Thèmes: Histoire, Société Conférence du mardi 18 novembre 2008
Par Jacques Gautier, sénateur-maire de Garches
Monsieur Jacques GAUTIER passe d’abord la parole à Monsieur Yves BODIN pour un court exposé historique sur le bicamérisme français.
Le Sénat partage avec l’Assemblée Nationale l’exercice du pouvoir législatif, c’est ce qu’on nomme le bicamérisme, un système en vigueur dans presque tous les systèmes démocratiques occidentaux. En France, les constituants de 1791 pensaient qu’une chambre unique suffisait à représenter la volonté du peuple, mais l’expérience a montré l’intérêt d’avoir une deuxième chambre dans le but essentiel d’éviter les excès d’une assemblée unique. Le Directoire instaurant une 2ème chambre n’a pas duré, renversé lors du 18-Brumaire par Bonaparte.
Mais dans les régimes qui suivirent, il y a toujours eu deux assemblées, la haute assemblée prenant des appellations diverses, mais ses membres étant systématiquement désignés par le pouvoir exécutif, que ce soit l’empereur ou le roi. Il n’y avait aucune démocratie dans le système.
Sauf l’épisode à chambre unique de la II République, il a fallu attendre les lois constitutionnelles de 1875 instaurant la IIIe République pour que les membres de haute assemblée – devenue « sénat » – soient élus par des représentants des collectivités territoriales. Pour qu’elles fonctionnent bien ensemble, il est essentiel que les deux assemblées ne soient pas élues de la même façon (scrutin direct/indirect) car le but poursuivi est bien d’avoir deux avis.
En 1946, la constitution de la IVe République a réduit le poids du sénat (nommé « Conseil de la République ») qui n’a qu’un pouvoir consultatif. Minée par l’instabilité gouvernementale et son incapacité à résoudre les défis de la décolonisation, la IVe République s’achève en 1958. Le général De Gaulle est chargé par le Président de la République de soumettre une nouvelle constitution au peuple. La constitution de la Ve République rétablit le Sénat dans son prestige – le président du Sénat redevient le deuxième personnage de l’Etat – et dans ses pouvoirs. En cas de conflit entre assemblées, un mécanisme prévoit que le dernier mot reviendra à l’Assemblée Nationale. C’est donc un bicamérisme atténué.
Reprenant la parole, Monsieur Jacques GAUTIER présente deux courts métrages qui donnent une image physique du Sénat, de son fonctionnement, et sur le rôle et l’activité du Sénat.
Le représentant des territoires
Le 1er octobre dernier, Gérard Larcher, sénateur des Yvelines, a été élu président du Sénat, en remplacement de Christian Poncelet.
Dans le document présenté, l’ancien président insiste sur l’importance des deux chambres différentes dans leur mode d’élection. En France, le Sénat est le représentant des territoires ; les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect, ce qui les rend moins sensibles que les députés à la pression de l’opinion et des médias. Un député a « juste » besoin d’obtenir la confiance d’une majorité d’électeurs pour travailler sur des textes de loi ou l’évaluation des politiques publiques même s’il n’a aucune expérience.
L’Assemblée Nationale peut souffrir de la versatilité du corps électoral (les vagues bleues et roses), de l’inexpérience de ses membres et du poids de l’opinion publique. Les sénateurs, qui étaient élus pour neuf ans et qui ne le sont plus que pour six, ont le temps pour eux. Renouvelé par moitié, le Sénat subit moins les grands chocs politiques.
Pour être sénateur, il faut avoir trente ans et être élu par les 150 000 grands électeurs, constitués par les représentants des communes. On ne devient pas sénateur de jour au lendemain, il faut avoir une forte expérience locale. Le Sénat a souvent plus de technicité et de recul pour agir et légiférer que l’Assemblée Nationale. Souvent, le gouvernement demande au Sénat de corriger des imperfections voire des erreurs politiciennes de la chambre basse.
Faire la loi
Le travail des parlementaires consiste à faire la loi, contrôler le travail du gouvernement et évaluer les politiques publiques. La proposition de loi, qui est faite par un parlementaire, député ou sénateur, ne représente actuellement que 5% des textes allant au terme, (mais cela devrait changer avec la réforme constitutionnelle). Les projets de loi sont amenés par le gouvernement devant les assemblées pour les faire valider. Après avoir été adopté au Conseil des ministres (et après examen du Conseil d’Etat), un projet de loi aura une longue « carrière » avant de devenir applicable. Il devra être voté par les deux assemblées, puis attendre la publication des décrets d’application. Cela peut parfois prendre plusieurs mois pour le passage au niveau parlementaire et plusieurs années pour la publication des décrets.
Quand le projet de loi a été examiné par le gouvernement en Conseil des ministres, la commission compétente à l’Assemblée et au Sénat est avertie, et un rapporteur désigné. Ce rapporteur fait le lien entre son assemblée et le ministre concerné pour commencer à travailler le texte et éventuellement l’améliorer. Le rapporteur procède à de très nombreuses auditions, qui peuvent durer des heures entières dans le but d’avoir une vision complète. Pour exemple, quand nous avons voté le projet de loi sur la modernisation de l’économie, nous avons auditionné des représentants de syndicats, de chambres de métiers, des chefs d’entreprise, des fonctionnaires… A l’issue des auditions, le texte de loi est ensuite discuté en commission.
Le rapporteur peut proposer à ses collègues un certain nombre d’amendements pour rendre le texte plus simple, plus applicable. Etre rapporteur est un moment valorisant, c’est beaucoup de travail mais c’est très enrichissant car il y a beaucoup d’échanges avec le ministre et son équipe ainsi qu’avec ses collègues. Chaque parlementaire peut ensuite déposer un amendement, la commission se réunissant ensuite pour statuer. Puis tous les amendements, y compris ceux ayant amenés lien à une décision défavorable, viennent en séance publique. Nous entrons alors dans ce travail que vous pouvez voir sur Public Sénat ou les télévisions nationales.
Compte tenu du nombre d’amendements, qui doivent tous être discutés, certaines discussions peuvent s’éterniser, d’autant qu’une fois adopté par une chambre, le texte part à l’autre chambre. Si le Sénat change les amendements précédents, le texte devra repartir à l’Assemblée pour une deuxième lecture. S’il n’y a toujours pas d’accord à l’issue de cette deuxième lecture, une commission mixte paritaire composée de sept sénateurs et sept députés trouvera, dans 99% des cas, une solution commune. Sans accord, le dernier mot revient à l’Assemblée Nationale. Pour les réformes constitutionnelles ainsi que pour les lois organiques, il faut que le texte soit adopté exactement dans les mêmes termes par les deux assemblées, il n’y a pas de commission mixte paritaire.
Le contrôle et l’évaluation des politiques publiques
Le Sénat peut se saisir de toute enquête qu’il souhaite mener sur un sujet donné. Il doit aussi contrôler les services de l’Etat, les divers ministères et divers sujets. Ainsi, siégeant à la commission sénatoriale sur la Défense, mon président de commission m’a désigné pour mener, avec un collègue de la commission de Finances, une enquête sur l’Airbus A-400M qui a pris beaucoup de retard.
Nous allons interroger Louis Gallois, le président d’EADS, puis nous porter sur les chaînes de fabrication en France et en Allemagne pour essayer d’aller au fonds du dossier avant de rendre nos conclusions. Tous les jours, nous rendons des rapports à nos collègues et au gouvernement mais ce travail de contrôle du gouvernement et d’évaluation des politiques publiques ne se voit pas dans l’opinion.
Quatre sénateurs rentrent de Palestine où ils sont allés voir le développement des colonies dans les territoires occupés. Leur long rapport va éclairer les sénateurs et tous ceux qui s’intéressent à la situation dans le pays. Tout ce travail est passionnant et prend beaucoup de temps.
Dans l’hémicycle, on voit souvent peu de parlementaires présents au moment des débats. Plusieurs raisons à cela.
La réforme constitutionnelle, voulue par le Président de la République et adoptée par les parlementaires réunis en Congrès, change beaucoup plus de choses que l’on veut bien le dire. Au niveau de l’Assemblée Nationale et du Sénat, on y trouve beaucoup d’éléments novateurs. Dés avril, ce sera le texte du rapporteur et non plus la version du gouvernement qui sortira de la commission pour être débattue en séance publique. Si un ministre laisse « dériver » son texte en commission, il ne le « récupèrera » pas en séance publique. Certains amendements, auxquels le gouvernement est hostile, pourront plus facilement être votés. D’autre part, nous allons maîtriser une partie de l’ordre du jour pour faire le contrôle du gouvernement ou faire des propositions de loi.
Dans le cadre de la réforme du règlement du Sénat sur lequel nous travaillons actuellement, en liaison avec l’Assemblée, nous cherchons à trouver comment valoriser la séance, réduire les temps de parole, et obliger nos collègues à être présents en groupant le travail parlementaire sur trois jours.
Cette réforme doit permettre au Sénat d’être meilleur sur les textes et lui permettre de retrouver la place qu’il mérite auprès des Français, une place à part entière avec la technicité qui est la sienne.