Thèmes: Civilisation, Histoire, Société Conférence du mardi 14 décembre 1993
Par Violaine Vanoyeke, Eminente spécialiste de l’Antiquité, Violaine Vanoyeke est l’auteure de plus de 100 ouvrages à succès traduits dans plus de cinquante pays. Latiniste, helléniste, égyptologue, linguiste, professeur de littérature et de civilisations anciennes.
Introduction.
Outre la gloire qu’un athlète et un pays pouvait tirer d’une victoire aux Jeux Olympiques, les vainqueurs recevaient de l’or, de l’argent, des troupeaux, des bijoux en plus de La traditionnelle couronne d’olivier, arbre de Zeus, dont les branches étaient cueillies dans la vallée du Tempé. Les temps étaient loin où les champions se contentaient de cette couronne symbolique.
Histoire des jeux.
Dès les âges les plus reculés, l’homme manifeste une tendance instinctive pour le jeu proche du sport. Faire du sport, c’est aussi lutter pour sa survie, chasser, retrouver un corps animal lié aux besoins fondamentaux de l’homme.
En Grèce, ceux qui exercent un sport sont des athlètes (de la racine d’aethlos ou athlos : la guerre). Ceux qui participent aux concours sont des agonistès (agôn : la lutte, le heurt, la guerre).
Si le sport demeure quelques temps l’apanage de la classe aristocratique qui le pratique pour acquérir un équilibre de vie et une habileté militaire, peu à peu le sport s’ouvre à des athlètes « de métier » de toute catégorie sociale.
Les lancers en athlétisme n’existent que parce que l’homme aime lancer des cailloux, Les goûts naturels de l’homme ont donné ainsi naissance aux diverses disciplines sportives : courir, sauter, nager, se déplacer, rivaliser, lutter directement (boxe) ou indirectement (course), se montrer plus fort …
Les pratiques corporelles, compétitives, les techniques sportives doivent être différenciées dans le temps. L’escrime actuelle n’a rien à voir avec celle de l’Antiquité, pas plus que l’équitation ou la natation, ni dans l’esprit, ni dans la pratique.
Dans les amphithéâtres romains, l’univers sportif est aussi un bestiaire, le vocabulaire sportif se rapproche du vocabulaire animalier et guerrier au point qu’il est difficile de différencier la préparation militaire et les combats des gladiateurs luttant contre les bêtes sauvages. Mais contrairement aux combats guerriers, la violence et la rivalité apparaissent dans le sport sous la forme de jeux, concours, compétitions.
Que l’éducation soit axée sur la préparation militaire comme à Sparte ou sur les jeux du corps comme à Athènes, la pratique intensive des exercices physiques est primordiale en Grèce. Les Grecs trouvent dans le sport le meilleur moyen pour endurcir leurs corps et accoutumer le soldat à l’effort et à la souffrance.
Passionnés de jeux et de concours, ils inventent les affrontements compétitifs du stade pour satisfaire leur goût de la lutte et de la rivalité. Le sport deviendra un moyen d’acquérir la beauté et la force, idéal qui tendra à disparaître dès l’époque hellénistique et qui évoluera lors des jeux panhelléniques : isthmiques, pythiques, olympiques et néméens.
L’enseignement du pédotribe (maître de gymnastique) est indissociable, à Athènes et à Sparte, de l’enseignement du professeur de littérature et du cythariste qui enseigne la musique.
Athènes
Il semble qu’à l’époque de la guerre de Troie (1250 av. J.-C.), l’apprentissage sportif soit indissociable de la formation du guerrier. Selon la légende, les jeunes Troyens sont élevés dans le gynécée jusqu’à l’âge de six ou sept ans, ils sont habillés en fille et confiés à des nourrices. Lorsque leur première éducation est terminée, ils se marient. Ceux qui se destinent à la guerre sont entraînés par des maîtres spécialisés dont Chiron, qui éleva Achille, est l’emblème mythique.
Les jeunes gens doivent se plier à toutes sortes de disciplines : combats singuliers, luttes contre les bêtes, traversée d’une rivière profonde et glacée, conduite d’un char, tir à l’arc. Ces épreuves ont pour but de développer chez ces jeunes gens, la générosité et l’intransigeance.
Les premiers jeux olympiques trouvent leurs origines dans la formation du guerrier et dans les jeux funéraires. Aux funérailles de Patrocle, Achille et ses compagnons rivalisent de prouesses en participant à des jeux comprenant une succession de compétitions sportives et de concours hippiques. Parmi ces différentes épreuves, on retrouve la boxe, la lutte, le pugilat, le tir à l’arc, le lancer du javelot. Ces jeux funéraires sont souvent donnés par des rois ou par des nobles qui concourent entre eux.
Sparte
Les lois spartiates imposent un système éducatif immuable et sévère. Même les jeunes filles, qui se tiennent à l’écart de toute vie politique, y pratiquent de nombreux sports, tels que la lutte, le lancement du disque et du javelot.
L’athlétisme féminin est attesté dès la première moitié du 6ème siècle grâce à des bronzes représentant des jeunes filles en train de courir en tuniques courtes de sport.
Placé dès l’âge de sept ans sous la surveillance d’un pédonome et pris en par l’Etat, le « petit gars » devient « garçon » à douze ans, il est exposé à des combats en plein soleil dans des gymnopédies. Ces combats sont parfois mortels. A quinze ans, il devient « irène » et il dirige à son tour les « petits gars ».
La pédérastie
Entre le jeune athlète et son initiateur s’établissent des relations équivoques, voire amoureuses ou sensuelles que la loi autorise. La pédérastie joue un rôle essentiel dans l’éducation physique grecque. La nudité du jeune athlète qui fréquente la palestre (gymnase pour enfants) sous l’autorité de son pédotribe, favorise l’amour entre hommes.
Des liens d’amitié particulière se créent entre l’éromène qui forme son cadet et l’éraste, l’aimé souvent rempli de reconnaissance et d’admiration pour son aîné. La pratique de la pédérastie est surtout liée à la vaillance et au courage.
Cette homosexualité se retrouve à Lesbos où une forme d’éducation similaire se développe dès le 7ème siècle av. J.-C., dans la « thiase » (école) de Sapho, Gorgô ou d’Andromène.
Evolution de l’éducation physique
L’éducation athénienne est orientée vers une vie noble qui est celle du grand propriétaire foncier, riche et oisif. Cette vie d’oisiveté se définit par la pratique de sports aristocratiques : la chasse, le cheval (cheval de selle ou conduite de chars).
Le cheval reste un sport coûteux tandis que l’athlétisme se démocratise. A la fin du 5ème siècle, tous les Athéniens fréquentent les gymnases, soulevant le mécontentement des vieux aristocrates.
Le jeune Athénien commence ses leçons chez le pédotribe vers l’âge de huit ans. Les élèves sont répartis en deux classes : les « petits » de douze à quinze ans, et les « grands » de quinze à dix-huit ans.
Tout un rite accompagne le gymnaste. Il exerce tout d’abord un sport complétement nu (le terme gymnastique vient de gymnos qui signifie nu). Il oint son corps d’huile. Il porte parfois un petit bonnet en peau pour se protéger du soleil.
Il a besoin d’une éponge pour les ablutions, d’un petit flacon d’huile et d’un racloir ou étrille de bronze (strigile), sorte de spatule à l’extrémité recourbée. Avant chaque entraînement, il se lave à la fontaine puis se frotte d’huile et répand sur ses membres du sable ou de la poussière. L’huile et le sable protège son corps. Après les séances de gymnastique, il racle avec le strigile la couche d’huile et de poussière et se lave.
Le pédotribe doit obligatoirement payer les services d’un joueur de hautbois qui rythme les exercices d’assouplissement et les lancers.
Un concours regroupe cinq épreuves destinées aux enfants, sous le nom de penthale : la lutte, la course, le saut, le lancement du disque et du javelot. On commence par la course pour finir par la lutte. Le vainqueur est celui qui a été le premier dans au moins trois épreuves.
Aristote recommande au pédotribe d’éviter tous les excès. Pour former des corps équilibrés, il vaut mieux exercer plusieurs disciplines que s’adonner à fond à une seule d’entre elles, mieux vaut exceller dans tous les exercices que de battre à tout prix des records.
Pour exercer ces sports, les jeunes athlètes pratiquent aussi divers exercices d’assouplissement, des jeux de balle et de cerceau et le « punching-bag », sac de cuir rempli de sable suspendu à la hauteur de la poitrine pour la boxe.
L’enseignement se fait essentiellement dans la palestre, terrain de sport à ciel ouvert, de forme carrée, entouré de murs. Sur un ou deux côtés, sont alignés des sortes de vestiaires, des salles de repos avec des bancs, des bains, des magasins à huile et à sable. La palestre est souvent ornée de bustes d’Hermès, patron des gymnastes. A l’exception de la course à pied qui se déroule au stade, tous les sports y sont pratiqués.
Les différentes épreuves
Les courses
Les Grecs ne connaissent ni la course d’obstacles, ni le cross-country. Ils pratiquent seulement les courses sur piste plate et rectiligne. L’épreuve la plus prestigieuse dont le vainqueur donne son nom à l’olympiade est la course du stade (environ 200 mètres).
Les coureurs ne mettent jamais le genou à terre pour partir. Quand les coureurs sont trop nombreux, on procède à des éliminatoires et à une finale. La ligne de départ est marquée par une rangée de cippes (colonnes tronquées). Au bout du stade, le coureur contourne une borne et revient à son point de départ.
On distingue la course de vitesse de la longueur du stade, du double stade (385 mètres), du quadruple stade et la course de fond de 7, 12 et 20 stades qui peut même atteindre 24 stades (4 km). La plupart des jeux athlétiques comprennent aussi la course en armes où les coureurs portent casque et bouclier.
Le saut
Les Grecs ne pratiquent ni saut en hauteur, ni saut en profondeur, ni saut à la perche. Ils ne connaissent que le saut en longueur avec élan. Ils sautent en tenant dans chaque main un haltère en pierre ou en bronze en forme de demi-sphère, la paume de la main se logeant dans la cavité. Ils pèsent de un à cinq kilos. Lors du saut, ils renforcent et facilitent le mouvement des bras.
Le lancer du disque
Le disque en bronze pèse de un à quatre kilos. La base de départ est limitée devant et sur les côtés, et non par un cercle comme à notre époque. Pour que le disque ne glisse pas entre les doigts, il est enduit de sable. L’attitude du lanceur de disque se retrouve parfaitement exprimée par « Le Discobole » de Myron.
Le lancer du javelot
Si le javelot sert à la chasse et à la guerre, le sportif cherche à atteindre une cible tracée sur le sol. Long d’environ un mètre soixante, sans pointe, lesté à l’extrémité, le javelot est extrêmement léger et entouré d’un propulseur à lacet. Ce lacet en cuir de trente à quarante centimètres est terminé par une boucle dans laquelle le lanceur introduit l’index et le majeur de la main droite. Les champions sont sélectionnés selon la largeur de leurs doigts.
La boxe
Les mains sont entourées de lanières de cuir. Au début du 4ème siècle, on remplace les bandages doux par des bandages durs qui se présentent sous la forme de mitaines. Le cuir couvre le poignet et la presque totalité de l’avant-bras en se terminant par un bracelet de fourrure de mouton. On combat jusqu’à l’épuisement. Les coups sont surtout portés à la tête. Les Grecs ne semblent pas connaître l’arbitrage.
Le pugilat, la boxe sont exercés par des nobles. Les jeux olympiques étant interdits aux esclaves, la boxe n’est donc pas un moyen de s’arracher à la misère, mais d’apporter honneur et gloire à une famille, une patrie ou un clan.
La lutte
Très populaire, la lutte (palè) a donné son nom à la palestre. Les athlètes ameublissent le sol avec une pioche, puis ils s’affrontent deux par deux après tirage au sort. Le but est de faire tomber l’adversaire en restant debout.
Le pancrace
Le pancrace est une sorte de catch cruel où tous les coups sont permis. Il est cependant interdit d’enfoncer ses doigts dans les yeux de l’adversaire ou orifices du visage. Le combat a lieu dans la boue, le sol ayant été préalablement pioché et arrosé d’eau. Le perdant lève la main pour arrêter le combat. Un Spartiate refusant de s’avouer vaincu quelles que soient les circonstances, le pancrace est interdit à Sparte.
Le cheval
Dans certaines familles riches, les enfants pratiquent l’équitation. Quant à la chasse, elle est considérée comme une partie indispensable de l’éducation, confrontant l’homme au danger et le préparant ainsi à la guerre.
Le déroulement des jeux olympiques
La trêve sacrée
Des spondophores (ou messagers) partent annoncer les jeux dans le monde entier. A partir du jour où la trêve est proclamée, les combats entre Grecs doivent être suspendus. Aucune troupe armée ne peut pénétrer sur le territoire éléen considéré comme inviolable. Ceux qui vont à Olympie doivent être respectés.
L’inauguration
Les athlètes admis à Olympie marchent pendant deux jours d’Elis à Olympie, sur 57 km. On suit la voie sacrée le long de la côte entre Pise et Elis jusqu’à la fontaine sacrée de Piéra. On y sacrifie un porc.
A Olympie, le premier jour est inauguré par une procession portant la chapelle d’Hestia, déesse du foyer. Le cortège s’arrête devant le grand autel de Zeus pour faire un sacrifice. Plusieurs prêtres montent en haut de l’autel pour allumer le feu et immolent cent bœufs. On chante des hymnes à Zeus, on danse autour de l’autel.
Les athlètes prêtent serment en levant la main au-dessus de l’autel et jurent de combattre avec dignité, de respecter les lois et font l’offrande d’un sanglier.
Reconstitution du stade et du sanctuaire de Némée
Les épreuves des jeux
La course de char est suivie d’une course de chevaux montés. Puis les épreuves du pentathlon commencent : lancer du disque, saut en hauteur, lancer du javelot, course de 200 m et lutte. A Olympie, elles se déroulent en partie le second jour des jeux et en partie le quatrième. Le troisième jour commence par un sacrifice et une procession suivis d’un 200 m et d’un 400 m juniors, de la lutte et de la boxe. Les épreuves pour adultes reprennent le quatrième jour avec la course, la boxe, la lutte et le pancrace.
La dernière épreuve est la course de 400 m en armes. Cette épreuve est surtout symbolique, elle indique que la trêve imposée aux Grecs touche à sa fin et qu’il faut reprendre les armes.
Les jeux sont avant tout des concours d’hommes. La seule femme admise est la prêtresse qui préside à l’ouverture des épreuves. Si une femme est surprise sur le site olympique, elle est précipitée du haut d’un rocher, le Mont Typée. Ce châtiment ne fut enfreint qu’une fois par Kallipatera de Rhodes, appelée parfois Phérénice ou Bérénice, qui accompagna son fils déguisé en entraîneur. Quand celui-ci gagna, elle oublia son déguisement et courut sur la piste. Sa tunique s’ouvrit et révéla son identité.
Les femmes en revanche participent au mois de septembre à leurs propres jeux, appelés héréens et célébrés tous les quatre ans en l’honneur d’Héra épouse de Zeus. Ces jeux consistent en une épreuve de course à pied.
Le marathon n’existe pas dans le répertoire des courses antiques. En revanche, l’idée de la course vient de l’an 490 avant J.-C. : un « hémérodromé » (messager capable de marcher d’un pas rapide pendant une journée) arrive juste à temps pour annoncer la victoire de Marathon avant de mourir.
La genèse des concours olympiques
De nombreuses légendes se disputent la naissance des jeux olympiques. Si elles n’expliquent pas la véritable naissance des jeux, elles leur apportent un caractère sacré, Olympie étant considérée ainsi comme un site mythologique conférant l’immortalité aux vainqueurs.
Si l’on considère toutes les légendes, on constate que les jeux olympiques sont créés à partir d’acte individuel, d’un exploit dont l’enjeu reste le pouvoir. Il s’agit souvent de l’avènement d’un nouveau pouvoir et de la fin d’un ancien pouvoir déchu. Les jeux olympiques sont en quelque sorte les cérémonies sportives de consécration de ce nouveau pouvoir.
L’origine des jeux est toujours liée à un meurtre, souvent rituel, ou au sang versé dans une lutte. Les jeux sont peut-être instaurés pour commémorer ce crime. Les jeux restent liés aux cultes funéraires. Les compétitions athlétiques accompagnaient les funérailles des grands héros. L’origine des jeux ne semble pas physique ou sportive, mais rituelle et religieuse, héritière des cérémonies funèbres.
Le professionnalisme sportif antique
Il semble qu’avec l’organisation systématique des jeux mêlés aux foires et fêtes commerciales, l’idée d’une rémunération des athlètes se soit peu à peu établie. Lorsque les jeux deviennent de véritables compétitions où le prestige national ou local est en jeu, les villes sont de véritables « sponsors ». Quand elles ne sélectionnent pas de champions, elles en « achètent » à l’étranger.
Les vainqueurs olympiques acquièrent des statuts et des privilèges particuliers. D’autres sont dispensés de l’impôt et bénéficient d’avantages sociaux.
Dès le 5ème siècle avant J.-C., les institutions sportives se dégradent : les trêves sont violées, les « combines » et l’argent détériorent le sport. L’importance des récompenses transforme l’esprit des jeux. Les compétitions n’accueillent plus que des professionnels accompagnés de leurs entraîneurs. Aux abords des stades s’installe une foule de petits commerçants vendant souvenirs et boissons, de femmes s’occupant de l’intendance et de prostituées.
La guerre du Péloponnèse (431-404 avant J.-C.) entraîne de sérieuses répercussions dans le développement des jeux olympiques qui perdent de leur prestige. En 420, Sparte, accusée de violer la trêve sacrée, est exclue des jeux.
A partir de 365, si les jeux sont fréquentés par des athlètes du monde entier et si de nombreux spectateurs y assistent, la cérémonie n’a plus l’éclat du 5ème siècle av. J.-C. Les athlètes-héros n’existent plus. En 388 on relève le premier cas de corruption.
300 à 80 av. J.-C. est la période de décadence des jeux. Les scandales se multiplient. Quand la Grèce est annexée à Rome, les Romains cherchent à utiliser les jeux comme moyen de propagande et de prestige. Les règles olympiques sont violées, les athlètes corrompus. L’olympisme antique a donc duré 1168 ans.
L’histoire des jeux olympiques fluctue, passant par l’idéal sportif, le respect religieux, la spécialisation, le fonctionnarisme.
Et quand les jeux olympiques renaîtront en 1896, leur faudra-t-il 1168 ans pour évoluer en un cycle comparable ?
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