CERCLE DE DOCUMENTATION ET D’INFORMATION
« CLUB DU TEMPS LIBRE«
Conférence du mardi 3 Février 1981
Une soixantaine de personnes se sont réunies mardi 3 Février 1981 pour écouter M. MUGLIONI , Inspecteur général de l’Instruction publique.
Le sujet traité fut présenté par M. SIRE, qui après avoir rappelé les liens qui l’unissaient au conférencier depuis leur rencontre au lycée Janson de Sailly, posa la question en ces termes: Dans le système éducatif actuel, où le mot « Instruction » a disparu, des programmes en particulier, l’instruction est-elle périmée ?
Dans un texte officiel de 1972, on lit « les professeurs participent à l’activité d’éducation, principalement en assumant un service d’enseignement”; ainsi , la finalité première de l’école serait l’éducation, le mode d’acquisition du savoir (plus que le savoir) en étant l’un des facteurs.
Remerciant M. SIRE, M. MUGLIONI a souligné que leurs relations datent d’une époque où cette question ne se posait guère. Elle fut par contre l’objet d’un débat en octobre 1979 au Centre International d ‘Etudes Pédagogiques à Sèvres devant une assemblée d ‘Inspecteurs Généraux. Malgré quelques divergences dues la diversité des personnalités, les idées exposées furent partagées par la majorité des participants. Cependant, c’est en son nom personnel que s’exprimera aujourd’hui M. MUGLIONI.
Son propos concerne donc l’idée d’instruction et son éclipse, la dévaluation du savoir et d’une certaine culture.
L’Instruction est-elle la survivance d’un passé révolu ? L’école, invitée à se plonger dans le milieu qui lui est extérieur, doit- elle préférer à la culture traditionnelle une culture ouverte au monde actuel ?
Les connaissances élémentaires semblent passer au second plan, délibérément mises de côté. Apprendre à lire, écrire, compter ne serait plus nécessaire, dit-on. Les élèves risquent de se trouver ainsi face à l’oisiveté et l’ennui scolaire. Il ne faut cependant pas généraliser, certains des maîtres continuent dans l’ombre à instruire leurs élèves, mais on ne les entend pas; ils laissent la parole aux « autres”. Nous nous trouvons devant un Darwinisme inversé, face la survivance des moins aptes, face au règne des contre-modèles.
Implicitement, beaucoup d’articles et de livres pédagogiques vont dans ce sens. On y trouve le procès de l’instruction et l’exposé de la situation la plus défavorable de l’enseignement où l’on érige le pathologique en ordre. Les problèmes incohérents de structure, de cursus, d ‘organisation y deviennent des problèmes pédagogiques. Or, la pédagogie ne doit pas être l’art d’accommoder les incohérences. Il faut libérer le système en le rendant à lui-même.
Citant Socrate: “L’instinct de conservation interdit de confier une société à des marginaux », M. MIJGLIONI souligne qu’un maître est tenu par devoir d’Etat à s’en tenir au savoir éprouvé.
Les maîtres actuels ont-ils ce savoir nécessaire et suffisant qui leur permettrait de s’adapter à une situation nouvelle? Le terme « recyclage », très à la mode, est à la fois éloquent et dérisoire. Qu’est ce qu’apprendre ?
Par ces mots, le problème de la croyance actuelle en la formation pédagogique des maîtres est soulevé. On tente de créer un type d’enseignement banalisé, unifome. D’autre part des difficultés imaginaires, des causes extérieures créent des obstacles étrangers à l’art même d’enseigner, ainsi la répartition des élèves, la mauvaise tenue d’un établissement, etc… qui relèvent en fait du service public.
On parle également beaucoup de la communication, de l’échange entre maître et élèves, et l’enseignement est présenté comme un partage.
Or, M. MIJGLIONI considère qu’ il n’y a pas de partage, ni de transfert. Rien ne passe d’un esprit l’autre.
Enseigner devient facile dès lors qu’on peut soi-même apprendre. L’échec de l’enseignement ne peut être dû à un échec de la communication, mais à celui des attitudes intellectuelles et des relations. Le savoir et les connaissances du maître permettent cet enseignement. On n’enseigne pas mal, on apprend mal.
Dans l’acte d’enseigner, c’est le maître qui apprend le plus. Citant Platon, M. MUGLIONI rappelle que la pensée ne peut venir de dehors mais que de soi-même. Savoir, c’ est se ressouvenir. A l’écoute d’autrui nous découvrons en nous la pensée. Donc la relation du maître et de l’élève dépend de la qualité de la relation du maître avec lui-même. Une inquiétude intellectuelle doit donner au maître la force d’enseigner.
L’ instruction dispensée par l’enseignant ne vise pas à insérer I’enfant dans la vie. Elle le munit de capacités, de facultés de comprendre. Ce qu’ il ne faut pas confondre avec une accumulation mécanique de connaissances.
Instruire, c’est bâtir lentement, ranger, construire, mettre en ordre, et les lois de Jules Ferry précisent « en Vue de donner aux enfants une autonomie suffisante ».
La fonction initiale de l ‘école est de moins en moins remplie. L’Instruction est donc récusée au profit de l’Education, celle-ci étant créditée des vertus refusées au savoir et la culture. La querelle entre l’instruction et l’éducation est une fausse querelle. L’instruction, qui est une idée républicaine, donne des règles de conduite de vie, et des capacités liées à la faculté de comprendre.
Qu’est-ce donc que l’éducation ? demande alors M. MUGLIONI .
Elle répond au projet d’élever, de nourrir en vue de perfection d’ordre moral , comme l’éducation familiale, l’éducation religieuse.
Mais est-ce là l’affaire de l’Etat et du Ministère de l’Education? L’Education sans Instruction, n’est qu’un simple dressage; elle se réduit a une imprégnation de gestes.
M. MUGLIONI nous cite un texte de COURNOT, écrit en 1864 où celui-ci exprime deux conditions à l’Instruction Publique:
ceci permettant un apprentissage complet de l’écriture et de la lecture, et, du fait de son caractère de méthode universelle de lecture, d’acquèrir davantage de connaissances. Celui qui sait lire est déjà instruit et a la possibilité de poursuivre son instruction.
Ici le conférencier fait intervenir Hegel qui dès 1811 dit qu’on ne peut commencer à lire par des mots entiers (méthode globale). Il faut la maîtrise des éléments graphiques.
Or la conception actuelle de l’éducation est une conception globale et indéterminée. L’ impatience pédagogique incite à commencer par la fin, par la globalité des milieux, de l’environnement. Elle prétend l’apprentissage de mots entiers. C’est une régression caractérisée qui conduit au dégoût de s’ instruire. On enferme l’enseignement dans un cercle lassant où le faux concret de l’imagerie amène au faux savoir.
L’élève doit être maître de ses propres pensées, ne pas croire tout ce que les mass media lui présentent, par exemple. L’autonomie de sa pensée doit être acquise et les pédagogues ont tort de renier Descartes, car l’accès à la connaissance n’est pas indépendant de la pensée. L’enfant doit comprendre qu’il existe un ordre, qu’il peut certes acquérir l’autonomie, mais avec méthode.
Le savoir n’est pas une somme d’informations accumulées. Le bon usage des documents est le résultat du savoir. Il faut déjà être instruit pour trier et analyser des documents. On comprend mieux en se référant à ce que l’on sait déjà. Apprendre fondamentalement fait la différence entre l’informatique et l’homme. La machine ne pense pas. Et l’information pour elle-même n’ instruit pas.
Ceci se réfère à une certaine idée de l’homme.
L’Homme est un producteur, utilisateur, créateur d’outils.
Aristote dit « la vie est action, non pas production ».
Pour être libre, l’homme doit comprendre. L’enchainement des pensées est différent de l ‘enchainement des travaux. Plus il y a de méthode, moins on a besoin de penser , il s’agit là d’un nouveau dressage de l’homme appelé recyclage. Il faut se méfier de la tyrannie des sciences. L’accord de la pensée et de l’action permet de savoir ce que l’on fait.
Pour cela, il faut cesser d’entourer la science de mystère.
Dans une société, préoccupée de progrès techniques, de rentabilité, où la première place est donnée à l’économie, on ne peut faire de projet quant à l’instruction publique; l’enseignement devient alors une technique.
Il faut tendre à insérer l’homme dans la société car tout homme doit s’adapter; mais il faut lui laisser la libre disposition de ses capacités propres.
M. MUGLIONI a achevé son propos en concluant que la société devrait être faite par l’école, et non pas l’école faite pour la société.
Il faut pour cela un ordre scolaire autonome, rigoureux, qui amène l’élève à s’exprimer, à s’épanouir dans un milieu approprié à cet effet. Il ne faut pas oublier que la pédagogie est caractérisée parce qu’elle marque une distance l’égard du quotidien: elle vise à adapter en vue d’une société meilleure.
Quelle voie prendra l’école demain?
De nombreuses questions furent posées qui, au total , montrent un accord de pensée entre les auditeurs, dont quelques universitaires, et le conférencier.
Un commentaire
Coyer
Feb 19, 2023
Conférence intéressante et qui reste d'actualité 42 ans après avoir été prononcée.