CERCLE DE DOCUMENTATION ET D’INFORMATION
Mardi 28 avril 1987
Le docteur DELAUNAY, Professeur honoraire à l’Institut Pasteur, nous a parlé de Jean Rostand.
« Ce fut en son temps et au moins dans les pays de langue française, un homme connu. D’abord il portait un nom célèbre, en second lieu, il est l’auteur d’une œuvre originale et belle. Enfin, dans la dernière partie de sa vie, on a pu découvrir en lui les traits d’une personnalité hors du commun, et ceci grâce à la presse, la radio, la télévision. Je suis sûr que dans cette salle, vous avez connu son nom, peut-être son œuvre et que l’ensemble n’est pas oublié de vous. Mais peut-être sont beaucoup moins nombreuses les personnes qui ont pu le rencontrer personnellement. Il était certes notre voisin car il habitait (pendant 50 ans) à Ville d’Avray, mais il sortait si peu de chez lui !
Personnellement, je l’ai connu dès 1942 à l’occasion d’une conférence qu’il faisait au Palais de la Découverte. Je m’y étais rendu, je l’avais écouté. A la fin de la conférence, je m’étais présenté à lui en lui disant incidemment que nous étions voisins. Il me dit : « Dans ces conditions, vous pourriez venir me voir ». J’allais le voir effectivement le samedi suivant et c’est ainsi qu’est née une amitié qui devait durer jusqu’à sa mort en 1977″.
SA VIE.
Jean Rostand est né à Paris le 30 octobre 1894. Il avait pour parents deux poètes. Son père, Edmond Rostand était l’auteur de Cyrano de Bergerac. Sa mère, Rosemonde Gérard, a laissé de son des écrits qui, aujourd’hui encore, plaisent aux cœurs sensibles.
En 1900, pour raisons de santé, Edmond Rostand avait du quitter Paris pour aller vivre au Pays Basque, à Cambo. Dans l’isolement de la petite cité, les études de Jean Rostand étaient fatalement décousues. Il ne retrouvait Paris que lorsque l’exigeait la vie professionnelle de son père ; par exemple, en 1910, à l’occasion de la première représentation de Chantecler.
A l’opposé de son frère ainé, Maurice, il ne se sentait aucun attrait pour la poésie. En revanche, très tôt, il avait été attiré par les sciences naturelles. Après avoir obtenu plusieurs certificats de licence, et la Première Guerre mondiale ayant éclaté, il s’engageait et travaillait au Val-de-Grace.
Après la mort d’Edmond Rostand (1918), il épousait en 1920 sa cousine Andrée Mante et, un an plus tard, était le père d’un garçon : François.
En 1922, c’était l’abandon de la somptueuse villa d’Arnaga et l’emménagement à Ville d’Avray (29, rue Pradier) devait s’écouler le reste de son existence.
Il avait volontairement renoncé à toute carrière officielle, notamment à celle de professeur. Son désir était de se livrer, dans son propre laboratoire, si modeste que fût celui-ci, à des recherches de biologie et d’écrire, sur un petit bureau, articles et livres, maximes et aphorismes.
L’APPORT SCIENTIFIQUE : LES RECHERCHES PERSONNELLES.
Le premier fait original trouvé par Jean Rostand concerne une mouche dont la larve vit en parasite sur de petits escargots : son mérite était de mettre en évidence un des cas signalés de parasitisme d’un diptère (famille d’insecte) sur un mollusque (1920). L’entomologie pourtant ne devait pas rester son domaine d’élection.
C’est un autre matériel qu’il ailait choisir, un autre monde qu’il ailait explorer, celui des amphibiens : crapauds et grenouilles.
Pourquoi ce choix ? Jean Rostand, parce qu’il était attiré par l’étude de la reproduction, de la fécondation et du développement embryonnaire, devait, presque nécessairement, avoir recours à des amphibiens car de tels êtres offrent, ici, de grands avantages. Ils sont particulièrement prolifiques et leurs gros œufs sont facilement observables. Enfin, il s’agit d’un matériel peu coûteux et facile à trouver.
Il ne saurait être question de mentionner toutes les recherches consacrées par Jean Rostand aux caractères biologiques des amphibiens.
Mais, dans trois domaines, l’importance de l’acquis fut telle qu’au moins une brève mention s’impose. Il faut signaler les recherches qu’il fit sur la régulation chromosomique par le moyen du froid.
Il découvrit l’action antigel de la glycérine.
Cette action est devenue d’un emploi extrêmement répandu. Notamment, elle est mise à profit par tous ceux qui s’occupent de la conservation de la semence en vue de l’insémination artificielle et aussi par ceux qui ont à garder, sur de longues durées, du sang ou des tissus.
Il fit également des recherches sur des anomalies de la grenouille adulte et des têtards de grenouilles.
Avant-guerre, à Ville d’Avray, Jean Rostand avait installé son laboratoire dans un petit bâtiment à part mais, à partir de 1941, il l’avait transféré, faute de chauffage, dans sa maison même.
« Je me souviens d’une époque où Jean Rostand avait fait construire, dans son jardin, une sorte de cuve pouvant accueillir des dizaines de milliers de crapauds, envoi d’amis connus ou inconnus.
Des camions entiers apportaient les animaux vivants et les déversaient dans la cuve. Jean Rostand les examinait soigneusement l’un après l’autre, toujours guidé par l’espoir de découvrir une anomalie rare. Le dimanche, jour de visite, amis et curieux allaient jusqu’à la cure et regardaient, avec un mélange de surprise et d’effroi, les pyramides grouillantes qu’ils avaient sous les yeux. La difficulté était, le moment venu, de se débarrasser de toutes ces bêtes. A plusieurs reprises, elles furent simplement lâchées en liberté. Mais alors elles envahirent les jardins voisins. Les propriétaires exprimèrent leur émotion mais, vite, ils pardonnèrent, parce que c’était Jean Rostand … cher Jean Rostand ! »
L’APPORT SCIENTIFIQUE : LES EXPOSES DIDACTIQUES.
Jean Rostand a transmis son savoir par des livres, des articles, des conférences.
On lui doit aussi quelques traductions et un assez grand nombre de préfaces.
Son premier livre (1927), intitulé « Les chromosomes, artisans de l’hérédité et du sexe », avait été inspiré par Pierre Bisson. Son succès dépassait tous les espoirs, Ultérieurement, Jean Rostand devait donner de très nombreux ouvrages sur :
– l’Hérédité et la Génétique,
– les Grands courants de la Pensée scientifique,
– l’Histoire naturelle,
– la science pure.
A côté des livres de Jean Rostand, les articles. Ceux-ci ont été innombrables.
Conférences enfin. Les premières devaient être données au Palais de la Découverte puis, quand la réputation de Jean Rostand commença à s’étendre, on put l’entendre aux Annales, dans les Ecoles Normales, dans les hôpitaux ou facultés … Enfin, Il y eut un temps où il était demandé partout. Mais il avait horreur des voyages. Il n’aimait guère sortir de la région parisienne.
Dans les livres et les au cours des conférences, on peut dire que ce sont partout les mêmes qualités qui s’imposent : l’actualité des propos, l’immense documentation, l’étendue de la culture, la limpidité du style, l’enthousiasme, l’émotion, l’originalité, l’honnêteté foncière.
Pendant 40 ans, et même davantage, Jean Rostand a su « tenir » son public. Ceux qui le découvraient étaient émerveillés ; ceux qui l’avaient déjà rencontré le retrouvaient, toujours égal à lui-même.
Il écrivait : « Je me sens interdit par cette vie munificente, somptueuse, aux foisonnantes ressources, qui procède toujours autrement que ne l’aurait prévu notre petite logique humaine. Par cette vie que nous prétendons imiter avec des ferrailles truffées de « feedbacks » mais qui, dans le dernier de ses protoplasmes, met plus d’industrie et d’art que dans nos buildings calculateurs, par cette vie qui s’entend à loger dans un globule d’albumine diaphane ce que l’homme serait inapte à faire tenir dans une usine, qui met dans le minuscule cerveau d’une abeille la mémoire d’une danse langagière, par cette vie à qui il faut bien aussi rapporter toute la gloire de ce que fait sa fille, la pensée par cette vie qui ne nous déconcerte pas moins dans le frémissement d’un anthérozoïde de fougère que dans les tourments du cœur humain, qui a su passer, tout doucement, sans saccades, du tropisme au génie, du microbe à Pasteur, de la moisissure à Fleming et de la plante à Goethe, par cette vie qui, chaque jour, sous nos yeux, accomplit le bouleversant miracle de tirer un homme d’un invisible germe, par cette vie enfin qui n’en serait que plus prodigieuse si elle avait opéré avec les moyens du bord et si, avec les seules ressources du connaissable, elle avait su nous jouer si bien la comédie de l’incompréhensible … »
JEAN ROSTAND DEVANT LE PASSE ET L’AVENIR DE LA SCIENCE.
Jean Rostand a écrit un certain nombre de textes, livres ou articles, pour mettre en valeur et donner en exemple la vie de quelques hommes de science. Certains de ces textes ont été réunis en deux volumes, parus entre 1942 et 1948 et intitulés « Hommes de vérité ». Au nombre des élus, on trouve Darwin, SpaIlanzani, Pasteur, Geoffroy Saint-Hilaire, Claude Bernard, Lamarck, Davaine, Mendel, Fabre, Dareste, etc.
Il écrivait sur Johann Mendel : « Ce sont les petits pois qui ont sa saveur. Il en a de toutes sortes qui différent par les dimensions de la plante, par la couleur ou la position des fleurs, par la forme ou la couleur des graines, par la couleur des pousses, etc. : pois de taille normale et pois nains, de taille cinq fois moindre pois à fleurs blanches et pois à fleurs colorées pois à graines rondes et pois à graines ridées pois à graines et pois à graines jaunes ». Aujourd’hui, « la gloire de Mendel rayonne dans les jardins, dans les potagers, dans les troupeaux, dans les familles, partout où l’on se met à deux pour former un être, partout où la reproduction sexuée brasse et combine les éléments héréditaires … Tout couple humain fait du mendélisme sans le savoir et reçoit, avant tout autre, la bénédiction génétique du prêtre Johann Mendel … »
On sait que la science de la vie, comme la science de la matière, a, en ce XXe siècle, progressé avec une rapidité à la fois merveilleuse et terrifiante. Faut-il nous attendre à de nouveaux progrès ? La biologie tient-elle en réserve encore beaucoup de miracles ? Jean Rostand, historien des sciences, ne pouvait pas ne pas essayer de répondre. Il l’a fait dans d’innombrables articles et dans quelques livres dont « L’avenir de la Biologie » (1946) et « La Biologie et l’Avenir humain » (1950).
De lui sont ces remarques :
« Non, en vérité, ce n’est pas une science comme les autres que celle qui, à la limite, pourrait changer l’organe (c’est-à-dire le cerveau) où se fait toute science ».
« Je souhaite la réalisation de la parthénogénèse humaine comme je souhaite la réussite de toute expérience qui accroisse notre pouvoir d’action sur la matière vivante ».
Cependant, en réponse à ces cris d’admiration et ces actes de foi, à mesure que la science accentuait son triomphe, devaient de plus en plus s’exhaler appréhensions et craintes. La peur chez Jean Rostand n’a cessé de grandir. Déjà, à la fin d’une conférence qu’il prononçait au Palais de la Découverte, le 3 novembre 1940, il osait dire ceci : « A cet égard tout du moins, je ne porte pas trop d’envie au futur. J’avoue ne pas tenir à malchance d’avoir vécu à l’époque barbare où les parents devaient se contenter des cadeaux imprévisibles du hasard car je doute que des fils rectifiés et calculés, façonnés sur mesure, inspirent les mêmes sentiments que nous inspirent les nôtres, tout imparfaits et décevants qu’ils sont ».
En 1964, à propos des applications pacifiques de la désintégration de l’atome, il revenait et s’étendait presque douloureusement sur le thème du progrès excessif.
« II y a des expériences que je m’interdis de faire ».
« La nature porte dans ses flancs autant de maléfices que de bienfaits ».
« La science n’est pas morale. Les savants, même quand il s’agit de la connaissance, ne sont pas plus moraux que les autres ».
« A proportion que la science élargit son pouvoir, elle se tient moins assurée de son savoir. Elle trouve dans ses plus grands triomphes l’occasion de ses plus grands doutes ».
« La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d’être des hommes ».
« L’homme n ‘est peut-être pas digne de son pouvoir en tout cas, il n’en est pas digne aujourd’hui ».
« L’homme parviendra à agir sans doute sur tous les grands problèmes physiologiques. Il pourra à peu près tout un jour. Mais que fera-t-il de son omnipotence ? Nous sommes condamnés à la vertu ».
JEAN ROSTAND, MORALISTE ET PHILOSOPHE.
Moraliste, il l’était déjà dans ses premiers livres. Le premier de tous, paru en 1919, s’Intitulait « Le Retour des Pauvres ». Il se composait de deux pamphlets, le premier ayant précisément pour titre « Le Retour des Pauvres », le second s’appelant « L’Arche ». L’auteur, Jean Sokori (c’est le seul livre que Jean Rostand ait fait paraître sous un pseudonyme), généreux et naïf, rageur et violent, brandissait son étendard contre tous ceux qui tiennent à leurs monopoles et leur rang.
De 1919 à 1928 se succédaient de nombreux ouvrages dont « Le Mariage ».
« N’essaie pas de convaincre. Tu ne convaincras jamais une femme, ni surtout la tienne ».
« La haine conjugale est, de toutes, la plus constante, la plus normale ; on hait des gens pour des raisons bien moindres qu’on ne hait sa femme ou son mari ».
« Toute une vie auprès du même être, c’est long ; un des bienfaits du mariage est de nous faire sentir la durée ».
Heureusement, la dernière pensée du livre est la suivante : « Le mariage est trop décrié pour n’avoir pas beaucoup de bon ».
On doit d’autre part, à Jean Rostand, le portrait d’un certain nombre de grands penseurs : Descartes, Montesquieu, …, mais ce qui représentera peut-être aux yeux de la postérité, le plus important d’une œuvre sont ces livres de maximes « Pensées d’un Biologiste », « Nouvelles pensées d’un Biologiste », « Ce que je crois ».
« L’Homme est un miracle sans intérêt ».
« Les sentiments nobles sont devenus moins suspects depuis que la psychanalyse en a dégagé les racines ignobles ».
« Ce que je crois, je le crois assez pour en souffrir, pas assez pour vouloir l’imposer à autrui ».
« Il en est qui sentent comme Pascal et qui pensent comme Lucrèce … Ils pensent que l’âme n’est qu’un peu de vent et de fumée mais cela suivant le mot de Pascal, ils le disent tristement, comme la chose la plus triste du monde ».
« La vie, cette solitude – mais il n’y a pas de compagnie …, cette prison – mais il n’y a pas de liberté … cette illusion – mais il n’y a pas de vérité ».
« Le désespoir n’est peut-être que le premier mot de la vie. J’ignore le second ».
D’UN ERMITAGE A L’ACADEMIE.
Jean Rostand fut-il un grand savant ? Pendant longtemps, une certaine réserve fut exercée à son égard par la communauté scientifique ; il est de règle que celle-ci se méfie des marginaux et des isolés.
Déjà, quand il préparait ses certificats de licence en Sorbonne, les professeurs ne pensaient pas à prendre au sérieux ce fils de deux poètes. Plus tard, c’est le curieux chaix du matériel de recherche, grenouilles et crapauds, qui devait indisposer, sinon les biologistes, du moins un bon nombre de médecins.
Mais le vrai mérite finit toujours par triompher. Première décisive consécration. En 1952, et à sa grande surprise, Jean Rostand recevait le Grand Prix Littéraire de la Ville de Paris.
En 1955, nouvelle consécration. Jean Rostand devenait, cette fois, lauréat du Prix de la Fondation Singer Polignac. En 1959 venait s’ajouter aux précédents, le Prix International Kalinga de vulgarisation scientifique.
Enfin, c ‘était le 16 avril 1959, l’élection à l’Académie Française au fauteuil d ‘Edouard Herriot. La réception avait lieu quelques mois plus tard, le jeudi 12 novembre. C’est à Jules Romains qu’avait été confiée la charge de recevoir Jean Rostand dans le fauteuil où avaient auparavant siégé Laplace, Royer-Collard, A. de Mun, le Cardinal Baudrillart.
Jean Rostand devait être un académicien modèle. Toujours, dans l’honorable assemblée, il devait être aimé et écarté, bien que sur de nombreux points, ses opinions aient été fort éloignées de l’opinion générale.
TEL QU’EN LUI -MEME …
Qui a eu le privilège de rencontrer Jean Rostand ou de l’apercevoir à la télévision, n’a pu être que frappé par son apparence non conformiste : veste de velours, chemise au col largement ouvert sans cravate, pipe et cigarette moins souvent aux lèvres que pressées dans des mains nerveuses. Mais cette tenue quelque peu négligée n’était pas seule à surprendre. Il y avait aussi cette allure débonnaire de grand-père pour livres d’enfants. Il y avait, dominant un visage rond, un haut front dégarni et, tombant sur la nuque, de longs cheveux poivre et sel. Il y avait la moustache broussailleuse, plus que tout, il y avait le regard attentif dans de petits yeux se cachant derrière des verres épais. « Ai-je tout dit, cette fois ? Non, j’ai oublié l’essentiel ; je n’ai pas parlé du sourire toujours bienveillant ».
Eprouvait aussi une surprise quiconque était mis au courant de la simplicité avec laquelle cet homme menait sa vie. C’était une vie pleinement indépendante, une vie marquée par un goût profond de la solitude, un mépris total de tous les matérialismes. On a pu dire de cette vie qu’elle était celle d’un trappiste sans Dieu. Lors d’une interview :
Rien n’est facile pour moi.
Au bord d’un étang, quand je pèche des grenouilles et des têtards.
Dans un salon ... si j ‘y mettais les pieds.
Ma chambre avec ma table de travail, mes dossiers, mes papiers.
Il y a surtout des tas de choses qui ne me passionnent pas.
Si l’on me disait : « jusqu’ à la fin de vos jours, vous ne verrez plus personne », cela me serait à peu près égal, quant aux hommes. Mais le sourire des femmes, ça me manquerait … »
Et maintenant, le côté cœur. Là, ce qu’on découvre, ce sont les vertus que l’on accorde aux saints. Il appréciait l’intelligence, il aimait surtout la charité. Il était sensible, il était bon. « II y a dans sa vie, a pu dire Maurice Noël, une bienfaisance cachée et une démesure de chrétien primitif ».
« Chez lui, a écrit, de son côté Jacques Chardonne, j’ai vu la bonté à l’état pur. C’était la bonté absolue, dans son plein éclat. Jean Rostand est là. Il apporte le secours sans jamais mesurer s’il en a véritablement les moyens ni le temps. Cette bonté, c’est tout simplement la présence humaine dans sa nudité. Il n’a jamais fait de tort à personne. Jamais. Tout ce qui concerne Jean Rostand prend un caractère absolu, tout fait singulier et notamment ce mot : jamais ! » Tous ceux qui ont bien connu Jean Rostand ne peuvent que souscrire à ce jugement.
LA MAISON DE SOCRATE.
De 1922 jusqu’à sa mort, Jean Rostand n’a pas quitté Ville d’Avray.
Il habitait rue Pradier, une maison blanche avec perron, fusains et balcons en fer forgé. La porte franchie, on pénétrait dans le salon et la salle à manger. Dans ce cadre, imposant par les souvenirs, mais rendu simple par la modestie de ses hôtes, Jean Rostand aura passé plus de cinquante ans de sa vie avec sa femme et son fils unique.
« A présent, il me faut dire un mot des visiteurs » nous dit Monsieur Delaunay. « Tout au début de mon amitié avec Jean Rostand, ils étaient encore rares. Mais à partir de 1948, en telle ou telle occasion, ils ont été légion. Que l’on s’amuse à dresser une liste de personnes qui ont tenu à rendre visite au maître dans sa thébaïde, on ne peut qu’être surpris par sa longueur et aussi par son éloquence. Il y eut des journalistes, des savants, de jolies femmes, de jeunes biologistes, des prêtres, des hommes de lettres, quelques académiciens. Il y eut aussi une période où l’animation était surtout apportée par de jeunes et chevelus gauchistes. Ils s’étaient installés dans la salle à manger comme en terrain conquis ; sans doute se croyaient-ils à la Sorbonne ou à l’Odéon. Avant et après 1968, c’est surtout le dimanche que le bataillon des fidèles pouvait se retrouver autour de l’ami exemplaire ».
Il n’a jamais cessé de s’élever avec violence contre les dictatures, contre les gouvernements. Il s’est également dressé contre toutes les injustices sociales. Il se flattait d’être un socialiste révolutionnaire. Il fut contre la guerre, contre les essais nucléaires. Il fut de ceux qui ne se lassèrent jamais de dénoncer la mauvaise foi scientifique.
Il devait être aussi un adversaire acharné de tout ce qui relève de la parapsychologie.
DEVANT LA MORT.
Pendant des années, la santé de Jean Rostand avait été excellente et puis un jour, le 4 septembre 1977, la mort venait le saisir. La mort ? A plusieurs reprises, il n’avait pas dédaigné de parler d’elle. Il a dit par exemple : « La mort ne m’inquiète pas, elle m’ennuie, je suis un mauvais moureur ».
Son enterrement, dans le cimetière de Ville d’Avray, fut à son image, d’une grande simplicité et d’une parfaite discrétion.
« Trois hommes auront compté particulièrement dans ma vie », nous dit avec émotion le professeur Delaunay pour conclure, « Jean Guitton, André Maurois, Jean Rostand ». J’ai essayé de les remercier de mon mieux en leur donnant une grande part de mon affection, mais à un seul, à Jean Rostand, j’aurai donné ma tendresse ».
C’est avec un grand plaisir et une grande émotion que nous avons écouté Monsieur Delaunay nous parler de la vie et de l’œuvre de Jean Rostand qui, après avoir été l’Homme de science dont il venait écouter les conférences, est devenu un fidèle ami.
Merci Monsieur Delaunay et rendez-vous pour une autre conférence !
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