Thème : HISTOIRE ET GEOGRAPHIE Mardi 6 Février 2007
Une conférence organisée par le CDI et l’ASEVE
Par Alain Baraton – Jardinier en Chef des Jardins du Trianon et du Grand Parc de Versailles
L’histoire de Versailles ne commence pas sous Louis XIII mais bien plus tôt, dans les années 1000, quand des moines ont en charge d’assécher les terres de la région – en celte « Yvelines » signifie « riche en eau ». Les hommes qui viennent travailler à Versailles, un tout petit bourg qui appartient à la famille de Jean de Versailles (dans le moulin duquel on verse l’ail), sont hébergés dans la Ferme de Gally, le plus vieux bâtiment de la région. Henri IV, qui n’est pas encore roi, monte à Paris pour soutenir son frère. En chemin, il s’arrête avec ses troupes à Versailles, qu’il trouve agréable. Quelques années plus tard, il revient avec son fils, le futur Louis XIII, pour y pratiquer la chasse au vol.
Louis XIII trouve que, finalement, Versailles est bien situé : assez proche de Paris pour venir y chasser régulièrement et suffisamment éloigné pour ne pas être obligé de rentrer le soir. Quel beau prétexte pour découcher ! Il dort dans une auberge, probablement dans la paille. La reine lui rappelle qu’un roi se doit de dormir dans un lit et exige de lui qu’il fasse construire un pavillon de chasse. En 1623, il fait bâtir une modeste demeure de 35 m de longueur de façade, ce qui est assez dérisoire pour l’époque. En 1631, il fait démolir ce petit château pour en reconstruire un plus grand. A sa mort en 1643, il laisse derrière lui un domaine de 171 hectares. La ville de Versailles s’est déjà agrandie. Le parc s’est embelli, on a planté les premiers bosquets (appelés « carrés ») et on a fait appel au premier grand jardinier, Jacques Boyceau de la Baraudière. Quand Louis XIII décède, Versailles meurt à son tour.
Des Communards fusillés pour préserver les orangers
Il faut attendre une vingtaine d’années pour que Louis XIV, qui lui aussi venait chasser avec son père, se prenne de passion pour le lieu. Ayant connu La Fronde, il s’estime davantage en sécurité à Versailles qu’à Paris. Il refuse que l’on touche au château de son père et « enveloppera » le château de Louis XIII avec le bâtiment que l’on connaît actuellement. Louis XIV reprend au superintendant Fouquet – à qui il reproche de s’être fait construire à Vaux-le-Vicomte un château plus somptueux que celui du roi – les hommes qui ont travaillé pour lui : Le Nôtre, Le Vau, La Fontaine. Trente-six mille hommes travaillent à Versailles au plus fort de la construction, qui est officiellement achevée en 1687. Cette activité attire les brigands et les prostituées. Pour mettre fin à la prostitution, Louis XIV ordonne qu’on coupe le nez et les oreilles des malheureuses qui sont attrapées. La cour arrive à Versailles. Près de 15 000 personnes vivent au château. Les conditions de vie sont déplorables. Madame de Maintenon a, dans son appartement, des dindes et des poulets. On n’hésite pas à faire l’élevage de cochons et de moutons.
Pour aménager les jardins, Louis XIV fait appel à Le Nôtre. Ce dernier aménage les perspectives, taille la nature, voire la mutile. J’estime que Le Nôtre était peut-être un urbaniste de talent mais un piètre jardinier, contrairement à Jean-Baptiste de La Quintinie. Ce jardinier extraordinaire savait reconnaître les plantes et respecter leurs rythmes saisonniers. Alors que Le Nôtre n’a rien laissé rien derrière lui, aucun écrit, La Quintinie a écrit, enseigné, donné des conseils. Son traité sur les arbres fruitiers continue à d’embellir les bibliothèques des jeunes jardiniers.
Les historiens ont, je trouve, trop tendance à enjoliver l’histoire de Versailles et ignorer les drames qui ont jalonné son histoire. On a l’impression que tout était magnifique. Ce n’était pas le cas. Loin de ressembler à Clark Gable, Louis XIV était petit, avait une loupe sur le crâne et une haleine à stopper un bœuf à vingt pas. C’était un homme mégalomane, sans beaucoup de sens du protocole ni de la diplomatie. Un jour, un jeune homme de quatorze ans se tue en tombant du toit en construction, sa mère se précipite sur le roi pour crier sa douleur et, alors qu’elle vient de perdre son enfant, Louis XIV a pour seule réaction de la faire fouetter. Quand on évoque la somptueuse Orangerie, on oublie trop souvent ses heures sombres. En 1871, après la Commune, elle fut transformée en prison. L’automne approchant et s’inquiétant pour les orangers restés dehors, on décide de fusiller les prisonniers pour faire de la place aux arbres.
Louis XV, passionné de botanique… et de femmes
Le parc, qui couvre aujourd’hui 850 hectares avec un domaine planté de 350 000 arbres et parcouru de 43 km d’allées, fait au plus fort du règne de Louis XIV plus de 8 000 hectares. Pour l’agrandir, on rase des villages entiers (Choisy au bœuf, Trianon…) sans dédommagement aucun (contrairement à Louis XIII qui achetait les terrains). La haine du peuple est telle que lorsque Louis XIV meurt en 1715, son cercueil quitte Versailles la nuit pour éviter la liesse populaire. Pendant la Régence, la cour de France retourne à Paris. Versailles devient un musée. Louis XV ayant grandi, il décide de revenir à Versailles où il vécut des jours heureux. Passionné de botanique, il s’intéresse de près à la corruption du blé, une maladie qui décime alors les cultures. Il crée l’académie d’agriculture de France. Mais le roi est dévoré par son autre passion : les femmes. Il est insatiable. Lassée d’être quittée en pleine nuit, la marquise de Pompadour, la très influente maîtresse royale, fait démolir un escalier du château. Le roi ordonne à l’architecte de trouver un moyen de faire descendre une chaise le long du mur à l’aide de poulies – c’est l’ancêtre de l’ascenseur. Risquant d’être vu, il préfère s’installer au Grand Trianon où les appartements royaux sont au rez-de-chaussée. Mais la Pompadour veille. Elle ordonne la construction du Petit Trianon, où les chambres seront toutes au premier étage. Pour s’occuper du jardin botanique du Petit Trianon, on fait venir un grand jardinier, Claude Richard, connu pour avoir considérablement amélioré la culture en serres. Il crée un jardin botanique exceptionnel où pousse notamment du café – le café bu par le roi est produit à Versailles – des raisins de Corinthe, des figuiers… Ce jardin devient le plus beau jardin botanique du monde. Des équipages sont envoyés dans le monde entier pour ramener les essences les plus rares. C’est au Petit Trianon que Louis XV meurt en 1774 des suites de la petite vérole.
Versailles sauvé par un jardinier
Louis XVI lui succède. Contrairement au portrait qu’on dresse de lui, c’était un homme intelligent et humaniste, qui avait accordé le vote aux femmes lors des Etats-Généraux, exempté les juifs de l’impôt supplémentaire et interdit la torture lors des interrogatoires de police. Quant à la reine Marie-Antoinette, c’est alors une toute jeune fille avec les qualités et les défauts liés à son âge. Elle ne supporte pas la vie dans ce château où l’on fait ses besoins sous les marches. L’odeur y est pestilentielle et elle ne supporte plus cette promiscuité. Elle tombe amoureuse du Petit Trianon et décide de d’y installer.
Antoine Richard, le fils de Claude Bernard, est embauché pour succéder à son père. Marie-Antoinette lui ordonne de raser le jardin botanique de son père pour en faire un jardin champêtre. Elle lui demande également, avec l’architecte Richard Mique, de concevoir le hameau de la reine et cet embellissement magnifique avec tous ces petits bâtiments, la grotte, le belvédère et le temple de l’amour. Au moment de la Révolution, Antoine Richard n’accepte pas que le parc soit morcelé et vendu aux enchères, ce qui aurait été la fin de Versailles. Il a une idée géniale : planter des arbres fruitiers et des légumes le long du canal et autour des parterres. Le domaine royal devient source d’alimentation du peuple et s’attire la sympathie de la population. Grâce au jardinier Antoine Richard, le parc est sauvé. Malheureusement, pas la moindre plaque ne rappelle son geste.
Quelques années plus tard, Versailles sera à nouveau occupée non par un roi mais un empereur. Napoléon s’installe quelques temps au Petit Trianon. Il offre le domaine de Marie-Antoinette à sa deuxième épouse, Marie-Louise, qui se trouve être la petite-nièce de la reine guillotinée. Versailles continue à évoluer, avec difficulté. Louis-Philippe transforme le château et le parc en un musée. Beaucoup plus tard, Charles De Gaulle en fait un lieu de réception de chefs d’Etat étrangers en visite en France. Il fait construire des appartements présidentiels au Grand Trianon, qui sont toujours en activité. Car Versailles a toujours sa place au sein de la République : le Premier ministre y a sa résidence d’été au pavillon de la Lanterne et toute réforme de la Constitution se vote par le deux assemblées réunies en Congrès à Versailles.
Les arbres de Versailles
L’histoire de Versailles est jalonnée d’intempéries. Des tempêtes épouvantables détruisent en partie le domaine, ce qui est l’occasion de le refaire. Le 26 décembre 1999, des vents de 182 km/h frappent Versailles. Le bilan est terrible : 18 500 arbres à terre, plus de 40 000 doivent être abattus. Grâce au mouvement de solidarité international et au talent de tous ceux qui travaillent dans le parc, Versailles se remet de ses blessures. C’est aussi l’occasion de redonner à Versailles son aspect d’origine.
Versailles est un domaine extraordinaire. Parmi ses 350 000 arbres, on trouve les plantes les plus classiques : buis, ifs, marronniers (le premier marronnier introduit en France le fut en 1615 au jardin du roi aux Tuileries), hêtres, châtaigniers, noyers, des aubépines. D’autres arbres ont traversé les océans pour y être plantés : le sofora du Japon (venu en fait de Chine) ou le fameux tulipier de Marie-Antoinette (victime de la tempête de 1999) dont les graines avaient été ramenées d’Amérique en 1732… Il reste actuellement dans le parc une vingtaine d’arbres qui ont connu les rois, de vieux juniperus, de vieux catalpas, de vieux houx qui ont connu Louis XVI. Il ne reste qu’un arbre qui a connu Louis XV. Et vous avez encore un chêne splendide à côté du Petit-Trianon. Cet arbre est le petit frère du chêne de Marie-Antoinette qui avait germé vers 1683. Ce chêne avait été épargné lors de l’abattage des arbres du parc ordonné en 1776. On suppose que Marie-Antoinette profitait de l’ombrage de ce chêne qui échappa à la Révolution et résista à la tempête de 1999. Les arbres environnants étant tombés, il s’est retrouvé en contact direct avec le soleil. Après des années passées à l’ombre de ses congénères, il n’a pas résisté au coup de chaud de l’été 2003.
Nous avons maintenant des problèmes de sécheresse et beaucoup de soucis au niveau des arbres. Il a été décidé d’améliorer la plantation des arbres, en multipliant les essences de sorte à limiter la propagation d’une maladie qui viendrait à pénétrer le domaine. Au fil du temps, la structure même des jardins avait été quelque peu dénaturée. Aujourd’hui, Versailles retrouve son caractère, c’est un parc libre, de majesté, qui accueille toujours plus de 10 millions de visiteurs par an.
En savoir plus …
Coté livres :
Le jardinier de Versailles
Auteur : Alain Baraton
Éditions : Grasset
ISBN-10: 2246682711
http://www4.fnac.com/Shelf/article.aspx?PRID=1823476&Mn=9&Ra=-1&To=0&Nu=1&Fr=3
La véritable histoire des jardins de Versailles
Auteur : Jean-Pierre Coffe, Alain Baraton
Éditeur : Plon
ISBN : 225919785X
http://www4.fnac.com/Shelf/article.aspx?PRID=1454339&Mn=9&Ra=-1&To=0&Nu=5&Fr=3
Coté Web :
http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article2213
Nouveau…Visite via satellite
Rendez-vous sur Google-Earth :
http://www.flashearth.com/?lat=48.806529&lon=2.105753&z=15.3&r=0&src=ggl
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