Thème: Histoire, Société Mardi 16 FEVRIER 2016
UN SURVOL DE L’HISTOIRE DE L’ARMENIE
par Monsieur Claude MUTAFIAN, Professeur agrégé de mathématiques et docteur en histoire.
Introduction
L’histoire de l’Arménie date d’environ 3000 ans avant J-C selon les derniers vestiges trouvés, mais au cours des siècles c’est un pays qui a connu de longues périodes où la nation était soit intégrée à un puissant État, soit partagée entre ses voisins : Empire romain et Perse (parthe puis sassanide), Empire byzantin et califat arabe, Turcs et Perses (Safavides et Kadjars) et finalement, au XIXème siècle, Turcs et Russes. Le premier royaume arménien date de 900 avant J-C environ et le dernier disparaît en 1375.
1 – L’Arménie de sa fondation à la conquête romaine :
Le mythe fondateur de l’Arménie vient de Mésopotamie. Les Arméniens se nomment « hay », au pluriel « hayer », un nom qui provient du héros national Hayk. Selon la légende, Hayk se rebelle contre le roi de Mésopotamie, Bel, qui le poursuit jusque dans les terres de l’Arménie où Hayk le tue. Toujours selon la légende, Hayk serait un descendant direct de Noé et les Arméniens auraient peuplé la région au pied du mont Ararat, lieu où aurait échoué l’Arche après le déluge.
À l’origine de l’Arménie est l’Ourartou, un royaume en conflit permanent avec l’Assyrie ; sa capitale était Touchpa (Van actuelle en Turquie). Il existe des inscriptions dans les tablettes d’Ourartou mais aussi dans celles de l’Assyrie permettant de décrire son existence. Autre légende arménienne, celle de la toute puissante reine d’Assyrie Sémiramis, qui tombe éperdument amoureuse du bel Ara, souverain de son ennemi l’Ourartou. Ces rois et reines des légendes ont réellement existé, mais les récits sont enjolivés.
En 600 avant J-C, les Mèdes conquièrent l’Assyrie et l’Ourartou, qui de fait n’existe plus. L’Empire achéménide partage l’Arménie entre les satrapies XIII et XVIII, c’est-à-dire que la nation est coupée en deux parties, occidentale et orientale, comme ce sera presque toujours le cas au cours de l’histoire arménienne. Au IVème siècle avant J-C apparaît pour la première fois le mot « Arménie » dans l’inscription trilingue de Behistoun qui donne la liste des vassaux du roi de Perse, Darius. La version akkadienne parle d’Ourartou mais les textes en vieux persan et en élamite mentionnent « Arminia » et « Kharminouia ».
Entre 334 et 331 avant J-C, Alexandre le Grand conquiert l’Empire achéménide de Darius III. On trouve dans les archives arméniennes des manuscrits sur Alexandre, lui donnant une image très positive car il a délivré les Arméniens du joug perse, sans le remplacer par le joug hellènistique. Ainsi la Grande Arménie se crée avec la dynastie d’Oronte. À la fin du IIIème siècle avant J-C la dynastie orontide fonde une nouvelle capitale, Ervandachat. Cette dynastie régnera jusqu’en 190 avant J-C, date à laquelle lui succède la dynastie artaxiade. Depuis environ 50 avant J-C une nouvelle puissance était apparue en Perse, les Parthes. Avant que l’Empire parthe ne s’étende trop, l’Arménie profite d’un certain vide politique ; c’est l’époque du règne de Tigrane le Grand, de 95 à 55 avant J-C, qui fonde le royaume le plus étendu de toute l’histoire arménienne, de la mer Caspienne à la Méditerranée. Tigrane conquiert le nord-ouest de l’Iran actuel, la Palestine, la Syrie et le Liban, et fonde une nouvelle capitale Tigranocerte. Cependant cette expansion de l’Arménie vers la Méditerranée inquiète les Romains qui déclarent la guerre au roi Tigrane. Le général romain Lucullus mène les combats mais Tigrane est allié à Mithridate, roi du Pont, le long de la mer Noire, et l’armée romaine recule. Finalement en 69 avant J-C le célèbre général romain Pompée bat Tigrane. Pourtant, les Romains n’entrent pas en Arménie, qui n’est pas sur la route de l’Égypte. Le fils de Tigrane, Artavazde III, est contraint de louvoyer entre ses deux puissants voisins, Rome et les Parthes.
II) Du Ier siècle jusqu’aux croisades (50-1190)
À l’Est les Parthes étendent leur Empire. L’Arménie se retrouve entre deux puissances, qui passent en 63 après J-C l’accord de Rhandeia. Ce traité donne à l’Arménie un souverain issu de la famille royale parthe arsacide, tout en restant vassale de Rome puisqu’en 66 c’est Néron qui couronne Tiridate Ier, roi d’Arménie.
En 228, c’est l’avènement de la dynastie sassanide en Perse. Les souverains sassanides sont beaucoup plus conquérants et autoritaires que les Parthes et imposent un roi sassanide à l’Arménie, ce qui provoque la colère de Rome. Par ailleurs, le christianisme progresse alors que les Sassanides cherchent à imposer par la force le zoroastrisme dans tout leur Empire, et par conséquent dans toute l’Arménie orientale sous contrôle perse. Cependant le christianisme reste très répandu et l’Arménie devient même le premier État chrétien de l’histoire au début du IVème siècle : l’un des événements les plus marquants de l’histoire arménienne et l’un des piliers de la nation. C’est un prince parthe chrétien, Grégoire, qui vint prêcher en Arménie et allait devenir le premier patriarche de l’Église arménienne. Au début du Vème siècle, l’Arménie orientale, sous domination perse, était menacée d’anéantissement culturel, c’est pourquoi à cette époque le moine Mesrop Machtots créa un alphabet arménien, composé de 36 lettres. Le Vème siècle devient le siècle d’or de la littérature arménienne. Avec la création de leur alphabet, les Arméniens peuvent désormais se passer du grec et du syriaque dans le domaine religieux, et du persan dans le domaine administratif. Les principaux textes religieux sont traduits, dont la Bible. C’est également à cette époque que Moïse de Khorène écrit la première histoire de l’Arménie.
En 450 les Perses, toujours très autoritaires, provoquent la révolte des Arméniens et en 451 a lieu la bataille d’Avarayr ; les Arméniens sont vaincus, mais face à leur résistance les Sassanides renoncent à leurs projets de conversion forcée. Cette même année a lieu le concile de Chalcédoine, dont l’Église arménienne refuse les conclusions ; elle décide ainsi de se séparer de l’Église de Rome.
Vers 650, l’invasion arabe entraîne la perte de la Syrie et de l’Égypte par l’Empire Byzantin, pendant qu’à l’Est le royaume sassanide passe sous autorité du califat. Les Arabes partagent l’Arménie en quatre, mais lui laissent une certaine liberté avec un gouverneur local. Les relations des Arméniens avec le califat sont plus ou moins bonnes. Quelques révoltent ont lieu. En 750 le califat s’installe à Bagdad et entre 770 et 775 a lieu un grand soulèvement arménien. Pourtant, l’Arménie garde son autonomie grâce à sa féodalité, sa religion et sa langue. Certaines grandes familles arméniennes sont arabophiles, d’autres byzantophiles. Les Arabes, conscients du danger d’une grande Arménie, permettent l’avènement de la dynastie bagratide en 884, mais aussi de nombreux petits royaumes vassaux. En 1045 les royaumes arméniens tombent sous le contrôle de Byzance. En 1055 c’est la mainmise des Turcs Seldjoukides sur le califat de Bagdad, et en 1064 le Turc Alp Arslan conquiert toute l’Arménie.
La première croisade permet aux Francs de s’emparer de Jérusalem en 1099, et au début du XIIème siècle les croisés fondent les quatre États latins du Levant. Parallèlement de nombreuses familles arméniennes s’installent en Cilicie alors byzantine entre les monts Taurus, les monts Amanus et la Méditerranée, au sud de la Cappadoce, en Turquie actuelle, dans l’espoir de reconstruire un royaume.
III) Le royaume d’Arménie en Cilicie (1198-1375)
Au XIIème siècle fut fondée en Cilicie la principauté arménienne roubénide. Ce bastion de la chrétienté orientale fut un allié précieux pour les croisés et il fut également le cœur du nationalisme et de la culture arménienne. Dans le registre politique, les princes roubénides furent remarquables. Ainsi la diplomatie flexible et efficace de Thoros II ou de Mleh s’avéra payante. Saladin reprend en 1187 Jérusalem au roi Guy de Lusignan, provoquant la troisième croisade qui fournit une occasion de reconnaissance internationale. Léon II, prince roubénide de Cilicie, profite de l’occasion pour améliorer ses relations avec les Européens et répond favorablement à la demande du Pape Clément III qui lui demande en 1189 de l’aide militaire et financière pour combattre Saladin. Grâce au soutien de Frédéric Barberousse, souverain du Saint–Empire, Léon II put convertir sa principauté en royaume. Le couronnement eut lieu le 6 janvier 1198, jour de Noël pour les Arméniens, et Léon devint ainsi le premier roi d’Arménie cilicienne. Son remariage avec la fille d’Amaury de Lusignan, roi de Chypre, inaugura une longue série de liens matrimoniaux entre la famille royale arménienne et les Lusignan. Par mariage avec la reine Zabel, la couronne d’Arménie passa à la dynastie héthoumide. Le règne de Héthoum Ier (1226-1269) marqua sans doute l’apogée de ce dernier royaume d’Arménie. En effet l’arrivée des Mongols en Grande Arménie dans les années 1230 va pousser le royaume d’Arménie à se mettre volontairement sous leur protectorat plutôt que de risquer l’invasion turque. Ainsi le roi Héthoum réussit à agrandir son territoire grâce à la prise de plusieurs places–fortes de Syrie du Nord. Cependant, en 1266, les Mamelouks, qui avaient pris le pouvoir en Égypte, font leur première incursion en Cilicie. Leurs attaques se succéderont, et peu à peu épuiseront le royaume. Finalement, le dernier roi d’Arménie, Léon V, est capturé dans sa capitale de Sis en 1375. C’est la fin du dernier royaume arménien de l’histoire.
Conclusion:
Le partage de l’Arménie continuera entre les Turcs et les Perses jusqu’au début du XIXème siècle, période à laquelle apparaît la Russie au sud du Caucase. De 1828 à 1918, l’Arménie est partagée entre la Russie et l’Empire Ottoman. Ce dernier, voulant s’approprier les territoires arméniens pour réaliser son rêve panturquiste, commettra un génocide que la Turquie n’a toujours pas reconnu. La fin de la première guerre mondiale verra la création de la première république d’Arménie, qui disparaît dès 1920. À la suite de la chute de l’URSS, une nouvelle république d’Arménie est proclamée le 21 septembre 1991. À noter que l’Arménie actuelle n’englobe qu’une faible partie du territoire historique arménien.
Chronologie de l’histoire d’Arménie
Avant J-C.
ca 900-600 : Royaume d’Ourartou
786 – 764 : apogée sous le roi Arguichti 1er, Fondation d’Erebouni
ca 600-331 : Domination m ède, puis perse achéménide
558 : Cyrus le Grand
334-331 : Conquête de l’Asie Mineure par Alexandre le Grand
ca 330-190 : Dynastie orontide
fin IIIe Siècle : capitale Ervandachat
190 : Entrée de Rome en Asie
ca 190-ca 50 ap. JC : Dynastie artaxiade
ca 150 : les Parthes maîtres de la Perse
ca 95-55 : Règne de Tigrane le Grand
69 : Reddition de Tigrane à Pompée
Après J-C.
50-63 : Entre Rome et les Parthes
63-428 : Dynastie arsacide
63 : Accord de Rhandeia
228 : Avènement de la dynastie sassanide en Perse
Début IVè s : Le christianisme imposé comme religion d’État
Début Vè s : Création de l’alphabet arménien, de 36 lettres
428-ca 650 : Entre Rome et la Perse sassanide
451 : Bataille d’Avarayr
451 : Concile de Chalcédoine
ca 650-885 : Entre Byzance et le califat arabe
750 : Installation du califat à Bagdad
770- 775 : Soulèvement arménien contre le califat
884- 1045 : Dynastie bagratide et autres royaumes arméniens
884 : Couronnement d’Achot 1er
908 : Royaume du Vaspourakan
960 : Fondation d’Ani
969 : Conquête de l’Égypte par les Fatimides
1022 : Cession du Vaspourakan à Byzance
1045 : Cession d’Ani à Byzance
1045-1198 : Entre Turcs, Grecs et Francs
1055 : Mainmise des Turcs seldjoukides sur le califat de Bagdad
1064 : Prise dAni par les Turcs Seldjoukides
1099 : Prise de Jérusalem par la première croisade
début 12e siècle : Fondation des quatre États latins du Levant et de la principauté roubénide de Cilicie
1187 : Prise de Jérusalem par Saladin
1190 : Troisième croisade
1198-1375 : Royaume d’Arménie cilicienne
1198 : Couronnement du prince roubénide Léon
1226 : Avènement de la dynastie héthoumide
1236 : Prise d’Ani par les Mongols
1250 : Avènement de la dynastie mamelouk au Caire
1256 : Pacte arméno-mongol
1375 : Prise de Sis par les Mamelouks
1375- 1828 : Entre Turcs et Perses
1451 : Prise de Constantinople par les Turcs ottomans
1501 : Dynastie safavide en Perse
1588- 1629 : Règne d’Abbas 1er en Perse, Déportation des Arméniens de l’Araxe vers Ispahan, fondation de la Nouvelle-Djoulfa
1639 : Traité de Zehab entre Ottomans et Safavides
1795 : Avènement de la dynastie kadjare en Perse
Début 19e siècle : Apparition de la Russie au sud du Caucase
1928-1918 : Entre Turcs et Russes
1828 : Traité de Turkmentchay, l’Arménie orientale annexée à la Russie
1878 : Défaite ottomane face à la Russie, traité de San Stefano et Congrès de Berlin
1894-96 : Premier massacres turcs en Arménie occidentale
1905 : Guerre armeno-tatare à Bakou
1908 : Avènement des Jeunes-Turcs dans l’Empire ottoman
1909 : Massacres d’Arméniens en Cilicie
1915 : Début du génocide des Arméniens dans l’Empire ottoman
1918-1920 : Première République d’Arménie
mai 1918 : Proclamation de la République d’Arménie
24 mai 1918 : Victoire arménienne à Sardarapat
10 août 1920 : Traité de Sèvres
29 novembre 1920 : Soviétisation de l’Arménie
1920- 1991 : L’Arménie orientale dans l’URSS
5 juillet 1921 : rattachement du Karabagh à l’Azerbaïdjan
24 juillet 1923 : Traité de Lausanne
20 février 1988 : Le parlement du Karabagh vote le rattachement à l’Arménie
1991 : République d’Arménie
21 septembre 1991 : Proclamation de la République d’Arménie
1992-94 : Guerre arméno-azérie au Karabagh, cesser-le-feu favorable à l’Arménie