Thème: HISTOIRE                                                                                                                                                                                Mardi 8 Avril 2014

Les 20 jours de Fontainebleau – La première abdication de Napoléon, 31 mars – 20 avril 1814

Par Thierry LENTZ – Directeur de la Fondation Napoléon

Thierry Lentz est un historien de renom, spécialiste du Consulat et du Premier Empire, auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels « Le 18 Brumaire : les coups d’Etat de Napoléon Bonaparte », « Correspondance générale de Napoléon Bonaparte », « Nouvelle histoire du Premier Empire, les cent jours » ou encore « Mémoires de Napoléon ».

Diplômé en Droit, il enseigne le droit public et l’histoire du droit à l’Institut d’études administratives et politiques de l’université de Nancy, devient administrateur de l’Institut Napoléon à la Sorbonne, et depuis 2000, Thierry Lentz est directeur de la Fondation Napoléon.

Son dernier livre « Les 20 jours de Fontainebleau, la première abdication de Napoléon » vient de paraître et décrit ce qui est communément appelé « l’agonie de Fontainebleau » ou les 20 derniers jours qui séparent le repli de Napoléon sur cette ville après la prise de Paris par les alliés le 31 mars 1814, et son départ pour l’Ile d’Elbe le 20 avril suivant, marqué par la célèbre cérémonie des Adieux dans la cour du château.

Vingt jours empreints de malheurs, de nostalgie, de rebondissements et de hautes trahisons qui ont mené à l’exil de l’empereur. Entre légendes, rumeurs et témoignages souvent contradictoires, cet ouvrage interroge le lecteur sur l’exactitude des faits avérés. Et si la légende, partout répétée, recouvre une réalité sensiblement différente ?

Ces 20 jours constituent un épisode politique essentielle dans l’histoire de France, ayant conduit au drame par lequel s’est joué le sort du monde avec la chute de l’Empire, la naissance de la première Restauration et l’arrivée sur le trône de Louis XVIII.

Contexte historique

Février 1814 : la campagne de France tourne mal et l’Empire est en crise : les généraux de Napoléon se rebellent et les forces alliées (Royaume-Uni, Prisse, Russie et Autriche) envahissent Paris. La bourgeoisie parisienne, comme le peuple, ne soutient plus l’Empereur. « On ne me craint plus ! » « On ne m’obéit plus ! » clame Napoléon.

Il arrive le 31 mars à Fontainebleau, un des quarante-sept château dont il est propriétaire à travers la liste civile, avec le projet d’attaquer Paris occupé par l’ennemi, parvient à lever une armée de 60 000 hommes (Les Maries-Louise) car rien ne peut arrêter cet esprit forcené qui persiste à galvaniser ses dernières troupes pour hasarder un dernier assaut. Mais le Sénat et le corps législatif proclament sa déchéance, le 2 avril, et les maréchaux refusent de lancer une nouvelle offensive.

Après la trahison de Marmont, duc de Raguse, qui livre ses troupes à l’ennemi, Napoléon abdique, une première fois le 2 avril et une seconde le 6 avril 1814, et cette fois sans condition.

La défaite de la campagne de Paris ou les derniers jours du règne

Le 30 mars 1814, Paris capitule après la défaite de la bataille de Paris qui a été particulièrement meurtrière du côté de Montmartre avec quelque 9000 morts de part et d’autre. N’ayant aucune nouvelles de l’Empereur, son frère Joseph Bonaparte, placé à la tête du gouvernement impérial, fait évacuer l’Impératrice et le roi de Rome à Blois et accepte de négocier avec les forces alliées.

Dans la soirée les négociations sont ouvertes, et dans la nuit, Marmont, avec la médiation de Talleyran, signe un armistice : les troupes françaises évacuent Paris en direction du Sud.

Napoléon est à Juvisy lorsqu’il apprend la nouvelle, s’emporte violemment, décide de reconquérir Paris, y renonce finalement sur les conseils de l’Etat Major et accepte de s’installer à Fontainebleau, où il est accueilli à la hâte par une escouade de retraités revêtus pour l’occasion d’un uniforme.

Les « 20 jours de Fontainebleau » commencent au rythme d’une succession de négociations politiques et diplomatiques entremêlées de hautes trahisons.

Le traité de Fontainebleau est signé, non sans mal, par Napoléon le 11 avril, et ratifié le 14.

Négociations politiques

Première abdication et gouvernement provisoire

Le sénat organise, le 1er avril, un gouvernement provisoire présidé par Talleyrand et déclare, le 2 avril, Napoléon déchu du trône, le droit d’hérédité aboli dans sa famille, le peuple français et l’armée déliés envers lui du serment de fidélité.

Sont présents à Paris le roi de Prusse Frédéric Guillaume III et le tsar Alexandre, hébergé en lieu sûr au domicile de Talleyrand à l’Hôtel Saint Florentin. Talleyrand, farouche opposant à l’empire napoléonien, commence à gouverner et cherche des solutions avec les alliés. Le 4 avril, par arrêt du gouvernement provisoire, il est permis aux conscrits rassemblés de retourner chez eux ; ceux qui sont encore dans leurs foyers sont autorisés à y rester. Le même jour à Fontainebleau, les maréchaux Ney, Lefebre, Berthier et Macdonald refusent catégoriquement, dans l’intérêt national, de reprendre les armes. Si la célèbre scène des maréchaux venus le sommer d’abdiquer n’a en fait jamais eu lieu, tous les dignitaires aspirent à la paix.

Dans le même temps, on apprend qu’à Paris l’occupation se passe sans heurts, la population ne s’est pas révoltée, le gouvernement vient de voter la déchéance de Napoléon et les maréchaux ne veulent pas prendre le risque de déclencher une guerre civile en repartant à l’assaut de la capitale, avec une armée diminuée de 35000 hommes contre 150 000 pour les forces alliées.

La légende voudrait, qu’à l’issue de cette scène des maréchaux, que d’aucuns ont décrit comme houleuse et menaçante mais dont il n’existe pas d’archives, Napoléon aurait rédigé son abdication. En revanche, les mémoires de Caulaincourt et Macdonald, ainsi que les témoignages du Général Ney et du Baron Fain (« Manuscrit de 1814 ») contestent la version des faits. En réalité, la scène aurait été inventée à la suite de la publication d’un article le 9 avril dans le Journal des Débats qui lance l’idée d’une trahison des maréchaux. Théorie du complot relayé par les historiens, et étayée par Lefebvre, passé du côté des Bourbons.

Entre le 4 et 5 avril, Napoléon, sur les conseils avisés de Caulaincourt, rédige sa première abdication conditionnelle : le roi de Rome serait Empereur et Marie-Louise régente.

Trahison de Marmont et seconde abdication

Cependant, Napoléon tente une dernière offensive et fait marcher une partie des troupes dont il dispose vers Paris, mais le 6e corps d’armée, commandé par Marmont, va passer à l’ennemi, le 5 avril avec le général Schwarzenberg.

La trahison de Marmont, duc de Raguse, et ami de longue date de l’Empereur, prive Napoléon de sa dernière unité de combat (d’où l’expression usuelle de « Ragusade » ou « Marmonade »). Appauvri et seul, il ne constitue plus une menace. Le tsar Alexandre refuse alors l’abdication sous condition, et les sénateurs appellent Louis XVIII à régner.

Le 6 avril, Napoléon prépare un second acte d’abdication pour lui et ses descendants des trônes de France et d’Italie, mettant fin à la dynastie des Bonaparte, et conditionne son entrée en vigueur.

« L’Empereur Napoléon et l’Impératrice Marie-Louise conserveront ces titres et qualités pour en jouir leur vie durant ».

Négociations diplomatiques

Traité de Fontainebleau

Le 11 avril 1814, après moult négociations et discussions, Napoléon signe le traité de Fontainebleau, conclu le 6 avril à Paris, entre les maréchaux Ney et Macdonald, le Général Caulaincourt et les ministres d’Autriche, de Russie et de Prusse. L’acte d’abdication est alors remis au gouvernement provisoire de Talleyrand.

Selon une autre légende, la traité de Fontainebleau aurait été imposé à Napoléon ; en réalité il a été négocié et signé dans les règles de la diplomatie, respectant fidèlement les instructions manuscrites de Caulaincourt.

Le traité garantie à Napoléon la souveraineté de l’Ile d’Elbe, une rente de deux millions de francs annuels, le duché de Parme pour son épouse Marie-Louise avec droit de succession pour son fils, ainsi qu’une pension pour les membres de la famille impériale.

Le 12 avril, le Comte d’Artois, frère du roi, fait son entrée solennelle dans Paris.

Dans la nuit du 12 au 13 avril, Napoléon tente de s’empoisonner en ingérant le « poison de Condorcet ». La tentative de suicide est établie par recoupement des témoignages de Caulaincourt et de son valet de chambre Hubert. « Un général vaincu ne se rend pas, il se suicide ». « Ils devaient tout à Napoléon, ils ne lui rendront rien ».

La perte de son empire sur l’Europe à Leipzig, puis sur la France après la défaite de la campagne de Paris le 31 mars 1814, ont-ils poussé l’empereur déchu au désespoir ?

Le 12 avril, Napoléon accepte de ratifier le traité de Fontainebleau dans les formes d’un traité international ; le secrétaire d’Etat y appose les grands sceaux de l’Empire et l’envoie à Paris.

S’en suit une semaine d’attente, durant laquelle Napoléon va mettre à rude épreuve les nerfs des membres du nouveau gouvernement. Tout est prêt pour son départ mais il retarde l’échéance. « Peut-être demain ! » dit-il ou encore « J’ai l’Ile d’Elbe mais aurais-je également les canons et le matériel ? ». Ses nouvelles exigences font l’objet de négociations à Paris ; il réclame tantôt des livres, tantôt des vêtements ou encore des malles qui sont sa propriété selon la liste civile.

Finalement, il obtient gain de cause et consent à partir.

Scène des Adieux

Le 20 avril 1814, Napoléon fait ses adieux à la Garde impériale dans la cour du Cheval Blanc du château.

« Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis 20 ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l’honneur et de la gloire. Dans ces derniers temps, comme dans ceux de notre prospérité, vous n’avez cessé d’être des modèles de bravoure et de fidélité. Avec des hommes tels que vous, notre cause n’était pas perdue. Mais la guerre était interminable ; c’eût été une guerre civile, et la France n’en serait devenue que plus malheureuse. J’ai donc sacrifié tous mes intérêts à ceux de la patrie ; je pars. Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée, il sera toujours l’objet de mes vœux »

A travers son discours improvisé, Napoléon appelle ses grognards à se rallier à Louis XVIII.

Napoléon embrasse les généraux, le drapeau et quitte Fontainebleau pour rejoindre l’Ile d’Elbe.

Nul doute, à ce moment là, que Napoléon fera son retour sur la scène politique, l’année suivante.

En savoir plus…

Coté livres:

Les vingt jours de Fontainebleau

de Thierry LENTZ (23 janvier 2014)

Ce que l’on a appelé « l’agonie de Fontainebleau » court sur les vingt journées qui séparent le repli de Napoléon sur cette ville, après la prise de Paris par les coalisés le 31 mars 1814, et son départ pour l’île d’Elbe, le 20 avril suivant. Pour les uns, l’Empereur, affalé sur une chaise et tenté par le suicide, a bien mérité son sort, pour les autres, émus par la cérémonie des Adieux, il s’est sacrifié. Et si la légende, partout répétée, recouvrait une réalité sensiblement différente ? Passant au crible les témoignages souvent tardifs et contradictoires, exhumant des documents inconnus, réévaluant le rôle des principaux acteurs, Thierry Lentz, en 26 chapitres éblouissants, reconstruit heure par heure un drame par lequel s’est joué le sort du monde.

Coté Web:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Lentz