L’ATTENTAT DE LA RUE NICAISE, BONAPARTE, FOUCHÉ ET LA GUERRE DES POLICES

Thèmes: Histoire, Société                                                                                                                            Conférence du mardi 19mars 2024

L’ATTENTAT DE LA RUE NICAISE, BONAPARTE, FOUCHÉ ET LA GUERRE DES POLICES

Par Madame Catherine DELORS, avocate et auteure.

INTRODUCTION

Le 24 décembre 1800 a lieu un événement clé dans la prise de pouvoir de Bonaparte : l’attentat de la rue Saint-Nicaise, qui est aussi le premier attentat que l’on qualifierait de nos jours de terroriste, au cœur de Paris. C’est la première fois qu’un engin explosif est utilisé pour commettre un assassinat, tuant au même temps des personnes au hasard. Cet attentat contre le Premier Consul mettra en lumière les conflits qui opposent Bonaparte aux Jacobins et aux royalistes. C’est aussi un événement qui implique Joseph Fouché, ministre de la Police, et Nicolas Dubois, préfet de Police. La préfecture de Police avait été créée par Bonaparte afin de limiter l’autorité de Fouché, en qui il n’avait aucune confiance.

I – Les événements.

Le 3 nivôse an IX, soit le 24 décembre 1800, veille de Noël, vers huit heures du soir, une bombe explose rue Saint-Nicaise, sur le chemin du cortège de Napoléon Bonaparte, Premier Consul. Ce dernier réside au Palais des Tuileries, aujourd’hui disparu, et doit se rendre à l’Opéra pour assister à la première représentation en France de l’oratorio La Création du monde, de Joseph Haydn. L’Opéra se situe alors tout près du palais des Tuileries. 

En cette veille de Noël, les Parisiens sont aux fenêtres ou sur le pas de leur porte afin de voir passer le cortège de Bonaparte et sa garde. Cela aura une conséquence sur le nombre de victimes.

Dans la rue Saint-Nicaise, une voiture et son cheval sont mal rangés et trois individus vêtus de blouses de toile bleue, comme des travailleurs des classes populaires, sont aux alentours. Un tonneau est posé dans la charrette. Une énorme explosion se produit, provoquant 22 morts, 56 personnes grièvement blessées qui subiront des amputations pour la plupart, et une centaine de blessés plus légers. Une quarantaine de maisons sont également soufflées. Bonaparte, quant à lui, bien que les vitres de sa voiture aient été brisées par l’explosion, est indemne. Cela est dû à la perspicacité de son cocher, dont on a souvent dit qu’il était ivre, qui a trouvé étrange cette charrette mal garée et ces trois hommes qui rôdaient autour. Il lance ses chevaux au galop, éloignant Bonaparte de ce guet-apens. Impassible, le Premier Consul se rend à l’Opéra, afin de montrer qu’il va bien et accuser à haute voix les Jacobins de l’attentat.

Cet attentat aura un fort retentissement, car une victime en particulier apitoiera la population, il s’agit de Madeleine Peusol, une vendeuse de rue, âgée de 15 ans, pauvre et maigre, à qui un des terroristes avait donné une piécette pour tenir la bride de la jument car la charrette ne devait pas bouger. La petite Madeleine sera totalement carbonisée par l’explosion du baril de poudre.

 II – Le contexte.

A l’époque de cet attentat, Bonaparte est un jeune homme ambitieux, et qui a pris le pouvoir un an auparavant en tant que Premier Consul. Dès sa prise de pouvoir, il impose une forte censure et d’autres mesures controversées. Il a donc de nombreux opposants, aussi bien dans les rangs jacobins que chez les royalistes.

Le ministre de la Police est Joseph Fouché qui, lors du coup d’État de Bonaparte, n’a rien fait, attendant simplement la suite des événements. Cette attitude attentiste et opportuniste est typique de Fouché. Ce dernier, issu d’une famille de notables mais de santé fragile, entre en religion chez les Oratoriens. S’intéressant à la politique, il quitte les ordres et devient conventionnel. Il est envoyé à Lyon pour mater les révoltes. Fouché fait partie du complot thermidorien qui cause la chute de Robespierre, mais quitte la politique peu après et se lance dans les fournitures aux armées, ce qui le rend très riche. De retour aux affaires, il reste ministre de la Police sous Bonaparte bien que ce dernier ne lui fasse guère confiance.

Après l’attentat, Bonaparte accuse immédiatement les Jacobins mais Fouché lui affirme que ce sont les Royalistes qui sont les coupables. Bonaparte accuse Fouché de négligence et d’indulgence envers les anciens révolutionnaires. Fouché s’était cependant assuré le soutien de Joséphine. La sachant très dépensière, il lui allouait une somme chaque mois.   

Par ailleurs, la police est infiltrée de royalistes car bon nombre de policiers de l’Ancien Régime ont gardé leur poste. Bonaparte n’a aucune confiance en Fouché, il a sa garde personnelle et sa police militaire, mais il crée en plus la préfecture de Police afin de limiter le pouvoir du ministre de la Police et disposer d’une institution qui lui est totalement dévouée. Le Préfet est Nicolas Dubois, ancien avocat, personnage assez falot, bien qu’ambitieux. 

III – L’enquête.

Dans un premier temps, l’enquête s’oriente en direction des Jacobins car Bonaparte est convaincu que les coupables sont issus de ce milieu. La répression est féroce et bon nombre de Jacobins sont arrêtés et enfermés dans la sinistre tour du Temple, aujourd’hui démolie sur ordre de Napoléon. En prison, les Jacobins sont en contact avec des royalistes et des liens se tissent. Parmi les Jacobins arrêtés, 133 sont déportés à Cayenne sans procès. C’est ce que l’on appelait la « guillotine sèche ».

Mais Fouché, convaincu que les Jacobins ne sont pas coupables, poursuit l’enquête et les moyens les plus modernes en matière d’enquête policière sont mis en place. Les restes de la jument qui tirait la charrette permettent de voir qu’elle avait été ferrée de neuf. La police convoque donc les maréchaux-ferrants de Paris. L’un d’eux reconnaît l’animal et déclare que ce sont trois hommes habillés comme des bourgeois qui le lui ont amené. C’est étrange, car les hommes qui rôdaient à côté de la charrette avant l’attentat étaient vêtus comme des hommes des classes populaires.

Cependant, en interrogeant des survivants de l’attaque, l’un d’eux, un militaire affirme avoir vu un suspect portant des lunettes à monture d’or. Finalement la police découvre que les coupables sont bien les Chouans, c’est-à-dire des royalistes. Le chef du complot est Georges Cadoudal, un colosse qui coordonne la résistance royaliste depuis l’ouest de la France. Le second de Georges, comme on l’appelait, est un noble, Joseph Picot de Limoëlan, qui dirige les opérations à Paris. C’est lui qui choisira la petite Madeleine pour tenir la bride de la jument qui tirait la charrette. Lors de l’attentat, il commet une erreur fatale en prévenant quelques secondes trop tard ses complices de l’arrivée de la voiture de Bonaparte pour la mise à feu du tonneau de poudre. Il semble que Limoëlan soit resté paralysé par l’enjeu. 

Son second est un autre noble breton, Pierre Robinault de Saint-Réjant, grièvement blessé lors de l’explosion. Le troisième complice est François Carbon, un Parisien aux mœurs très douteuses. Saint-Réjant devait mettre le feu à la poudre sans utiliser de mèche, ce qui était très efficace mais impliquait une mort certaine. En fait, tenant à sa vie, il utilise une mèche ce qui lui permet de survivre mais contribue en partie à l’échec de l’attentat en retardant l’explosion de quelques instants.

La police est aux trousses des véritables coupables et, en moins d’un mois, Carbon, puis Saint-Réjant et Carbon sont arrêtés. Carbon s’était réfugié dans un couvent, mais il est dénoncé par sa nièce dont il avait abusé. Ils sont tous les deux guillotinés. 

Quant à Limoëlan, il fuit Paris et se réfugie dans son château, où il n’est pas inquiété. Il part en Amérique où il se fait oublier en devenant peintre de miniatures. Un jour, il se découvre une vocation religieuse et devient prêtre. Voulant mélanger les communautés irlandaises et noires, il entre en conflit avec ses supérieurs et, à la mort de Napoléon, il rentre en France. On lui conseille de retourner aux Etats-Unis, il repart et il fera construire à la Visitation de Georgetown, dont il est le directeur spirituel, près de Washington, une chapelle dédiée au Sacré-Cœur de Jésus, emblème des Chouans.

Dans les mémoires de Fouché, on ne trouve que quelques lignes sur l’attentat de la rue Saint-Nicaise. C’est assez surprenant, car Fouché avait dès le début suspecté l’identité des vrais responsables, et apporté la preuve de leur culpabilité. Il ne sera pas renvoyé par Bonaparte.

CONCLUSION

Le 24 décembre 1800, l’attentat contre Bonaparte permet à ce dernier de se défaire de nombreux ennemis, aussi bien chez les Jacobins que chez les royalistes. Il consolide son pouvoir, ce qui aboutit finalement au sacre de 1804. 

C’est aussi le premier attentat, au sens moderne du terme, de Paris car la tentative d’assassinat tue aveuglément des personnes n’ayant aucun lien avec Bonaparte. Il faut ajouter que c’est également la première enquête policière de l’ère moderne à employer des méthodes scientifiques.

Bibliographie

. Delors, Catherine, Blanche et la bonne étoile, Éditions Héloïse d’Ormesson, Paris, 2023, et Éditions Pocket, 2024.

. Delors, Catherine, La danse des fauves, Éditions Jeanne et Juliette, Paris, 2024.

 

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