Thèmes : Société, Histoire Mardi 04 Octobre 2016
L’AFFAIRE STAVISKY
par Isabelle Pons – Historienne et historienne de l’Art.
INTRODUCTION
Si de nos jours les scandales financiers font les gros titres telle l’affaire Madoff, déjà au début du XXèm siècle des affaires éclatent fréquemment. L’une des plus connue est l’affaire Stavisky qui a défrayé la chronique au début des années 1930. Les conséquences seront perceptibles même après la mort de Stavisky en 1934 : scandale politique, manifestation antiparlementaire et démission du cabinet.
I – Les scandales financiers au tournant du XXèm siècle
Déjà à la fin du XIXèm siècle des scandales politico-financiers éclatent. Ainsi parmi les affaires les plus retentissantes on trouve l’affaire de Panama. Dans cette affaire on apprend entre autre que l’on avait émis des bons dont l’argent servait notamment à payer des pots de vin à la presse pour qu’elle promeuve les bons et faciliter ainsi leur vente. Autre célèbre affaire celle du capitaine Dreyfus qui déchire profondément la société, au sein d’une même famille on pouvait trouver des pro et des anti Dreyfus. Cette affaire aura un impact politique significatif. Le fait que le capitaine Dreyfus soit Juif complique encore plus le cas et exalte l’antisémitisme de la société. Un autre scandale financier qui fit beaucoup de bruit est l’affaire Marthe Hanau, une banquière qui finit par faire faillite et se suicider. Les années 1920 et 1930 sont mouvementées et le crash boursier de 1929 aux Etats-Unis renforce ce climat truffé d’affaires et de scandales.
II – Qui est Stavisky?
Alexandre Stavisky est né en Ukraine en 1886. Ses parents, d’origine juive, sont issus de la classe moyenne. Son père, chirurgien dentiste, est un homme très honnête qui suite aux pogroms qui ont lieu dans l’Empire russe décide d’emmener sa famille à Paris en 1898. Dès 1900 il sera naturalisé ayant définitivement choisi de ne jamais retourner en Ukraine. Alexandre sera scolarisé à Condorcet où il fréquente des jeunes gens fortunés alors que lui vit relativement modestement, le diplôme de son père n’étant pas reconnu en France. A 17 ans il quitte l’école et ayant pris goût au luxe réalise sa première arnaque. Sa première victime est son père qui gardait de l’or pour son travail, on utilisait à l’époque de l’or pour certains soins dentaires, et comme réserve d’argent, pratique commune dans les communautés juives d’Europe orientale. Il volera l’or de son père qu’il dilapidera rapidement. Alexandre Stavisky est un homme séduisant qui plaît aux femmes et il sait en tirer avantage. Il a un penchant très marqué pour le luxe et la vie mondaine ce qui coûte cher il est donc en perpétuelle recherche de coups et d’arnaques.
III – Les arnaques d’avant-guerre.
Après avoir volé son père, Stavisky montera son arnaque suivante avec son grand-père, prénommé Alexandre comme lui (certaines sources affirment qu’il s’appelait Abraham avant de changer son prénom). En 1909, les Stavisky imaginent de louer le théâtre Marigny, qui était à louer pendant l’été, pour y faire jouer des pièces qui bien entendu ne seront jamais jouées. Par ailleurs pour réunir l’argent de la caution pour la location du théâtre, Stavisky lance des appels d’offre pour les futurs employés à qui il exige une somme d’argent comme garantie. Les Stavisky versent une petite partie des sommes récoltées à la municipalité et gardent le reste. La ville de Paris et les victimes portent plainte. Le grand-père étant mort entre temps, Alexandre Stavisky se retrouve seul devant la justice. Il engage un as du barreau grâce à qui il ne sera condamné qu’à 15 jours de prison et 25 francs d’amende alors qu’il avait détourné 12000 francs. C’est une des rare arnaques dont Stavisky tirera un grand bénéfice car si l’on fait le bilan de toute sa carrière on peut constater qu’il ne gagnera pas grand chose.
En 1914 la guerre éclate mais il n’est pas appelé, cependant, il s’engage mais il est très vite réformé. Grâce à son engagement, en 1918, à la fin de la guerre il se retrouve avec un casier judiciaire vierge. Après guerre souhaitant reprendre sa vie de plaisirs il se plaît à séduire des mondaines ou semi mondaines qu’il arnaque soit en volant leurs bijoux soit en se faisant offrir des cadeaux de grande valeur.
IV – Les affaires d’après-guerre.
A la fin de la première guerre mondiale il rencontre Jeanne Bloch, une chanteuse de music-hall avec qui il se met en ménage. Grâce à elle il réussit à s’introduire auprès des gens qui comptent. Stavisky et sa compagne montent un cabaret « Le Cadet Roussel » mais très vite Stavisky ouvre à côté un tripot où il puise dans la caisse provoquant ainsi des scènes violentes entre lui et Jeanne Bloch. En 1921 il quitte Jeanne en emportant 800000 francs ce qui, à l’époque, est une somme considérable.
Ayant retrouvé sa liberté il s’associe avec un petit escroc et tente de monter un studio de cinéma à Marseille. Là encore tout est un échec. Toujours au début des années 1920 il part même à Istanbul et à Athènes afin de monter un réseau de trafic de drogue. Stavisky y renonce finalement estimant que ce n’est pas rentable par rapport aux risques encourus. Il revient à des affaires plus classiques.
Il essaye de créer une liqueur « la jurançonnaise » puis des cubes de bouillon pour concurrencer la marque « Maggi ». Il utilise déjà le principe des sociétés écrans ce qui permet de faire traîner les affaires quand elles sont portées devant la justice ce qui n’est pas si fréquent. En effet tout au long de sa vie Stavisky montera environ 84 arnaques mais seulement 19 seront instruites et quasiment toutes classées sans suite. Cela montre l’inefficacité de la justice et de la police ou bien comme il sera souvent dit Stavisky bénéficiait d’une protection particulière.
En 1926 un commissaire, après des années d’enquête et de persévérance, réussit à l’arrêter dans sa propriété de Marly-le-Roi où il mène une vie de luxe. Il se retrouve 18 mois en prison préventive. Son père très affecté remboursera de son argent personnel une partie de l’arnaque de 5 millions de francs de bons du trésor et finira par se suicider. Alors qu’il est en prison Stavisky simule une maladie et parvient à se faire établir un rapport médical alarmant. Stavisky sort pour raisons médicales mais trois jours plus tard il festoie gaiement.
En 1928 Alexandre Stavisky se marie avec Arlette, un ancien mannequin de Coco Chanel dont il est éperdument amoureux. A la différence de bon nombre de ses précédentes conquêtes elle est issue d’une famille bourgeoise respectable. Ils auront deux enfants et seront un des couples les plus en vue dans les années folles. Ils donnent des soirées fastueuses dans leur appartement de l’hôtel Claridge où le tout Paris se retrouve. Il continue ses arnaques en achetant une écurie de course ou le théâtre de l’Empire où les opérettes montées seront un fiasco car elles engloutissent énormément d’argent. Par ailleurs, il aime jouer au casino avec des personnalités telles que Jean Patou ou le baron de Rothschild et mise des sommes conséquentes.
V – Sa dernière grosse affaire et la fin de sa vie.
L’affaire de trop pour Stavisky sera celle du crédit municipal de Bayonne en 1932. La ville de Bayonne n’ayant pas de crédit municipal Stavisky décide d’en créer un et pour cela il contacte le député maire de Bayonne, Joseph Garat, afin d’obtenir les autorisations nécessaires. Le fond de départ se fait avec de faux bijoux et des bijoux volés ce qui provoque déjà quelques remous. Assez vite les contrôleurs fiscaux sont surpris du volume des bons de caisse émis par un crédit municipal aussi modeste que celui de Bayonne. Les inspecteurs du fisc décident de faire une inspection sans prévenir et constatent de nombreuses anomalies. Stavisky avait fait émettre des bons de caisse pour une valeur de 235 millions de francs alors que ces bons n’étaient couverts qu’à hauteur de 20 millions de francs. Le 25 décembre 1933 sous ordre du sous-préfet Antelme, le directeur du crédit municipal de Bayonne, Tessier, est arrêté pour fraude et mise en circulation de faux bons au porteur. On découvre rapidement que Tessier n’est que l’exécutant et que c’est Stavisky qui avait organisé la fraude par le système de chaîne de Ponzi. Garat, le député maire sera lui aussi interrogé. Stavisky est prévenu et il prend la fuite se réfugiant d’abord à Servoz à la villa Argentière propriété d’un ami escroc puis il part à Chamonix où les gendarmes le découvrent très gravement blessé, agonisant et gisant dans son sang. Il meurt quelques heures plus tard à l’hôpital. Les journaux ironisent sur le suicide de Stavisky et le doute subsiste sur sa mort. Ainsi « Le Canard Enchaîné » va titrer sa une « On a suicidé Stavisky ». Suicide, meurtre ? La seule certitude est que le silence qu’implique la mort de Stavisky arrange tout le monde.
L’arnaque du crédit municipal de Bayonne devient un scandale politique. On dénonce ceux qui auraient pu appuyer Stavisky et l’antiparlementarisme gronde. Le journal « L’humanité » fait sa une avec Chautemps et sept de ses ministres impliqués dans le scandale Stavisky. Le terme « stavisqueux » est créé pour désigner les complices ou prétendus complices de Stavisky. A la suite de quoi un nouveau gouvernement est formé car Chautemps doit démissionner. Le ton monte et en février 1934 des manifestations ont lieu contre le gouvernement. Il y aura 20 morts et de nombreux blessés aussi bien parmi les manifestants que parmi les forces de l’ordre. Des enquêtes, une judiciaire et l’autre parlementaire seront ouvertes. Finalement le procès s’ouvre en janvier 1935 et il se terminera en janvier 1936 par huit condamnations sur les vingt accusés. Les condamnations les plus lourdes seront celles de Garat et de Tessier ce qui semble bien léger en comparaison de l’ampleur de l’arnaque.
CONCLUSION
Alexandre Stavisky bien qu’ayant monté des dizaines d’escroqueries restera célèbre pour son implication dans l’affaire du crédit municipal de Bayonne qui aura un impact significatif dans la vie politique de la IIIèm République. Finalement on peut dire que l’affaire Stavisky a contribué à la victoire du Front Populaire de Léon Blum aux élections de 1936.