Thèmes: Civilisation, Histoire, Sciences, Société Conférence du mardi 30 avril 2024
Par Monsieur Didier DOULS, diplômé de l’Ecole du vin de Paris, conférencier sur l’histoire de la vigne et du vin.
INTRODUCTION
L’histoire de la vigne est si ancienne qu’elle se confond avec l’histoire de l’humanité. La vigne sauvage (la lambrusque) est apparue dès le début de l’ère tertiaire. Au quaternaire la vigne Vitis Vinifera Sylvestris, à l’origine de la vigne actuelle, s’étend sur tout le pourtour méditerranéen. Les premières traces de vinification connues qui datent du VIème millénaire av. J-C sont trouvées dans la région du Caucase (le site de Shulaveri en Géorgie) et en Mésopotamie (le site de Hajji Firuz dans l’Iran actuel) ; des traces d’acide tartrique identifiées et datées dans des contenants pouvant en attester.
Les premières représentations connues du vin et de la vigne remontent au IVème millénaire avant J-C en Mésopotamie (vase d’Uruk ou un peu plus tard l’étendard d’Ur, cf. photo), puis en Egypte et en Phénicie avant de se poursuivre tout au long des siècles aussi bien dans l’art antique, qu’au Moyen-Age, à la Renaissance, au XIXème siècle avec les impressionnistes, et jusqu’au XXème siècle avec Dali, Picasso et l’art photographique.
Par ailleurs, les religions, païennes dans un premier temps, puis le christianisme, accorderont une place déterminante à la représentation de la vigne et du vin.
L’étendard d’Ur, la « face de la paix » (extrait) – IIIème millénaire avant J.-C
I-Durant l’Antiquité.
Les conclusions de recherches récentes (2023) démontrent que la domestication de la vigne aurait débuter avant la découverte de la fermentation et du vin, il y a environ 11 000 ans. La consommation de raisin de table précédant ainsi fermentation et vinification.
L’Histoire du vin débute il y a environ 8 000 ans au sud du Caucase et dans le Proche-Orient, berceau de l’agriculture et de l’écriture. Très tôt, l’art et le vin vont se lier. Ainsi, sur les premiers lieux de production du vin, les poteries de terre cuite faisant office de contenant vont être décorées de motifs en lien avec la vigne. Des marques d’identification des ateliers de production seront également figurées.
Partie du nord du Croissant Fertile, la viticulture se développe jusqu’en Egypte. On y trouve alors des représentations de vignes, de commerce du vin ou de dégustation sur les stèles et les tombes des pharaons et des dignitaires. Il était certainement essentiel que les défunts soient entourés d’éléments familiers et plaisants pour leur vie dans l’au-delà. On peut citer la peinture murale sur la tombe du prêtre Khâemouaset (cf. photo) dans la vallée des Reines à Thèbes (1500 avant J.-C) ou la scène du foulage du vin et des vendanges sur le tombeau de Nakht (environ 1400 av. J-C, XVIIIème dynastie). Les archéologues ont trouvé 26 amphores vinaires dans le tombeau de Toutankhamon mort vers 1324 avant notre ère.
Tombe du prêtre Khâemouaset – Vallée des Reines
Thèbes – XVIème siècle avant notre ère
Le vin est rapidement lié à la spiritualité et devient une offrande comme le prouvent les fresques montrant des offrandes de vin pratiquées par des prêtres mais également des prêtresses. Certaines œuvres représentent des scènes de vendanges comme sur le Funéraire de Nebamon.
Les scènes de banquet très présentes tout au long de l’histoire des arts apparaissent déjà dans l’Egypte ancienne. Le revers de la consommation de vin, l’ivresse, apparaît-elle aussi déjà sur le papyrus de Turin (1150 av. J-C) et sera souvent le sujet pour des peintres du XIXème siècle de Manet à Degas en passant par Toulouse-Lautrec ou encore Cézanne.
En Mésopotamie, on trouve des personnages apportant des offrandes (vin ou fruits) sur des coupes en terre cuite comme par exemple sur le vase d’Uruk au IVème millénaire avant J-C. Sur un étendard sumérien, on peut aussi observer, sur l’une des faces, une scène de bataille et sur l’autre des personnages importants tenant un verre à la main au moment de la réconciliation. On retrouvera cette présence du vin dans les moments de trêve et de paix entre belligérants au fil des siècles.
Au cours du IIIème millénaire avant notre ère, à partir de la Mésopotamie et de l’Egypte, la viticulture se diffuse dans les îles de l’Egée : la Crète, Chypre et l’Asie Mineure.
La façade du temple Ninhursag en Irak (2800-2600 av. J-C) nous montre le transport de nombreuses amphores attestant de l’essor du commerce du vin dans la région.
Le vin est une offrande pour les dieux mais aussi pour les rois comme l’atteste la fresque du palais Apadana (Persépolis) en Iran actuel où l’on peut voir les ambassadeurs arméniens offrant du vin à l’empereur Achéménide (515 av. J-C). Enfin, on peut noter que la vigne sert parfois de décor de fond comme sur le bas-relief de la prise de Lakish du palais de Sennachérib à Ninive (700 av. J-C).
En Grèce, le vin est synonyme de civilisation ; il est consommé lors de symposium qui réunissent les dégustateurs autour de banquets. Le vin, jamais bu pur, est présenté aux convives avec de l’eau ce qui permet le mélange des deux boissons. Les cratères ou jarres sont décorés ainsi que les rhytons et canthares. Certains services à boire sont somptueux et présentent des scènes en lien avec le monde viticole. Les Romains reprendront les banquets des symposiums dans les conviviums utilisant également de la vaisselle richement ornée ; les banquets des patriciens se déroulent en position allongée.
II-Représentation de la mythologie classique au travers des siècles.
Dionysos incarne le lien extrêmement fort qui lie la mythologie et le vin. Selon la mythologie grecque, Dionysos est le fils de Zeus et d’une mortelle, Sémélée. Lorsque cette dernière meurt alors qu’elle est enceinte, et afin de préserver l’enfant, ce dernier est placé dans la cuisse de Zeus jusqu’à sa naissance. Il est ensuite élevé par Silène et les satyres, des hommes aux pattes d’animaux ongulés. Le mythe d’Ariane et de Dionysos a beaucoup inspiré les artistes au fil des siècles : sculptures en marbre, peintures sur des vases comme la scène sur une amphore où Ariane et Dionysos sont entre deux satyres ou celle sur le cratère provenant de Thèbes datant de 400 av. J-C mais aussi de nombreuses peintures. Dionysos devient Bacchus chez les Romains et continue à être fréquemment représenté comme l’attestent les toiles de Le Titien (1488-1576) Bacchus et Ariane (1520), Sebastiano Ricci (1659-1734) Bacchus et Ariane (1713), de Le Caravage (1571-1610) Bacchus (1598) ou de Velázquez (1599-1660) Le triomphe de Bacchus (1628). On peut également évoquer le dessin de Raphaël (1483-1520) Triomphe de Bacchus aux Indes et le carton de Dali (1904-1989) pour la tapisserie Le char de Bacchus.
Bacchus est très souvent représenté avec une coupe de vin et Michel-Ange (1475-1564) réalise une sculpture au nom évocateur Bacchus ivre. Enfin, on peut ajouter que Dionysos et Bacchus apparaissent fréquemment dans les œuvres des fêtes païennes et notamment les saturnales.
Le vin est également présent dans une œuvre fondatrice pour la civilisation occidentale comme l’Odyssée de Homère. En effet, c’est après avoir enivré le cyclope Polyphème qu’Ulysse peut lui crever son œil et poursuivre son voyage le ramenant à Ithaque.
III-L’art médiéval, entre Roman et Gothique.
Au Moyen-Âge, le poids du christianisme dans la société est très important et cela se traduit dans l’art. Dans un premier temps, avec l’art roman puis dans l’art gothique. Le haut des chapiteaux des églises romanes présente souvent des scènes de vendanges ou des vignes, tout comme les vitraux notamment ceux de la cathédrale de Chartres. De nouveaux métiers en lien avec le monde viticole apparaissent dans les vitraux comme les charrons ou les tonneliers. Ces scènes du travail des vignerons se retrouvent fréquemment sur les églises du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, mais aussi sur la façade de l’église Sainte Croix en Arménie ou le Palais des Doges à Venise où l’on peut admirer la scène d’ivresse de Noé.
Autour des XIIème et XIIIème siècles, on peut noter des représentations en lien avec le vin dans les enluminures où le travail est extrêmement fin et précis comme dans l’œuvre Les très riches heures du Duc de Berry datant du XVème siècle. Enfin, sur la tapisserie de Bayeux (cf. photo), à la scène 37, on peut lire « et ici ils tirent un chariot avec du vin et des armes » montrant bien le lien entre la guerre et le vin. Ce lien reste très fort jusqu’à la première guerre mondiale voire la seconde. Plusieurs tapisseries datant du Moyen-Âge mais aussi des siècles suivants représentent des scènes de vendanges notamment pour symboliser l’automne. La tapisserie du XVIIème siècle, Saison d’automne de Charles Le Brun, en est un bel exemple.
Tapisserie de Bayeux – Scène 37 (1070-1080) « Et ici, ils tirent un chariot avec du vin et des armes »
La Bible relate plusieurs épisodes où le vin joue un rôle important aussi bien dans l’Ancien Testament que dans les Évangiles. Les artistes ont représenté ces scènes à de nombreuses reprises. On peut citer l’épisode de Loth et ses filles, thème illustré par Rubens (1577-1640), par Jan Massys (1509-1575), par Guercino (1591-1666), ou Jean-François de Troy ; le thème de Judith et Holopherne chez Le Tintoret, Botticelli (1445-1510), Le Caravage, Artemisia Gentileschi (1593-1653) et la sculpture de Donatello (1386-1466).
Le thème des noces de Cana apparaît dans les œuvres de Duccio di Buoninsegna (1255-1319), Le Tintoret, Véronèse (1528-1588), Quentin Varin ; le thème du souper à Emmaüs est le sujet d’œuvres de Le Titien et de Le Caravage. Enfin la Cène, moment clé de la liturgie chrétienne a été représentée très tôt par les artistes. Il faut noter qu’initialement les représentations de la Cène ne comportaient que des poissons ; à partir du XIIIème siècle, on note la présence systématique du vin, symbole du sang versé par Jésus-Christ, au côté du pain symbole du corps. Ainsi la mosaïque de Ravenne datant du VIème siècle ne présente que des poissons alors que les œuvres de la Renaissance, et postérieures, notamment celles de De Vinci (1452-1519), Raphaël, Le Tintoret ou Véronèse incluent du vin. On n’oubliera pas non plus de citer les représentations de Noé, qui s’est enivré de son propre vin après le déluge. Les représentations sont le fait de peintres, mais aussi de sculpteurs ou de maîtres-verriers.
IV-Entre les XVIe et XVIIe siècles.
Durant cette période on trouve de nombreuses natures mortes où le raisin a une place de choix comme le montre La corbeille de fruit de Le Caravage ou l’Assiette de fruits de Zurbaran (1598-1664). Arcimboldo (1526-1593), quant à lui, utilise abondamment les fruits dont les raisins dans sa toile Vertumne, ou encore la représentation de l’automne parmi les quatre saisons. Les peintres ont aussi fréquemment représenté des scènes de l’intérieur des tavernes, notamment les peintres flamands, montrant ainsi les débordements causés par l’ivresse. Jérôme Bosch (1450-1516) dans La nef des fous peint une scène loufoque due à l’excès de consommation de vin.
Jean-François de Troy semble être le premier à représenter une bouteille de champagne dans une toile avec Le Déjeuner d’huîtres peint en 1735.
V-Les XIXème et XXème siècles
A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, le courant impressionniste marque durablement l’art et ses artistes auront un lien très fort avec le vin et les liqueurs. Les verres et les bouteilles apparaissent dans de nombreux tableaux et les scènes dans les cafés, cabarets ou maisons closes sont très souvent en lien avec les boissons alcoolisées. Le vin est à cette époque un réel vecteur social et la consommation en est très importante (140 litres par habitant par an en 1900 contre 33 litres en 2020). Ainsi dans Déjeuner sur l’herbe de Monet (1840-1926) les bouteilles sont au centre de la toile ; on remarque plusieurs verres et une carafe dans le tableau de Renoir (1841-1919) Le bal du moulin de la galette ou encore Le déjeuner des canotiers (cf. photo). On peut également mentionner la présence d’absinthe, très en vogue au XIXème siècle, dans une toile de Degas (1834-1917) ou de prune chez Manet (1832-1883). Quant à Toulouse-Lautrec (1864-1901), il peindra de nombreuses toiles qui montrent la vie dans les cafés et les maisons closes où l’alcool est omniprésent.
Le déjeuner des canotiers, 1881 – Auguste Renoir (1841-1919)
Les paysages de vignes continuent à être peints notamment par Van Gogh (1853-1890). Enfin au XXème siècle des artistes comme Chaïm Soutine (1893-1943), Braque (1882-1963) ou Léger (1881-1955) continueront la tradition de mêler art et vin.
Les écrivains comme Émile Zola avec L’assommoir ont également montré la place importante du vin et de l’alcool dans la société.
La photographie a elle aussi contribué à illustrer l’univers du vin comme nous pouvons le voir dans certains clichés de Henri Cartier-Bresson (enfant portant une bouteille de vin pour sa famille), de Willy Ronis (Portrait d’un vigneron) ou Robert Doisneau (photographies des terrasses de cafés). On trouve également de nombreuses photographies de la Halle aux vins de Bercy.
CONCLUSION
Les représentations de la vigne et du raisin apparaissent très tôt dans l’histoire de l’humanité ; le vin, symbole de civilisation et de raffinement est apparu plus tardivement au cours de l’Antiquité.
Vin et vigne ont inspiré les artistes, avec des représentations réalistes ; les artistes ont également représenté les effets du vin, qui pour certains d’entre eux y auront puisé et stimulé une partie de leur inspiration. Dans un premier temps, le vin est réservé aux élites, clergé et noblesse, de l’Egypte pharaonique jusqu’au XVIIIème siècle. Puis après la Révolution, il se popularise devenant plus accessible à tous. Cela provoquera souvent des situations sociales dévastatrices dues à l’alcoolisme comme le prouvent la littérature et les arts de cette époque, notamment chez les impressionnistes.
Les représentations de la vigne et du vin dans toutes les formes artistiques nous montrent à quel point la vigne et le vin ont accompagné le développement de notre civilisation
+ de 1050 textes des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches et via le QRCode