Thème : Histoire, Société Mardi 08 MARS 2016
LES ARMENIENS, HISTOIRE D’UN GENOCIDE
par Monsieur Yves TERNON, Docteur en Histoire.
INTRODUCTION
Au début des années 1920 débarquaient à Marseille des milliers de migrants de Syrie et de Turquie. C’étaient les survivants du génocide arménien commis dans l’ancien Empire ottoman. C’est ainsi qu’une importante communauté arménienne s’est formée en France.
I) Pourquoi ce génocide ?
A la fin du XVIIIème siècle les Arméniens sont répartis dans l’Empire ottoman, avec une forte majorité à l’est de l’Empire. Les Arméniens, comme les autres chrétiens, ont un statut inférieur dans l’Empire, ils doivent entre autres contraintes payer des impôts particuliers. Au début du XIXème siècle commence le démembrement de l’Empire ottoman. Ce démembrement est marqué par un mouvement d’émancipation des minorités et débute avec les guerres d’indépendance serbe et grecque. Suivent des soulèvements dans les Balkans qui conduirontà l’indépendance de la Roumanie et de la Bulgarie. Ces indépendances montrent la faiblesse de l’Empire ottoman et les puissances européennes mettent la pression sur le sultan pour que tous les citoyens soient égaux mais cela ne se traduit pas dans la situation des Arméniens, toujours lésés et victimes d’exactions.
En 1878, l’Empire ottoman perd la guerre contre la Russie et, le traité de Berlin impose la protection des Arméniens contre les Kurdes et les Circassiens, musulmans de Russie persécutés par le tsar et venus se réfugier dans l’Empire ottoman. Les Arméniens deviennent un problème croissant pour les Ottomans car, pour la première fois, à Berlin, se profile une possible autonomie de l’Arménie. En fait, le sultan refuse toute réforme. A la fin du XIXème siècle les Arméniens sont convaincus que l’inégalité de leurs droits face aux autres sujets musulmans sera maintenue. Ainsi des partis politiques révolutionnaires arméniens se créent à l’extérieur. L’émancipation voulue par ces partis va être l’un des principaux motifs invoqués par le sultan pour massacrer des Arméniens (1894-1896: 200 000 morts).
Par ailleurs, face au démembrement de l’Empire ottoman, à la fin du XIXème siècle un groupe d’opposants au sultan Abdülhamid II, se forme et donne naissance au Comité Union et Progrès (CUP) connu sous le nom Jeunes-Turcs. Ce mouvement nationaliste a une composante idéologique raciste et laïque d’inspiration européenne. Il se résume en une formule: la Turquie aux Turcs. Très vite les Jeunes-Turcs se rendent comptent que pour convaincre ils doivent se définir comme musulmans, ce qui suppose que les sujets ottomans appartenant aux minorités, dont les Arméniens, devront se convertir à l’islam, ou bien émigrer ou bien être tués. Les Jeunes-Turcs parviennent à renverser le sultan en 1908, les minorités font ainsi leur entrée au Parlement. Néanmoins, le CUP craint la création d’un Etat arménien indépendant. Il développe une idéologie nationaliste turquiste qui gagne les élites. Une aile radicale des Jeunes-Turcs prône le panturquisme voire même le pantouranisme qui revendique l’union de tous les peuples turcs d’Asie.
En 1912, a lieu la première guerre des Balkans, conséquence des conflits des frontières des nouveaux Etats de la région. En janvier 1913, les Jeunes-Turcs prennent le pouvoir. Juste avant la première guerre mondiale la Bulgarie cherche à étendre ses territoires et cela débouche sur la deuxième guerre balkanique. L’Empire ottoman est disloqué et les Turcs se replient sur l’Anatolie mais cette région est également habitée par des chrétiens, des Grecs près de la mer Noire et sur la côte égéenne, et des Arméniens à l’est et en Cilicie.
En août 1914, la première guerre mondiale éclate. En novembre, l‘Empire ottoman entre en guerre du côté des puissances centrales, Allemagne et Autriche-Hongrie.
II) Le génocide de 1915
Dès août 1914, la mobilisation générale est décrétée dans l’Empire ottoman. Les hommes de 20 à 45 ans doivent s’enrôler dans l’armée. Les Arméniens y sont victimes de discriminations, comme les autres soldats chrétiens et juifs. mais ils sont discriminés. Les dirigeants du CUP ont contraint le cheikh–ul-islam à déclarer le djihad afin de légitimer le combat contre les chrétiens. Militairement, les Turcs sont peu performants. Ainsi, ils se lancent en plein hiver dans une attaque contre la Russie afin de gagner Bakou et sa richesse pétrolière. 90 000 Turcs périssent dans cette attaque et les Jeunes-Turcs accusent les Arméniens de cet échec. Des massacres ont lieu et les Turcs vont même faire des incursions en Perse pour exterminer des chrétiens dont des Arméniens.
Fin mars 1915 au comité central du parti est prise la décision de l’anéantissement total des Arméniens. Un programme d’extermination global est alors mis en place. La destruction est planifiée région par région.
Le 24 avril 1915 le Ministre de l’intérieur du gouvernement des Jeunes-Turcs, Talaat Pacha, donne l’ordre de l’arrestation des intellectuels arméniens de Constantinople. On estime que plus de 2000 notables arméniens sont arrêtés en quelques jours puis ils sont déportés et, pour la plupart tués. Le génocide commence par les provinces orientales, où les opérations se déroulent en tous lieux de façon similaire. Cette organisation précise et généralisée de la destruction des Arméniens permettra plus tard de qualifier sans équivoque l’action des Turcs comme étant un génocide. Un avis de déportation est publié en vertu duquel toute la population arménienne doit être évacuée vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie. Les hommes sont systématiquement massacrés, les plus belles femmes vendues comme esclaves et les enfants enlevés et vendus à des familles turques. Le reste de la population forme des convois composés d’environ 1000 personnes. Les convois sont composés d‘enfants, de femmes et de vieillards. Lors des longues marches forcées vers le sud, toute personne qui retarde le convoi est abattue. Les convois sont décimés à chaque étape aussi bien par les gendarmes turcs que par les escortes kurdes et autres miliciens. A partir d’août 1915, commence la déportation des Arméniens du reste de l’empire. A la fin 1915 on compte environ 700 000 Arméniens regroupés autour d‘Alep.
Alors commence la seconde phase du génocide qui se déroule de l’automne 1915 à l’automne 1916. Des prisonniers de droit communs sont libérés afin d’assister les forces turques dans l’exécution des massacres. Les déportés sont répartis selon deux axes : au sud vers la Syrie, le Liban et la Palestine; à l’est le long de l’Euphrate où les camps de concentration, véritables mouroirs, sont improvisés. Finalement les déportés sont poussés vers Deir-ez-Zor où les survivants sont exterminés. Des 700 000 Arméniens présents en 1915 dans les camps, on compte seulement 200 000 survivants. A la fin 1916, le génocide est achevé. Des 2 millions d’Arméniens ottomans, seuls un tiers survivent : ceux de Constantinople et Smyrne et les Arméniens du vilayet de Van sauvés par l’avancée des Russes, ainsi que des déportés en Syrie, au Liban et en Palestine.
Fin 1918 les Jeunes-Turcs profitent de la révolution bolchevique pour s’étendre dans le Caucase afin de prendre Bakou. Après le génocide de 1915-1916 le massacre d’Arméniens ne cesse pas. Ainsi en septembre 1918 les musulmans chiites azéris de Bakou massacrent des Arméniens.
A la fin de la première guerre mondiale, après la chute du gouvernement jeune-turc, le gouvernement turc s’emploie à systématiquement éliminer toute preuve du génocide. En 1919 des procès ont lieu à Constantinople qui confiment le caractère organisé de la destruction des Arméniens. Cependant, la fin du conflit mondial ne signifie pas l’arrêt des persécutions arméniennes. Ainsi, après le génocide, près de 120 000 Arméniens sont réinstallés en Cilicie et placés sous la protection des troupes françaises mandataires de la Syrie. En février 1920 les forces françaises sont attaquées par les Turcs de Mustapha Kemal, chef d’un mouvement nationaliste opérant en Anatolie. Les Français évacuent la Cilicie. Des Arméniens sont tués, les survivants s’exileront au Liban, en Syrie et en Europe notamment en France. A l’est la première république d’Arménie avait été proclamée en mai 1918 mais les Bolcheviks qui ont reconstitué l’ancien empire du tsar, soviétisent tout le Caucase dont l’Arménie.
CONCLUSION
Le génocide de 1915 a eu comme conséquence la mort d’environ 1,3 millions d’Arméniens et l’exil de dizaines de milliers de survivants. Le génocide a longtemps été occulté par la première guerre mondiale mais désormais, en dépit d’un négationnisme persistant des gouvernements turcs, de nombreux pays l’ont reconnu.