vécu avec ses élevages de puces et de poux dans ses vêtements. Mais à partir du moment où il a quitté ses vêtements pour la nuit, ceux-ci se refroidissant ont été les responsables de la rupture du cycle de vie des parasites.

. En même temps, l’Homme a commencé à se savonner pour sa toilette.

Ces nouvelles pratiques introduites peu à peu au cours de l’évolution de nos mœurs ont contribué à limiter ces deux grandes maladies.

La variole a constitué, pendant des siècles elle aussi, une grande cause de mortalité. Au 17ème siècle, elle tuait environ 1/3 des personnes atteintes. Sur les passeports de l’ancien régime, on notait si la personne était ou non « grêlée » (traces de la variole marquant la peau de « cratères » à la manière de grêlons marquant le sol, les plantes, etc.).

La tuberculose a connu son grand développement à partir de la fin du 18ème siècle et son extension a été liée à l’essor industriel.

Les maladies de l’enfance : rougeole, rubéole, coqueluche …

Dans les siècles passés, les grands pèlerinages, les grandes foires, les marchés … ont été à l’origine d’explosions épidémiques dont nous n’avons plus maintenant l’équivalent sauf dans quelques régions d’Afrique.

La diphtérie a tué un enfant sur trois jusqu’aux travaux de l’Institut Pasteur. Sa quasi disparition en France est due à la généralisation des vaccinations.

La grippe. Il est difficile de savoir quand elle est apparue sur la Terre. Elle a reçu divers noms.

En 1918, il y eut l’effroyable épidémie qui fit plus de morts que n’en fit la guerre.

Cette maladie est toujours d’actualité, mais elle sévit par vagues épidémiques et l’agent responsable, un virus, a la particularité de varier dans ses caractères, d’où la difficulté d’un programme à long terme pour un vaccin unique.

Le choléra. Citons-le choléra qui est encore responsable d’épidémies importantes en différents points du globe.

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Ainsi, les maladies infectieuses ont toutes un berceau. Elles y sont cantonnées tant que l’Homme ne les fait pas sortir.

Le plus dangereux pour la contagion n’est pas tant le malade lui-même, car il est connu et peut être isolé, mais le porteur sain du germe qui le dissémine autour de lui.

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On regroupe sous le nom de zoonoses les maladies communes aux animaux et à l’Homme.

Au fur et à mesure que les échanges internationaux ont augmenté, il n’y a pas eu que les hommes et les animaux à voyager, mais tous les matériels, les sous-produits d’origine animale, etc.

A titre d’exemple, on voit parfois éclater dans une collectivité, une toxi-infection alimentaire parce qu’on a fait dans un collège une omelette avec des œufs importés de Chine. Quelques mois après, l’enquête permet de voir que les œufs étaient infectés par un certain microbe.

On sait que la maladie du charbon n’existe plus chez nous. Néanmoins, nous pouvons encore contracter cette maladie par des produits d’origine animale venant de zones où sévit cette maladie. Tous les ans, on s’aperçoit que des personnes ont contracté cette maladie en se frottant avec un gant de crin animal importé du Liban, ou bien des dockers sont contaminés en déchargeant des carcasses de vaches venues d’Inde pour être transformées en poudre pour l’agriculture ou utilisées pour la fabrication de colles industrielles.

Vis à vis de ces maladies contagieuses, comment l’humanité a-t-elle réagi ?

Pendant des siècles, l’humanité a prié. Elle voyait, à travers ces épidémies, un châtiment de Dieu.

Les gens fuyaient, ce qui est une très mauvaise chose, car ainsi, les porteurs sains dispersaient la maladie.

Puis, peu à peu, les hommes ont eu l’intuition du phénomène de contagion, mais les médecins furent les derniers à l’admettre.

En effet, dès le 16ème siècle, des précautions furent prises :

. on établit des cordons sanitaires.

. on institua des quarantaines.

Peu à peu, ces mesures draconiennes ont fini par freiner la circulation de port à port et de province à province, et ont contribué à limiter la propagation de ces maladies.

II faut attendre l’ère Pasteurienne pour que la situation en matière de pathologie infectieuse soit bouleversée.

Ces maladies sont causées par des micro-organismes qui circulent par divers moyens.

La découverte des agents des maladies infectieuses, de l’épidémiologie de ces maladies, des mécanismes des maladies, allaient permettre des prophylaxies* rationnelles.

* Prophylaxie : ensemble des mesures destinées à empêcher l’apparition ou la propagation d’une ou plusieurs maladies.

Rapidement des armes ont été apportées par les travaux de Pasteur : les vaccins.

Puis, avant la seconde guerre mondiale, la découverte des sulfamides, puis celle des antibiotiques, ont complété l’arsenal.

Avec la possibilité de juguler des infections, de guérir des malades qui auparavant étaient condamnés, l’humanité a fait un pas de géant. Dans le cas de la variole : l’éradication de cette maladie est dûe à un programme mis en place par l’O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé). Ce fut un travail de très longue haleine consistant à vacciner à travers le monde entier.

Mais ceci n’est possible que pour les maladies transmissibles seulement d’homme à homme, et dont l’agent responsable ne résiste pas dans la nature (sol, air, eaux, etc.).

Exemples de ce que l’avenir nous réserve :

Certaines maladies jusque-là inconnues « explosent » à un moment donné et l’on sait que ce phénomène continuera à se produire dans le futur.

La maladie du légionnaire en est un bon exemple et son histoire ressemble à un véritable roman policier : il y a une quinzaine d’années, les légionnaires, anciens combattants américains de la deuxième guerre mondiale, se réunirent à quelques milliers dans un hôtel pour y tenir pendant trois jours leur congrès.

Ils rédigent des motions qu’ils photocopient. Dès le 3ème jour, on voit apparaître 300 cas de pneumopathies graves, avec une forte mortalité. Tous les malades furent regroupés dans des hôpitaux militaires, ce qui fait que la notion de maladies épidémiques s’est imposée, ce qui n’aurait pas été le cas si chacun avait consulté son médecin personnel.

L’opinion publique décida d’emblée que c’était une agression microbienne lancée aux U.S.A. par les Soviétiques. L’enquête dura 1 an et demi avec une méthodologie tout à fait remarquable. Tout fut passé au peigne fin.

Il ressortit qu’il s’agissait d’une maladie pulmonaire, d’une contamination par voie aérienne par inhalation.

On a découvert qu’un nouveau stock de papier pour photocopieuses contenait une teneur en cadmium 10 fois supérieure à celle du stock précédent, mais ce n’était pas la cause de la maladie.

En fait on découvrit qu’un microbe que l’on appela « Legionella » était la cause de cette maladie.

Tous les appareils de refroidissement de la climatisation avaient des zones basses, dans lesquelles l’eau se condensait et qui étaient des cultures de Legionella. Quand la climatisation fonctionnait, les microbes étaient inhalés.

Ces microbes existaient depuis longtemps, étaient stockés dans des laboratoires comme microbes non identifiés, mais la maladie n’était apparue que depuis peu.

On sait maintenant que l’on peut se baigner dans une mare grouillante de Legionella, car ce microbe est très largement répandu dans la nature. La bactérie n’agresse l’Homme que si elle est nébulisée (« atomisée ») et absorbée sur une microparticule humide.

Il a donc suffi d’un progrès technique pour que des microbes présents depuis longtemps dans notre environnement fassent apparaître une maladie réellement nouvelle.

De même, tous les facteurs analysés ont montré que les modifications de notre alimentation ont favorisé l’explosion de certaines maladies.

En conclusion, il y a des maladies, certaines ont régressé, d’autres apparaissent de par l’action involontaire de l’Homme.

***

Question : Qu’en est-il du sida ?

« Nous n’avons encore aucune indication valable sur l’origine du ou des virus du sida, rien que des hypothèses. Il est néanmoins vraisemblable que ce virus existait depuis longtemps avant la reconnaissance de la maladie. Cette reconnaissance elle-même est certainement très largement postérieure à l’apparition de la maladie elle-même ; le sida, c’est-à-dire la disparition des défenses naturelles de l’organisme contre les infections de toutes sortes, n’ayant pas de traduction clinique réellement pathognomique*, n’a été reconnu qu’à l’occasion des complications infectieuses (infections opportunistes, infections à pneumocystis carinii, sarcome de Kaposi, etc.) suffisamment polymorphes pour avoir pu exister depuis des décennies sans que le diagnostic de sida ait pu être posé et que le sida lui-même soit découvert. Selon un remarquable historien de la médecine, le Professeur Mirko Grmek, le sida est certainement une maladie ancienne ; il relate l’hypothèse selon laquelle Erasme en aurait été atteint. Il est très vraisemblable que le virus existait depuis des décennies, voire des siècles, mais ses « chances épidémiques » ne lui furent données que par l’évolution dans les mœurs et dans les pratiques sexuelles. La libération sexuelle, le passage de l’homosexualité de la clandestinité à la large diffusion, l’extension de la pratique de la sodomie chez les hétérosexuels ont constitué les conditions indispensables à la dispersion explosive du sida. »

* pathognomique : se dit d’un signe caractéristique d’une maladie.

 

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