L’AFFAIRE DREYFUS

Thème : HISTOIRE                                                                                                                                                                               Mardi 12 avril 2005

L’Affaire Dreyfus

Par Jean-Denis Bredin – Membre de l’Académie Française

En 1894, la France est une société nouvelle qui traverse une crise économique marquée par l’exode rural et l’apparition de l’industrie avec des conditions de travail très difficiles et par une crise des mentalités. L’église reste très hostile dans ses rapports avec la nouvelle République qui cherche à s’installer durablement. L’armée est une armée de revanche, appelée à rendre à la France son honneur après la défaite de 1870. L’affaire Dreyfus, qui débute alors, est marquée par ce contexte d’exaltation de l’armée et de la guerre des espions qui fait rage entre la France et l’Allemagne. A partir de 1880, on assiste aussi à une montée de l’antisémitisme provoquée par cette crise économique. Les ouvrages antisémites, tels La France Juive de Dumont, remportent alors des succès d’édition.

Un coupable désigné

En 1894, à l’ambassade d’Allemagne, travaille un attaché militaire qui avait pour mauvaise habitude de jeter tous ses papiers dans la corbeille. Ces documents étaient récoltés par une fausse femme de ménage mais vraie espionne française qui les rapportait au colonel Henry, sous-chef de la section de statistiques (des renseignements) de l’armée française. A la fin de septembre, le général Mercier, ministre de la Guerre, apprend qu’un bordereau provenant de l’ambassade allemande indique qu’un officier français transmet des informations à l’ennemi. Pour les enquêteurs, les fuites doivent provenir de jeunes officiers de l’état-major car, passant de service en service, ils ont accès à ces informations. Le colonel d’Abboville se souvient d’un jeune officier très antipathique qu’il a connu et qui s’appelle Dreyfus. L’écriture de ce Dreyfus comporte des similitudes avec celle du bordereau, estime un officier qui se pique de graphologie. Le ministre voit tout l’intérêt qu’il peut tirer de cette situation car juger un juif pour trahison peut servir sa carrière, lui qui est accusé de soutenir leur présence dans l’armée. Coupable désigné, Dreyfus est convoqué au ministère de la Guerre pour reproduire quelques lignes du document afin d’être confondu. Il est arrêté pour crime de haute trahison et rapidement transféré à la prison du Cherche-Midi. Par ailleurs, les experts graphologues ne sont pas d’accord. L’un l’accable, un autre le défend vigoureusement. Un autre évoque la thèse de l’autoforgerie : si l’écriture n’est pas tout à fait identique, c’est parce que Dreyfus l’a lui-même falsifiée par endroits.

La presse se déchaîne après avoir appris qu’un juif va passer en conseil de guerre pour trahison. Dans le même temps, au ministère on s’inquiète de ce que Dreyfus soit acquitté. Hormis le test graphologique, il n’existe aucun élément corroborant sa culpabilité. Un « dossier secret » est donc constitué pour persuader le tribunal. Le 21 décembre, Dreyfus est condamné à l’unanimité. Le 5 janvier 1895, il est dégradé publiquement dans la grande cour de l’Ecole Militaire. Quelques jours plus tard, il est déporté à l’île du Diable, une île déserte au large de la Guyane où l’espérance de vie est courte. Il tombe très malade à l’été 1895.

L’acquittement d’Esterhazy provoque le « J’accuse » de Zola

1896 marque une tournant. Mathieu Dreyfus, qui se donne un mal fou pour rassembler les éléments innocentant son frère, commence à bénéficier de quelques appuis, politiques notamment. En mars 1896, le commandant Picard est nommé chef du service des statistiques. Un jour, on lui remet un document destiné au commandant Esterhazy provenant de l’attaché militaire allemand. Picard se documente sur cet officier français. En août 1896, il compare des lettres d’Esterhazy avec l’écriture du bordereau reproché à Dreyfus, et se rend compte qu’il en est l’auteur. Bouleversé, il informe son supérieur hiérarchique qui l’envoie promener. A partir de là, Picard mènera un combat pour faire éclater la vérité. L’année 1897 sera une année terrible pour lui car personne ne veut l’écouter. Picard, qui commence à prendre des risques personnels considérables, sera plus tard muté. Le colonel Henry décide de fabriquer un faux supplémentaire pour renforcer la culpabilité de Dreyfus.

Par hasard, un banquier reconnaît l’écriture d’Esterhazy sur un fac-similé du bordereau et va trouver Mathieu Dreyfus, qui dénonce l’officier. L’armée y voit son intérêt. En faisant innocenter Esterhazy par un tribunal militaire, il n’y aura plus de contestation possible concernant la culpabilité de Dreyfus. Le 11 janvier 1898, Esterhazy est acquitté et l’affaire semble terminée. Mais Emile Zola sème le désordre en publiant deux jours plus tard son célèbre « J’accuse ».

Dès lors, les intellectuels se partagent entre partisans et opposants de Dreyfus. Vient alors le procès de Zola. L’écrivain veut peser sur le sort de Dreyfus en étant lui-même traduit en justice pour diffamation et faire éclater la vérité. Zola est condamné mais la Cour de cassation casse l’arrêt pour un motif de droit. Au cours du deuxième procès, Zola s’enfuit brusquement et part en Angleterre.

Une grâce dénoncée par certains Dreyfusards

Après l’affaire Zola, un certain nombre d’hommes politiques pensent que l’affaire s’éteindra tranquillement. Mais, de nouveau se produit un accident de l’affaire. Suite aux élections de 1898, un nouveau ministre de la Guerre est nommé. Cavaignac, homme de droiture, a la réputation d’être respectueux de la vérité. Au mois d’août, un de ses adjoints, pourtant très anti-Dreyfusard, étudie le document fabriqué par le colonel Henry deux ans plus tôt. Découvrant que c’est un faux manifeste, il en avise son ministre. Cavaignac convoque Henry, qui avoue avoir fabriqué ce faux. Le lendemain, le colonel Henry se suicide au Mont-Valérien.

Aussitôt la femme de Dreyfus dépose une requête en révision, jugée recevable par la chambre criminelle de la Cour de Cassation. Cette instance se déchire entre les partisans et les opposants à la révision. Le 1er mars 1899, le gouvernement fait voter une loi qui dessaisit la chambre criminelle – au motif qu’elle serait partiale  – au profit des chambres réunies de la Cour de la Cassation. Ces dernières cassent le jugement et renvoient Dreyfus devant la cour militaire de Rennes pour un nouveau procès qui se tient en juillet 1899.

Après cinq ans d’isolement, cet homme qui a une quarantaine d’années en paraît soixante. Il est interrogé très durement par le colonel Jouhaud. Des généraux viennent l’accabler. Le 8 septembre, le tribunal militaire condamne Dreyfus à dix ans de détention à cinq voix contre deux. Alfred Dreyfus fait part à Mathieu qu’il ne supportera pas une nouvelle dégradation militaire. La famille intervient rapidement pour qu’il soit gracié, ce qui déclenche l’hostilité de certains Dreyfusards. Finalement Mathieu Dreyfus, appuyé par Jean Jaurès, obtient la grâce de son frère. Les Dreyfusards sont partagés entre ceux qui aiment l’homme et veulent le voir libre et ceux qui s’attachent d’abord à la cause. Pour ces derniers (dont le commandant Picard et Clemenceau), la vérité ne peut supporter le droit de grâce. Péguy écrira que les défenseurs de Dreyfus étaient en droit de lui demander des comptes car « il n’était pas Dreyfus mais le héraut de la justice et de la vérité ». Zola pour sa part comprendra et ne lui en voudra pas.

Waldeck-Rousseau fait voter en loi amnistiant tout le monde et tous ceux ayant eu des comportements anormaux dans l’affaire, ce qui mécontente Zola. Jaurès reprend le flambeau pour faire éclater la vérité. En 1906, Dreyfus dépose une nouvelle requête en révision. Le 12 juillet 1906, les chambres réunies rendent un arrêt disant qu’il n’y a plus rien contre Dreyfus. L’affaire étant définitivement terminée, la Chambre des Députés vote pour que Dreyfus soit fait chevalier de la légion d’honneur. La décoration lui sera remise dans la petite cour de l’Ecole Militaire.

A la retraite, Dreyfus s’enferme dans le silence. C’est un homme brisé qui meurt en 1935.

Paradoxalement, Dreyfus échappait à la controverse entre Dreyfusards et anti-Dreyfusards. Très patriote, il n’a cessé de croire en la France et aux valeurs de justice que sa patrie portait. Cet homme étonnant était presque étranger à sa propre affaire, car son idéal est constitué de toutes ces notions qui séparaient les deux camps : la patrie, les droits de l’Homme, l’honneur , la justice…

En savoir plus …

Coté Livres :

L’Affaire

Jean-Denis Bredin

Fayard, Paris, 1993 (1re édition 1981)

http://www.amazon.fr/LAffaire-Jean-Denis-Bredin/dp/221303138X

Biographie d’Alfred Dreyfus, l’honneur d’un patriote,

Vincent Duclert,

Fayard, Paris, 2006

http://www.amazon.fr/Alfred-Dreyfus-Lhonneur-dun-patriote/dp/2213627959

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Dreyfus

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