Thèmes: Littérature, Sciences, Société Mardi 14 Novembre 2017
LES ABEILLES (ET LE) PHILOSOPHE (S); ÉTONNANT VOYAGE DANS LA RUCHE DES SAGES.
Par Messieurs Pierre-Henri TAVOILLOT, Maître de conférences à l’Université Paris-Sorbonne IV, Président du Collège de philosophie
et François TAVOILLOT, apiculteur en Haute-Loire.
INTRODUCTION
L’abeille, bien que très différente de l’homme physiquement est une référence en matière d’humanité, et elle serait un bon fil conducteur pour un cours de philosophie. La proximité entre l’abeille et l’homme remonte déjà aux temps préhistoriques car l’insecte tout comme l’homme était présente sur tous les continents. La particularité de l’abeille est qu’elle n’a pas besoin de l’homme pour vivre mais qu’elle accepte le contact avec lui et accepte même de vivre dans un habitat fabriqué par ce dernier. L’abeille, en produisant deux choses essentielles comme le sont le miel et la cire qui en plus sont non périssables, a été vue comme un lien entre le Ciel et la Terre et donc entre le divin et l’humain. Comprendre la spécificité et la complexité de cette relation entre l’abeille et l’homme nous mène de l’Antiquité à nos jours et nous permettra de voir l’importance des valeurs symboliques attribuées à l’insecte ainsi que les nombreuses figures mythologiques divines et humaines qui lui sont liées.
I – L’abeille dans l’Antiquité.
Dans la mythologie grecque, au commencement régnait le chaos, le ciel représenté par Ouranos, et la Terre représentée par Gaïa, étaient collés, empêchant ainsi la naissance des enfants. Finalement se produit la naissance de Cronos permettant ainsi la séparation du ciel et de la terre. Devenu adulte, Cronos mange tous ses enfants par jalousie mais un jour, à la naissance de Zeus, Rhéa, sa mère, donne une pierre emmaillotée à manger à Cronos et sauve ainsi son enfant qu’elle donne à garder aux nymphes. Chez ces dernières, Zeus est nourri avec du miel que lui donne Mélissa et du lait de la chèvre Amalthée. Le miel recueilli par la nymphe provient d’un tronc d’arbre qui est la ruche primitive. C’est la première fois qu’apparaît le miel comme synonyme de douceur. C’est également à du miel que Zeus mélangera une potion vomitive qu’il donnera à son père pour qu’il rende ses frères et sœurs ce qui permettra d’établir un ordre dans le monde.
Dans la Grèce antique la philosophie est une philosophie cosmique. Pythagore utilisera le premier le terme de cosmos comme synonyme d’ordre. Le sage doit déterminer l’ordre et permettre d’y vivre en harmonie. Dans l’Antiquité, le lourd doit être en bas, ce sont donc les paysans qui sont au bas de l’échelle sociale, puis vient le cœur, c’est-à-dire le courage, où se trouvent les guerriers et en haut se trouve ce qui est léger, c’est-à-dire l’intellect et donc les philosophes qui sont par conséquent les plus qualifiés pour gouverner. L’abeille est pensée comme le lien entre la nature et la culture. Aristote, autre grand philosophe grec, qui a beaucoup écrit sur le thème des animaux, a comparé la ruche à un microcosme. Il cherche dans la ruche les secrets qu’il ne peut déceler dans l’univers. Par ailleurs, la reproduction des abeilles reste un mystère qui ne sera résolu que quelques siècles plus tard.
Virgile, grand poète romain, écrit « Les Géorgiques » œuvre sur la vie paysanne et consacre entièrement son quatrième livre aux abeilles. Il faut souligner que Virgile écrit à l’époque où Auguste devient le premier empereur romain mettant ainsi fin à la République, pourtant très populaire. Ce livre de Virgile devient une sorte de propagande pour la monarchie mais au même temps il faut renouer avec le passé paysan de Rome et les valeurs que cela véhicule. L’abeille est un modèle idéal et Rome doit donc être construite comme une ruche. De plus, l’abeille est aussi propre, travailleuse et organisée, des valeurs qui doivent être celles de l’Empire.
II – Du Moyen-Âge à nos jours.
Nombreux sont les textes qui évoquent les fonctions religieuses du miel et le rôle sacré des abeilles. La présence des abeilles est systématiquement ancré dans le monde sacré et l’insecte devient un élément pour se rapprocher de Dieu. L’abeille deviendra un exemple pour comprendre la grandeur de la création. Ainsi, on trouve une scène d’apiculture sur un rouleau de prières qui est traditionnellement lu à Pâques, la plus grande fête chrétienne. Il est intéressant de noter que sur cette enluminure du Moyen-Âge, on peut observer des ruches à panneaux amovibles, ce qui est très pratique mais qui est une technique qui remonte à l’Empire romain. On peut également voir que lors de la pose de l’essaim, les paysans sont mal vêtus donc pauvres alors que lors de la récolte du miel, ils se sont enrichis, leurs vêtements étant bien plus luxueux. L’image devient une parabole. En effet, au départ, l’homme est pauvre car il ne connaît pas Dieu, puis lorsqu’il s’ouvre aux paroles du Christ il s’enrichit et s’épanouit.
En 1569, Bruegel, célèbre peintre hollandais, dessine une scène d’apiculture en pleine inquisition et bien que le peintre soit catholique il montre comment les inquisiteurs, ici représentés par des apiculteurs sans visage et qui saccagent les ruches plus qu’ils ne récoltent le miel, sondent les âmes afin d’y déceler la moindre hérésie. En arrière plan, on aperçoit une ruche intacte au calme qui représente l’Angleterre, pays très tolérant avec les Protestants. Ces derniers voient dans l’essaimage un nouveau départ et une nouvelle ruche symbolise une nouvelle Eglise.
Au début du XVIIe siècle avec l’élection en 1623 d’Urbain VIII comme Pape, Rome est envahie d’abeilles. Le blason des Barberini, la famille du Pape, comporte trois abeilles et ces dernières deviennent le symbole du ralliement des courtisans lettrés au nouveau pouvoir romain. D’ailleurs, c’est sous le pontificat d’Urbain VIII que les recherches scientifiques autour de l’abeille se développent et c’est une abeille qui est le premier insecte observé au microscope tout juste mis au point. Ce développement technologique permettra à Cessi d’écrire « L’apiarum » paru en 1625 où l’auteur fait un classement très précis des abeilles.
L’abeille, de tout temps, est un symbole très utilisée en politique. Ainsi, dans le calendrier républicain, la Ruche est le nom attribué au vingtième jour du mois germinal. Quelques années plus tard, lorsque Napoléon réunit un groupe de penseurs pour trouver un symbole à son règne, c’est l’aigle et l’abeille qui sont choisis. On lui suggère l’aigle comme référence à l’Empire romain et l’abeille comme référence au chef. Napoléon veut achever totalement la révolution mais veut conserver les acquis de la République tout en établissant l’ordre. Il reprend les abeilles en or de Childéric, père de Clovis, qui peuvent être vues comme des lys inversés. La légitimité de Napoléon est ainsi établie. Avec Napoléon, l’abeille est omniprésente comme on peut le voir entre autre sur le manteau d’hermine du sacre de 1804.
Toutes les tendances politiques utilisent l’abeille que ce soit les monarchistes, les aristocrates, les républicains, les anarchistes, les communistes ou les libéraux. D’ailleurs, on peut souligner que l’un des premiers théoriciens des libéraux, l’anglais Bernard Mandeville, écrit en 1714, « La fable des abeilles ». Pour lui, les abeilles sont le modèle des vertus économiques (organisation), des vertus guerrières (courage), des vertus sociales (abnégation et entraide) et des vertus morales (droiture et honnêteté).
En ce qui concerne la forme hexagonale des alvéoles, elle fut repérée par Aristote dès le IVe siècle avant J-C dans son œuvre « Histoire des animaux ». Au XVIIe siècle, l’astronome Kepler et le physicien Réaumur dans « Mémoires pour servir à l’histoire des insectes » supposent que les abeilles construisent leur gâteau de cire dans un souci d’économie. Les scientifiques prouvent que la forme des alvéoles est le forme la plus solide possible avec le moins de matière. Il ne faut pas oublier qu’il faut quelques dix kilos de miel pour faire un kilo de cire, il est donc vital d’en utiliser le moins possible. Plus tard, en 1859, Darwin avance l’hypothèse que les abeilles construisent une alvéole circulaire qui devient ensuite hexagonale par le mouvement des abeilles. En 2013 le Professeur Karihaloo confirme la proposition de Darwin.
De nos jours la pollinisation symbolise le développement durable. Quant-aux réseaux intelligents ils s’inspirent également du monde apicole, ainsi par exemple on utilise le vol des abeilles pour créer un algorithme qui fera fonctionner le métro indien. L’abeille reste présente dans notre société moderne et ultra connectée.
CONCLUSION
Le microcosme que représente la ruche a inspiré les intellectuels de tout temps, aussi bien les ethnologues que les littéraires, les politologues, les sociologues ou les philosophes. L’abeille est un symbole qui a traversé les siècles et reste toujours bien présente au XXIe siècle.