Thèmes: Histoire, Médecine, Sciences Conférence du mardi 21 janvier 2020.
Donnée par Madame Aurélie MASSAUX, docteure en Neurosciences et médiatrice scientifique.
INTRODUCTION
Le cerveau est un organe qui fascine les hommes depuis des siècles. De nombreux témoignages et documents retracent l’intérêt de l’Homme pour le cerveau. Au fil des siècles et des avancées technologiques nos connaissances s’affinent. Cependant, de nombreuses questions subsistent.
I – Du Néolithique au XIXe siècle.
Très tôt dans l’histoire de l’humanité, l’Homme s’intéresse au cerveau. Ainsi les anthropologues remarquent des traces de trépanations sur des cranes datant de quelques 9000 ans. Les cranes portant ces traces ont été trouvés non seulement en Europe mais aussi en Asie. Grâce à leur étude, les scientifiques ont pu établir que ces trépanations étaient faites sur les êtres quand ils étaient encore en vie. On pense que ces trépanations étaient pratiquées pour soigner des maux de tête, des convulsions, ou des troubles mentaux, Elles pouvaient être aussi le résultat de pratiques magiques ou pour faire sortir les « mauvais esprits ». Toutes ces hypothèses ne pourront jamais être vérifiées et ne restent que des suppositions.
A l’époque pharaonique, soit environ 2500 avant J-C, on trouve les premiers écrits de pathologies liées au cerveau et aux blessures à la tête. Sur le papyrus de Leiden, on peut lire les premières descriptions de la moelle épinière, la constatation que le cerveau baigne dans du liquide et qu’il est protégé par une sorte de sac. Les Egyptiens comprennent aussi qu’une blessure à la tête peut entraîner des troubles loin de la tête telle qu’une paralysie des membres inférieurs.
Durant l’Antiquité, un débat ardent apparaît : où se situe l’âme? Est-elle située dans le cœur ou dans le cerveau? Démocrite de Thrace (460-370 av. J-C) et Aristote (384-322 av. J-C) sont partisans du cardiocentrisme et pensaient que du fait que le coeur soit chaud et au centre du corps il devait obligatoirement jouer un rôle noble et essentiel. Pour eux, le cerveau étant un organe froid, il ne sert qu’à refroidir le sang. Au contraire, Hippocrate de Cos (460-377 av.J-C) grand médecin de son époque est lui favorable au cérébrocentrisme. Il écrit une soixantaine d’ouvrages dont plusieurs sur le cerveau. Il décrit l’épilepsie et sépare totalement les maladies du côté divin. En effet, à l’époque on croyait communément que les maladies étaient des « punitions » envoyées par les dieux. Platon (429-348 av. J-C) est aussi cérébrocentriste. Sa théorie est que puisque l’homme est l’animal le plus intelligent et que son cerveau est le plus grand, l’intelligence se situe forcément dans le cerveau.
Hérophile (321-250 av.J-C) décrit les hémisphères cérébraux et atteste de la présence d’un mini cerveau, le cervelet. Il met également en évidence les cavités du cerveau (les ventricules). Erasistrate (310-250 av.J-C) autre savant grec compare la taille du cerveau à celui du cervelet et associe ce dernier au mouvement. C’est la première évocation de la coordination des mouvements. Par ailleurs, il décrit des tubes qui font circuler l’âme, que l’on sait aujourd’hui être les nerfs. Il faudra attendre le IIe siècle de notre ère et Galien de Pergame (130-200) et ses dissections sur les animaux pour mettre en évidence l’existence des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs. Il établit également que la section de la moelle épinière conduit à une paralysie et plus la section est près du cou plus la paralysie est importante. Il décrit aussi les sept nerfs crâniens et fait une description extrêmement précise de l’anatomie de l’œil. Il s’intéresse aussi à l’intelligence, qui pour lui se compose de trois éléments : l’imagination, la cognition et la mémoire. De plus, il pense que les esprits animaux circulent dans des conduits, connus aujourd’hui pour être les vaisseaux sanguins.
Au IVe et Ve siècles, Némésius, évêque d’Emèse en Syrie et un des pères de l’Eglise catholique, attribue les fonctions cérébrales à chaque ventricule. Le sens se situe dans le premier et le deuxième ; la raison dans le troisième ; la mémoire dans les quatrième et cinquième.
Au Moyen-Age, l’emprise de l’Eglise sur la société et son interdiction des dissections font stagner la science et la théorie des ventricules persiste jusqu’à la Renaissance. Léonard de Vinci, en mêlant art et science, reprend les dissections et dessine des planches d’une précision inouïe. André Vésale (1514-1564) fera lui aussi des planches anatomiques remarquables et ouvre ses dissections au public. Il décrit précisément les ventricules, les nerfs, les vaisseaux sanguins et distingue deux matières dans le cerveau, une matière grise et une matière blanche. Il fait le lien entre le poids du cerveau et l’intelligence. Malheureusement, cette théorie persistera longtemps et donnera lieu à la croyance que les hommes sont plus intelligents que les femmes, puisque leur cerveau est plus lourd (Paul Broca au XIXè siècle l’écrira comme tel notamment).
Le XVIIe siècle voit l’essor de la physique ce qui aura un rôle important dans la connaissance du cerveau. René Descartes (1596-1650) est un fervent défenseur de la théorie qui stipule que le corps est une machine. Pour lui, l’esprit commande le corps par l’intermédiaire du cerveau. Cette théorie donne lieu au dualisme cartésien, où le corps, le cerveau et l’esprit sont des entités distinctes. Avec le britannique William Harvey (1578-1657), on abandonne définitivement la théorie du cardiocentrisme car il découvre la circulation sanguine impliquant le cœur. Le cerveau comme siège de l’âme est admis. La théorie ventriculaire est elle aussi abandonnée.
Les évolutions en physique et notamment la maîtrise de l’électricité vont permettre à l’Italien Luigi Galvani (1737-1798) de mener de nombreuses expériences à la suite desquelles il découvre que de l’électricité circule sur les nerfs. Si l’électricité ne s’échappe pas des nerfs, c’est grâce à une gaine isolante qui recouvre les nerfs, appelée la gaine de myéline, qui sera découverte bien plus tard. Suite aux travaux de Galvani avec l’électricité (et d’autres scientifiques), l’électrothérapie prend son essor et sera largement utilisée tout au long du XIXe et XXe siècles à des fins de thérapie.
A la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, Franz Joseph Gall (1757-1828) va émettre la théorie selon laquelle le cerveau est une association d’aptitudes différentes, ces dernières étant localisées à des endroits précis. C’est la naissance de la phrénologie, théorie qui postule que plus une région cérébrale, et donc une aptitude, est développée, plus le crane sera déformé (la fameuse bosse des maths). César Legallois (1770-1814) travaille lui aussi à la localisation des fonctions cérébrales. Il découvre le centre de la respiration au niveau du bulbe rachidien. Pierre Flourens (1794-1867) s’intéresse au cortex où il situe toutes les fonctions évoluées. Sans cortex, seules les fonctions primaires subsistent comme se déplacer ou se nourrir.
Paul Broca (1824-1880) va suivre un patient aphasique jusqu’à son décès, Monsieur Tan, de la seule sonorité qu’il était capable de prononcer. A son décès, Broca examinera son cerveau et découvrira dans le lobe frontal gauche l’aire du langage. Carl Wernicke, étudiant lui aussi l’aphasie d’un autre patient, découvre une autre aire du langage. Le monde scientifique découvre qu’il y a une fragmentation du langage. Le cas de Phinéas Gage va permettre de faire avancer la science de manière étonnante. Gage, travaille comme dynamiteur sur les chantiers de chemin de fer et lors d’une explosion accidentelle, une barre à mine lui transperce le cerveau. Il survit mais change totalement de comportement, notamment dans sa gestion des émotions et des convenances morales. On établit pour la première fois la corrélation entre une lésion cérébrale et l’élaboration de la personnalité. On en déduit que les régions frontales interviennent dans l’élaboration des émotions et de la personnalité. A la fin du XIXe siècle, l’anatomie générale du cerveau est connue mais pas sa composition.
II – Du début du XXe siècle à nos jours.
Le XXe siècle va connaître de grands bouleversements et de grandes évolutions technologiques qui vont faire avancer considérablement nos connaissances sur le cerveau. C’est au XXe siècle que vont naître les neurosciences. Les grandes fonctions, tel que le sommeil ou la mémoire, sont défrichées.
Grâce au microscope, deux savants qui obtiendront le prix Nobel de physiologie et médecine en 1906, l’Espagnol Santiago Ramon y Cajal (1852-1934) et l’Italien Camillo Golgi (1843-1926) vont découvrir les neurones. Leurs planches anatomiques seront déterminantes pour l’étude des cellules. Bien qu’ils obtiennent le prix Nobel conjointement, des divergences existent entre eux. Ainsi pour Ramon y Cajal, il y a un espace entre les cellules et il établit la théorie neuroniste. Au contraire, Golgi avance la théorie réticulariste qui postule que les cellules se touchent et forment un réseau continu. Il faudra attendre la mise au point du microscope électronique au milieu du XXe siècle (années 1950) pour voir les synapses et constater qu’en effet il y a un espace entre les cellules.
Charles Scott Sherington (1857-1952) avance dès 1897 l’idée de « synapse » et il pense qu’il y a un lieu de communication entre les neurones. En 1955, le microscope électronique permet de voir les synapses qui s’avèrent être le lieu de communication chimique entre deux neurones.
Korbinian Brodman (1868-1918) fait la cartographie du cortex. Chaque région du cortex ayant la même organisation cellulaire est numérotée. Le cortex est ainsi numéroté de 1 à 52.
L’Américain Wilder Penfield (1891-1976) établit l’homonculus sensoriel dans les années 1940. Il constate que plus une partie du corps est riche en capteurs sensoriels, plus sa surface corticale est développée. Nos mains, notre bouche sont des zones très sensibles de notre corps.
Le neurologue allemand Hans Berger (1873-1941) est le père de l’encéphalographie qui permet d’enregistrer l’activité électrique cérébrale via des capteurs positionnés à la surface du cuir chevelu. Des découvertes importantes seront faites grâce à cette technique. On constate que les ondes cérébrales sont différentes selon que l’on soit en phase de sommeil ou d’éveil, dans une phase de sommeil ou dans une autre.
Les Américains Huxley et Hodgkin, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1963, découvrent comment est produite l’électricité de notre cerveau. C’est le potentiel d’action, qui trouve son origine dans les mouvements de particules chargées (les ions) entre l’intérieur et l’extérieur des neurones.
Dans la seconde partie du XXe siècle, des différents scientifiques d’horizons divers vont s’associer pour former une nouvelle discipline de recherche. Ainsi, les philosophes, les linguistes, les anthropologues, les informaticiens, les neurologues, les psychiatres et les psychologues échangent leurs points de vue. C’est le début des sciences cognitives qui sont elles-mêmes à la base de l’intelligence artificielle. On découvre le concept de plasticité du cerveau. On constate que le cerveau est capable de s’adapter et de se remodeler en fonction des expériences de vie. .
A la fin du XXe siècle, un fait établi est remis en question. Ramon y Cajal avait établit que les neurones ne se renouvelaient pas, or dans les années 1990 on met en évidence le renouvellement des neurones : c’est la neurogenèse. Cependant, de nombreuses zones d’ombre persistent sur cette neurogenèse : on ne sait pas dans quelle proportion elle a lieu, ni comment font les nouveaux neurones pour se transformer, migrer et s’intégrer dans leur lieu final. La connaissance et la maîtrise de cette neurogenèse pourrait potentiellement ouvrir des pistes thérapeutiques dans le cas des maladies neurodégénératives.
C’est également à la fin du XXe siècle qu’apparaissent l’imagerie anatomique, qui permet de voir l’anatomie du cerveau et l’imagerie fonctionnelle, qui permet de voir le cerveau en fonctionnement. Grâce à ces techniques, on confirme la localisation des fonctions cérébrales découvertes pour certaines au XIXè siècle (comme les régions du langage). Ces techniques d’imagerie sont fondamentales pour la neurochirurgie actuelle, afin de préserver les tissus sains et les voies de communication entre régions cérébrales lors d’une opération délicate du cerveau.
Toujours en cette fin de XXe siècle note t-on l’importance des cellules gliales. Elles s’avèrent être aussi importantes que les neurones alors qu’auparavant on leur attribuait uniquement un rôle nourricier. Par ailleurs, on constate que les neurones fonctionnent en réseau.
Au XXe siècle, on connaît beaucoup plus sur le fonctionnement du cerveau (sommeil, mémoire, perception …). Ces connaissances sont liées aux avancées technologiques. On assiste à un constant aller retour entre la recherche clinique et la recherche fondamentale. Mais il nous manque encore des techniques révolutionnaires pour explorer encore plus loin le fonctionnement du cerveau. Cependant, en ce XXIè siècle, de grands projets sont en cours, notamment celui de coder totalement un cerveau humain. C’est « le Human Brain Project » qui est un projet européen sur une période de trente ans et qui vise à simuler le fonctionnement du cerveau grâce à un superordinateur dont les résultats ont pour but de développer de nouvelles thérapies médicales pour les maladies neurologiques. On peut également mentionner le « Human Connectome Project », découvrir l’ensemble des voies de communication entre régions cérébrales. .
CONCLUSION
Si très tôt dans son histoire l’Homme s’est intéressé au cerveau, c’est grâce à l’essor des technologies que nos connaissances se sont considérablement accrues. Le XXe siècle a été particulièrement riche à cet égard. De nos jours, les grands projets mis en place permettront d’accéder à de nouvelles connaissances, et d’envisager peut-être le développement d’une l’intelligence artificielle évoluée, ou la possibilité de guérir certaines pathologies neurologiques.
Compte-rendu rédigé par les équipes du CDI de Garches, corrigé et validé par Madame Aurélie MASSAUX
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