Thème : HISTOIRE Mardi 1er Mars 2011
Par Françoise Navarre, Avocat honoraire
Tout comme John Kennedy, dont l’assassinat est officiellement l’œuvre du seul Lee Harvey Oswald, Henri IV a prétendument été la victime d’un tueur isolé, François Ravaillac, qui lui infligea deux coups de couteau, dont l’un mortel à l’aorte, le 14 mai 1610, rue de La Ferronnerie, à Paris. Au cours de son procès bâclé en treize jours, ce meurtrier nia avoir bénéficié de complicités. « Qui t’a donné l’ordre de tuer le roi ? – Dieu. – Tu connais le châtiment pour régicide de la part d’un homme seul ? – La vie éternelle lorsque le roi est un tyran. » A l’époque, on conclu à l’acte isolé d’un fou de Dieu, endoctriné par les sermons entendus dans les églises d’Angoulême, d’où il est originaire. Ravaillac est arrivé à Paris presque sans argent vingt-huit jours auparavant, et on ne comprend pas ce qu’il aurait bien pu faire, seul, dans l’intervalle.
Il existe la thèse d’un complot espagnol – soutenue par l’historien Jules Michelet – et impliquant Marie de Médicis (qui venait d’être sacrée reine, le 13 mai), le duc d’Epernon et la marquise de Verneuil. En 1611, Jacqueline d’Escoman les accuse d’avoir comploté pour le compte de l’Espagne (contre qui Henri IV se préparait à entrer en guerre). Mais, n’ayant pu prouver ses assertions, elle est condamnée pour lèse-majesté à l’encontre de la reine. En 2009, l’historien Jean-Christian Petitfils avance une autre théorie, la piste belge : Ravaillac aurait été manipulé par l’archiduc des Pays-Bas catholiques, Albert de Habsbourg, qui craignait une action d’Henri IV pour récupérer Charlotte de Montmorency, retenue en Belgique par son mari, le prince de Condé. La situation politique est particulièrement tendue. La succession des duchés de Clèves et de Juliers ravive la tension entre catholiques et protestants et met le feu à l’Europe. Les catholiques doutent de la sincérité de la conversion du roi huguenot. Ils soupçonnent Henri IV de vouloir rétablir le protestantisme en France et de préparer une Saint-Barthélemy à l’envers. Pour M. Petitfils, la rumeur qui court à Dinan, à Juliers, à Anvers et à Bruxelles portant sur l’assassinat du roi, douze jours avant qu’il ne se réalise est une des preuves (parmi d’autres) que Ravaillac a été manipulé par une équipe de tueurs belges. De plus, le complot et le nom des comploteurs est évoqué dans un courrier de l’ambassadeur de Genève à Paris dans un courrier du 23 mai 1610. Charlotte de Montmorency, le dernier grand amour d’Henri IV, serait à l’origine de la mort de son amant…
La mère, Jeanne d’Albret
Henri naît le 13 décembre 1553 à Pau d’Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, elle-même fille du roi Henri II d’Albret et de Marguerite d’Angoulême, la sœur de François 1er. Séparée à un jeune âge de ses parents, éloignée de ses terres natales, elle fait l’apprentissage de la raison d’Etat quand son oncle décide de la marier, à des fins politiques, au duc de Clèves. Du haut de ses douze ans, elle proteste officiellement, mais le roi passe outre, et le mariage a lieu. Il ne sera jamais consommé et, trois ans plus tard, elle peut obtenir son annulation. En 1548, elle rencontre le duc de Vendôme dont elle tombe follement amoureuse et qui devient son second mari. Ils ont un premier fils, Henri, qui meurt à l’âge de deux ans. Après la naissance de son second fils, Antoine dira : « Il est né en deux coups de cul hier à Pau », ce qui deviendra l’expression « en deux coups de cuillère à pot ». Henri de Bourbon vit ses premières années en Béarn et se rend pour la première fois à la cour royale à l’âge de quatre ans. A partir de huit ans, il y sera élevé, avec les princes. La relation entre ses parents est d’abord passionnée et romanesque. Mais, avec le temps, leurs intérêts divergent : Jeanne a comme préoccupation la religion – elle est une protestante convaincue –, alors que son époux se passionne pour le royaume de Navarre.
La belle-mère, Catherine de Médicis
Le contexte politique est marqué par une autre femme, Catherine de Médicis, belle-mère du futur Henri de Navarre, futur Henri IV. La régente en noir « fut un diable et un ange, enfanta trois rois – François II, Charles IX et Henri III – et cinq guerres civiles, fit bâtir des châteaux et brûler des villes, fit de bonnes lois et de mauvais édits. Souhaite-lui, patient, enfer et paradis », écrivit un chroniqueur de l’époque. Parce qu’elle est étrangère et femme, que les femmes ne règnent pas au XVIe siècle et qu’elle exercera la réalité du pouvoir pendant plus de quarante ans, elle sera l’une des reines les plus détestées. Pour la postérité, elle est tenue pour responsable de la Saint-Barthélemy.
Arrivée à quatorze ans d’Italie, elle sait à peine parler français quand elle épouse le futur Henri II qui est, lui, amoureux de Diane de Poitiers. Elle deviendra sa rivale. Pendant tout le règne de son époux, Catherine de Médicis ronge son frein. Tant qu’elle ne lui donne pas d’héritier – il lui faudra attendre dix ans – elle risque la répudiation. Ils auront finalement dix enfants, en l’espace de quinze ans. Avant de devenir veuve, Catherine de Médicis est une femme qui aime la fête, les plaisirs de la table, l’art, la musique… C’est une protectrice des lettres et une passionnée d’architecture. Quand le roi est tué accidentellement lors d’un tournoi en 1559, elle se métamorphose en noir et décide de gouverner. Lors du règne de François II, elle s’attire l’opposition de Marie Stuart et des Guise, qu’elle réussira à écarter pour être nommée gouvernante de France. Elle veut faire cohabiter les deux religions. Par l’édit de Saint-Germain, elle accorde la liberté de conscience et de culte aux protestants. C’est l’avènement des huguenots en France, l’amiral Coligny est l’homme fort du conseil royal : il est le mentor de Charles IX et le tuteur d’Henri de Navarre. En août 1572, après l’attentat contre Coligny, et par peur des représailles des protestants, elle pousse Charles IX à supprimer les têtes du parti protestant. L’ordre dégénère et se transforme en massacre.
Les deux épouses
En août 1572, Henri de Navarre épouse Marguerite de Valois, dite Margot, fille d’Henri II et Catherine de Médicis. Ils sont promis l’un à l’autre depuis leur plus jeune âge. C’est un acte politique, une façon d’intégrer le royaume de Navarre à la couronne. Quelques jours après leur mariage, lors de la Saint-Barthélemy, Margot sauve son époux protestant des catholiques fanatiques. Une quinzaine d’années plus tard, une série d’événements conduiront Henri de Navarre sur le trône de France. En 1588, Henri III est chassé de Paris ; la même année, il ordonne l’assassinat du duc de Guise. En janvier 1589, Catherine de Médicis meurt et, six mois plus tard, Henri III est assassiné. C’est l’avènement d’Henri de Navarre. Mais il lui reste encore à conquérir le trône de France : il lui faudra encore cinq ans pour gagner Paris. Devenu roi, il doit songer à sa descendance. Trop âgé pour avoir des enfants avec Marguerite, il demande au pape d’annuler le mariage. Parmi les princesses à marier, une seule convient parfaitement : Marie de Médicis, fille du grand-duc de Toscane et de l’archiduchesse d’Autriche. Pour la France, cette alliance présente plusieurs avantages stratégiques. Elle permet de contrebalancer la prépondérance austro-espagnole en Italie, et de récupérer une dot de 600 000 écus d’or. Marie, la Florentine, « la banquière », aborde Marseille en 1600. Les rues sont pavoisées, la foule se presse, seul manque Henri IV… officiellement au champ de bataille mais en réalité dans les bras de sa maîtresse Henriette d’Entragues, à Lyon. Quand Marie le retrouve, le premier contact est bon, « si elle n’avait pas été ma femme, je l’aurais prise pour maîtresse » dira le roi. L’euphorie dure peu. Les époux sont dissemblables de caractère et d’éducation. Mais elle lui donnera tout de même six enfants.
Les deux épouses n’ont rien ignoré des frasques d’Henri IV. Elles ont subi avec plus ou moins de complaisance les nombreuses maîtresses – soixante-treize (dont deux religieuses) – du Vert-Galant.
Les favorites
Si les maîtresses étaient acceptées par la reine, les favorites l’étaient moins car elles entraient directement en concurrence avec elle. La première favorite fut Diane d’Andoins, marquise de Gramont, probablement le seul vrai amour d’Henri IV, qui la rencontre à Pau en 1582. Diane est intelligente, réservée, cultivée et entretient une correspondance avec Montaigne. Férue d’amour courtois, elle se choisit le surnom de Corisande. Henri lui fait la cour pendant des mois, et c’est à Mont-de-Marsan, où il reste deux ans, que leur liaison prend une tournure officielle. Pour la première fois de sa vie, le Béarnais est aimé. Fine politique, Corisande le convainc de repartir au combat tout en sachant qu’elle va le perdre. Elle aura été la seule femme à l’aimer sincèrement, sans contrepartie, à ne rien vouloir de sa fortune et à ne pas profiter de ses faiblesses.
Très différente, Gabrielle d’Estrées était vénale et ambitieuse. Leur histoire d’amour durera neuf ans. Installée à la cour, elle est comblée d’or, de bijoux et de titres. En 1594, elle donne le jour au premier enfant mâle du roi de France, César, duc de Vendôme. L’annulation du premier mariage du roi traîne car le pape renâcle. Pour la première fois, une maîtresse va devenir reine de France. En 1598, Henri IV a fait baptiser le troisième enfant qu’elle lui a donné avec les honneurs d’un fils de roi. Mais Sully n’en démord pas : le roi doit épouser Marie de Médicis pour faire annuler la dette énorme du royaume auprès des banques florentines. Enceinte de huit mois, Gabrielle arrive à Paris quelques semaines avant le mariage. Est-elle empoisonnée ? Prise de convulsion après un repas, elle accouche d’un enfant déjà mort, avant de périr à son tour, à vingt-six ans, dans d’atroces douleurs, loin du roi et en présence d’une foule hostile.
Henri IV est vite consolé par Henriette d’Entragues, une vipère intéressée, « une pimbèche et une femelle rusée » (Sully) qui joue les ingénues. A quarante-six ans, le roi tombe fou amoureux de cette jeune fille dont la virginité est négociée chèrement par son père : 100 000 écus, un château à Verneuil, et la promesse écrite du roi qu’elle sera reine si elle lui donne un enfant mâle avant un an. Henri IV est un coureur impénitent qui se met parfois dans des situations inextricables ! Il obtient finalement ce qu’il désire en octobre 1599 et s’exclamera après avoir couché avec elle : « Ventre Saint-Gris, voilà une nuit chère payée. » Henriette tombe enceinte mais, alors qu’elle est sur le point d’accoucher d’un fils, la foudre frappe sa chambre et l’enfant est mort-né. Henri peut épouser Marie de Médicis. Henriette tombe à nouveau enceinte, en même temps que la reine. On raconte que le roi les auraient fécondées la même nuit. Marie gagne in extremis la course au bébé et met au monde le futur Louis XIII. Henriette traitera de bâtards les enfants de sa rivale jusqu’à ce qu’Henri IV, pionnier de la famille recomposée, réunisse dans la pouponnière de Saint-Germain ses enfants légitimes et les vrais bâtards de la marquise. Mais le roi se lassera d’Henriette et de ses complots. Il a aussi trouvé plus jeune : Jacqueline de Bueil qui, à seize ans, se vend pour 30 000 écus. Henri est comblé pour un temps. Puis l’insatiable roi repart chasser l’amour en la personne de Charlotte de Montmorency. Cette dernière favorite lui sera fatal.
Enfant aux huit nourrices, roi aux deux couronnes et aux deux religions, époux de deux femmes, homme aux soixante-treize maîtresses, père d’une douzaine d’enfants, chrétien sous douze papes… si le livre des records avait existé, Henri IV y aurait eu sa place. Son dernier amour lui a peut-être coûté la vie, mais sa vie il l’aura consacrée à la France.
En savoir plus …
Coté Livres :
Henri IV et les femmes (Prix Hugues Capet)
Auteur : Marylène VINCENT
Éditeur : Sud-Ouest – (janvier 2010)
ISBN-10: 2817700821
http://livre.fnac.com/a2786073/Marylene-Vincent-Henri-IV-et-les-femmes
Coté Vidéo : Extrait deTVfilm
http://www.dailymotion.com/video/x84nr8_l-assassinat-d-henri-iv-part2_tech#from=embed&start=181
http://www.youtube.com/watch?v=eYnGl-me-MY&feature=player_embedded#at=50
Coté Web :
http://www.henri-iv.com/mistress-f.htm
http://www.henri-iv.culture.fr/#/fr/uc/00 (Site remarquable)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_IV_de_France
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