Thèmes: Médecine, Sciences Conférence du mardi 23 janvier 1990
Georges Chapouthier, docteur ès Sciences, directeur de recherches au CNRS, a fait au cours de sa conférence le bilan des connaissances des chercheurs sur la mémoire et le cerveau. Il a souligné les nombreux éléments encore incompris qui seront les thèmes de la recherche de demain.
QU’EST-CE QUE LA MEMOIRE ?
Le problème de la mémoire peut-être ramené à quatre concepts fondamentaux : l’apprentissage, la mémoire proprement dite, l’oubli et le rappel.
L’apprentissage peut-être grossièrement défini comme le processus par lequel un animal – homme – enregistre des éléments de son environnement qui modifieront son comportement ultérieur.
La mémoire proprement dite sera alors l’ensemble, le stock de ces éléments enregistrés dans le système nerveux qui, en psychologie, porte le nom de souvenirs.
L’oubli est le fait que l’information enregistrée devient, avec le temps, de moins en moins capable de provoquer un comportement donné. On ignore à peu près tout de son mécanisme biologique au point qu’on est dans l’incapacité de dire aujourd’hui s’il résulte d’un « effacement des informations », d’un « masquage », ou de l’un et l’autre de ces deux phénomènes.
Le rappel, c’est le retour à la conscience des informations à un moment opportun. L’exemple le plus célèbre en est la petite madeleine de Proust : le goût d’une petite madeleine fait ressurgir dans la conscience de l’écrivain une époque qu’il avait « oubliée ». La petite madeleine correspond à ce qu’on appelle techniquement un indice de rappel.
LES CONDITIONNEMENTS
Pour étudier l’apprentissage, les techniques les plus largement utilisées sont les techniques de conditionnement, où l’acquisition d’une réponse par un animal et les facteurs qui influent sur cette acquisition sont rigoureusement contrôlés par l’expérimentateur. Il existe deux types de conditionnement : le conditionnement classique découvert par Pavlov et développé par l’école russe, et le conditionnement instrumental mis au point par Skinner et largement utilisé par l’école américaine.
Pavlov propose de la nourriture à un chien ; celui-ci salive. Il s’agit d’une réponse automatique, réflexe, reproduite par un stimulus inconditionnel, la nourriture. Si on répète l’opération et que, à chaque présentation de la nourriture, on associe un stimulus primitivement neutre comme le bruit d’un métronome par exemple, le chien se mettra à saliver à l’apparition du stimulus primitivement neutre. Ce dernier stimulus sera donc devenu un stimulus conditionnel capable de produire la réponse. L’inconvénient de cet apprentissage est qu’il est un peu artificiel. Le chien est attaché…
Boîte de Skinner
Dans la procédure skinnérienne, l’animal est plus libre. Il doit effectuer une certaine réponse pour obtenir une récompense ou éviter une punition.
La figure 1 représente une boîte de Skinner. La souris peut obtenir de la nourriture dans la mangeoire située derrière elle si elle appuie sur le levier lorsque le voyant est allumé.
On peut raffiner l’apprentissage.
Labyrinthe en Y
La figure 2 représente un labyrinthe en Y. Les labyrinthes reposent sur l’orientation d’un animal dans l’espace. Les modèles les plus simples comportent trois branches disposées en T ou en Y. L’animal, placé dans la branche de départ, doit choisir, parmi les deux branches qui restent à sa disposition, celle qui lui permettra d’obtenir son renforcement. Selon les conditionnements, branche de droite ou branche éclairée, ou, tantôt branche de droite, tantôt branche de gauche, etc. Des parcours plus complexes peuvent être conçus.
La boite d’évitement est divisée en deux compartiments (figure 3). L’animal est averti par un stimulus discriminatif (en général sonore ou lumineux) qu’il va avoir à changer de compartiment. S’il reste dans le compartiment où il se trouve, un renforcement négatif (choc électrique) l’oblige à changer de compartiment ; il s’agit d’une réponse dite d’échappement. Assez rapidement l’animal apprend à changer de compartiment dès l’apparition du stimulus, sans attendre le choc électrique. On parle alors de réponse d’évitement.
Boite d’évitement
En règle générale, on préfère en laboratoire étudier des tâches simples.
Certains auteurs ont une position extrême et pensent que tous les apprentissages sont des conditionnements. C’est faux, nous dit G. Chapouthier.
L’APPRENTISSAGE LATENT ET L’EMPREINTE
L’apprentissage latent, c’est l’acquisition d’information qui survient lorsqu’un animal – un homme – se trouve placé dans une enceinte sans récompense, ni punition.
L’empreinte est l’attachement très profond d’un animal à un parent, un congénère ou un objet, généralement acquis, durant l’enfance et dont les effets peuvent se faire sentir très longtemps après. C’est chez les oiseaux nidifuges – c’est-à-dire des oiseaux tels que le poulet ou le canard, qui dans la nature quittent très vite le nid pour suivre leur mère – que furent effectuées les recherches les plus abondantes dans ce domaine. Mais des phénomènes d’empreinte ont été mis en évidence dans de nombreux groupes animaux.
Chez les poissons on a montré que les jeunes saumons s’imprégnaient olfactivement à l’eau de la rivière où ils étaient nés. Ainsi s’expliquerait le fait, resté longtemps mystérieux, que les animaux adultes reviennent pondre à l’endroit où ils ont vu le jour.
Chez l’homme, on peut trouver des phénomènes d’empreinte dans l’acquisition du langage par exemple. Des enfants séquestrés par des parents fous ne peuvent plus apprendre à parler si on ne les reprend pas avant l’âge de 7 ans.
D’une façon plus amusante, signalons qu’en ce qui concerne l’empreinte sexuelle, certains psychanalystes ont affirmé que l’homme (mâle) parvenu à l’état adulte recherchait comme partenaires sexuelles des femmes ressemblant à leur mère. Un thème sur lequel je ne répondrai pas.
PLACE DE LA MEMOIRE HUMAINE PAR RAPPORT A D’AUTRES ESPECES ANIMALES
Pour pouvoir comparer entre elles les aptitudes d’apprentissage et de mémoire des différents animaux, il faut disposer d’une base de comparaison permettant de mesurer les capacités respectives d’animaux, aussi variés que l’unicellulaire, le ver de terre, l’abeille ou le chimpanzé. Une telle base de comparaison a été proposée en 1969 par deux chercheurs sous la forme d’une grille constituée par cinq catégories applicables à tous les animaux quels qu’ils soient. Ce sont :
l’habituation
l’alternance
le conditionnement pavlovien (voir plus haut)
le conditionnement skinnérien (voir plus haut)
l’apprentissage de détour.
L’habituation est un processus par lequel une stimulation répétée perd son effet. Par exemple le réveille-matin qui vous réveillait finit, à la longue par devenir inefficace. Cela suppose que, sous une forme ou sous une autre, notre cerveau ait mémorisé les caractères d’une telle stimulation.
La tendance à l’alternance est le fait qu’un animal – un homme – qui a choisi plusieurs fois de suite le premier terme d’une alternative tend à choisir le second. Ainsi un ver qui a tourné plusieurs fois à gauche dans un labyrinthe en T aura tendance à tourner à droite la fois suivante. Ou bien un homme qui se trouve face à un buffet rempli exclusivement de parts de tartes aux pommes et de parts de tartes aux fraises, s’il a pris préalablement trois parts de tarte aux pommes aura tendance, la fois suivante, à choisir la tarte aux fraises. Cette tendance à l’alternance suppose la mémoire du premier terme de l’alternative.
L’apprentissage du détour de locomotion, c’est la faculté qu’a un animal d’atteindre son but en s’éloignant provisoirement. Un tel apprentissage implique une représentation de l’espace dans le cerveau de l’animal, représentation qui seule peut lui permettre de prévoir le bénéfice qu’il peut retirer de cet éloignement provisoire du but qu’il vise à atteindre.
S’il ne fait de doute pour personne que ces trois derniers phénomènes relèvent de l’apprentissage au sens le plus traditionnel du terme, la tendance à l’alternance et l’habituation sont des apprentissages beaucoup plus élémentaires : des animaux qui ne posséderaient que ces deux caractéristiques ne seraient sans doute pas considérés comme doués de mémoire par tous les auteurs.
L’ARBRE GENEALOGIQUE DU MONDE ANIMAL
Plaçons sommairement les différents groupes animaux les uns par rapport aux autres. En partant des animaux dont l’organisation anatomique est la plus simple (animaux constitués d’une seule cellule), on peut dresser, en allant vers la complexité croissante, un arbre généalogique du règne animal (figure 5).
Interprétation schématique de l’arbre généalogique du monde animal.
Après les unicellulaires (protozoaires) on rencontre des animaux à plusieurs cellules et à l’organisation anatomique très simple comme les polypes ou les méduses. Au-delà, l’arbre généalogique se subdivise en deux branches. Une branche comprend des animaux à système nerveux ventral comme les vers, les mollusques comme l’escargot et finalement les articulés (insectes, crustacés…) et une branche, comprenant des animaux à système nerveux dorsal qui aboutit finalement aux vertébrés, groupe auquel l’homme appartient.
On constate que les phénomènes les plus simples, comme la tendance à l’alternance et l’habituation, ont été retrouvés chez tous les groupes d’animaux étudiés. La situation reste beaucoup plus controversée en ce qui concerne les conditionnements. Ils n’apparaissent clairement qu’à partir des vers. Cet animal peut apprendre à choisir, dans un labyrinthe en T, l’allée qui conduit à une chambre humide et à éviter l’allée qui conduit à des chocs électriques.
Au-delà dans la branche de droite, on assiste à une complexification de ces mécanismes de conditionnement. Les capacités d’apprentissage les mieux étudiées chez les insectes ont sans doute été celles des abeilles. L’étude du langage des abeilles par Von Frisch a indirectement donné des informations sur les capacités d’apprentissage de ces insectes. II suggère que les abeilles sont capables de retenir les caractéristiques définissant le lieu de la récolte de la nourriture et de la transmettre, une fois de retour à la ruche, à leurs congénères par la « danse des abeilles ».
Si ces animaux ont beaucoup perfectionné les conditionnements, cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas capables d’alternance et d’habituation.
Les capacités d’apprentissages plus développés ne viennent pas remplacer des capacités d’apprentissage simple, mais les compléter.
Les mollusques sont un groupe très hétérogène qui comprend d’un côté des animaux de type moyen comme l’escargot, de l’autre les moules et les huitres qui ne brillent pas par leur intelligence, et enfin la seiche, la pieuvre, le calamar (céphalopodes) qui sont intelligents et qui sont les seuls invertébrés capables de détours.
La pieuvre est capable d’apprendre en quelques dizaines d’essais des discriminations tactiles ou visuelles parfois complexes, comme distinguer deux figures géométriques différentes.
Une pieuvre est capable de faire un détour pour attraper par exemple un crabe enfermé dans une bouteille.
En fait, l’apprentissage de détour, tâche particulièrement ardue et qui suppose une représentation de l’espace dans le cerveau de l’animal, ne semble possible que dans deux groupes d’animaux : les vertébrés, et les céphalopodes.
SANG FROID ET SANG CHAUD
Chez les vertébrés, groupe auquel appartient l’espèce humaine, on trouve bien entendu toutes les catégories de la grille : habituation, alternance, conditionnement classique, conditionnement instrumental et apprentissage de détour.
Anatomiquement le groupe, des vertébrés est un groupe très homogène. Les différents sous-groupes qui le constituent (poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères) offrent une parenté certaine par leur colonne vertébrale, les deux parties des membres ou leur tête porteuse d’organes visuels.
Sur le plan du psychisme, on peut cependant se demander s’il n’est pas possible de trouver une coupure à l’intérieur même du groupe des vertébrés. On peut le faire, mais alors il faut, aux cinq catégories précédentes, ajouter une sixième qui traduit un niveau de mémoire encore plus élaboré. C’est ce qu’un chercheur américain a appelé « l’économie d’essais en réversion ».
Imaginons que dans un labyrinthe en T, nous ayons appris à un ver de terre à tourner à gauche. Supposons qu’un tel apprentissage ait été possible après 100 essais successifs. Si, après ces 100 essais nous inversons la consigne et demandons à l’animal de choisir la droite de réversion), il aura beaucoup de difficulté à la faire. L’apprentissage de la première tâche rend plus difficile celui de la tâche de réversion pour laquelle l’animal fait davantage d’essais.
Proposons maintenant une tâche à un enfant. Dans une salle on a placé deux tasses renversées, et sous l’une d’elle, la tasse de gauche, un bonbon. L’enfant doit chercher le bonbon ; il soulève au hasard les deux tasses et le trouve. Supposons qu’il ait mis trois essais pour apprendre que le bonbon est toujours sous la tasse de gauche. Nous inversons la consigne et mettons le bonbon sous la tasse de droite. Un seul essai supplémentaire suffira à l’enfant pour comprendre que ce qui était auparavant à gauche est maintenant à droite. Il fera une économie d’essai lors de la tâche de réversion.
Si l’on applique cette nouvelle catégorie au règne animal, on s’aperçoit que seuls les vertébrés à sang chaud (oiseaux et mammifères) sont capables d’économie d’essai de réversion. Le reste des animaux en est incapable.
Notre mémoire est le fruit d’additions successives apparues au cours de l’évolution.
LES BASES DE LA MEMOIRE ET DE L’APPRENTISSAGE DANS LE CERVEAU
Je me limiterai ici au problème des vertébrés. Pour imaginer quels sont les éléments du cerveau qui agissent dans ce phénomène, on peut faire trois types d’hypothèses
1 – le cerveau est une structure anatomique très complexe qui a des noyaux, des fibres… Cette structure joue-t-elle un rôle ?
2 -le cerveau est un écheveau de neurones qui transmettent des impulsions. Le cerveau est le siège d’une activité bioélectrique. Cette activité joue-t-elle un rôle ?
3 -le cerveau est une usine chimique. L’activité chimique joue-t-elle un rôle ?
Structure anatomique :
On peut montrer expérimentalement que certaines parties du cerveau ont une action sur l’apprentissage :
– la formation réticulée qui sert à l’éveil et à l’acquisition de l’information.
. le système Iimbique est un ensemble de structures anciennes du cerveau (hippocampe, amygdale). Il existe chez les poissons. Il gère tout le comportement émotionnel : rage, colère, joie… Des syndromes amnésiques paraissent liés à des lésions sélectives de l’hippocampe et de l’amygdale. La plupart de ces amnésies sont des amnésies dites de fixation. Les sujets atteints, capables de mémoriser les évènements récents, oublient au bout de quelques minutes ce qu’ils viennent d’apprendre. Ces résultats sont à rapprocher de ceux observés lors de la maladie d’Alzheimer.
Dans le cerveau on ne connait pas de région particulière de stockage. La mémoire doit être délocalisée d’une manière que l’on maîtrise mal.
Activité bioélectrique cérébrale :
Des impulsions circulent le long de chaque cellule nerveuse. L’ensemble de ces impulsions est un phénomène électrique global que l’on peut repérer en mettant des électrodes sur le crâne et que l’on appelle électroencéphalogramme (EEG).
On peut noter, selon les périodes de la journée, des modifications de l’EEG. « Je vais vous citer 2 exemples où il y a un lien entre les activités d’apprentissage et une activité bioélectrique » :
Modification des potentiels évoqués. Durant l’état éveillé, l’électroencéphalogramme présente une allure générale semblable, quel que soit l’endroit du cerveau à proximité duquel sont placées les électrodes. Mais si, par exemple on envoie un flash dans les yeux d’un sujet, on assiste à une stimulation assez forte de la rétine de l’œil, d’où une grande quantité d’impulsions électriques dans le nerf optique et finalement dans la zone visuelle du cerveau l’apparition d’une onde plus ample qui se démarque des petites ondes rapides du tracé EEG normal. Cette onde est ce que l’on appelle le potentiel évoqué.
Si l’on rend le sujet attentif au flash, un potentiel évoqué est nettement plus marqué sur l’EEG. Au contraire, si on distrait le sujet au moment du flash, le potentiel évoqué devient plus petit.
Il y a un corrélat bioélectrique de l’attention. Il ne s’agit pas de mise en mémoire au sens strict, mais d’un phénomène qui lui est fortement lié puisque l’attention conditionne largement l’apprentissage.
Le sommeil paradoxal est une phase de sommeil durant laquelle la tracé électroencéphalographique présente une activité rapide proche de la veille. Si on apprend quelque chose à un rat, il va faire davantage de sommeil paradoxal. Si on le laisse dormir, mais on l’empêche de faire du sommeil paradoxal, il retiendra moins bien.
La phase de sommeil paradoxal apparaît donc comme une phase de retraitement des données accumulées durant la veille précédente.
Il Y a donc des corrélations entre l’apprentissage et les phénomènes bioélectriques : mais peut-il y avoir une mise en mémoire dans l’activité bioélectrique ? Oui en partie.
Tout ce que nous apprenons passe par le canal de nos organes sensoriels et est transformé en activité bioélectrique. Les mots que nous lisons passent dans notre œil sont transformés en activité bioélectrique qui va circuler le long du nerf optique. Les mots que l’on entend passent dans les conduits auditifs et sont transformés en activité bioélectrique qui passent dans le nerf auditif.
Tout ce que l’on acquiert comme information passe par une phase bioélectrique,
Il est logique de penser que la mémoire à très court terme est portée par des évènements bioélectriques. Si cela est vrai on doit pouvoir le montrer. Des techniques permettent de bouleverser l’activité bioélectrique. L’électrochoc fait oublier les évènements très récents (quelques minutes).
La mémoire à très court terme est vraisemblablement portée par des évènements bioélectriques. En revanche au-delà de quelques minutes, elle est stockée sous une autre forme que l’on ne connait pas.
Aspect chimique :
Puisque l’information innée est portée dans des molécules d’ADN, pourquoi la mémoire ne le serait-elle pas aussi ? Toute une série de travaux ont essayé de démontrer cela.
Des chercheurs ont dosé dans le cerveau d’animaux ces protéines après un apprentissage et ont constaté un changement.
Les antibiotiques ont la propriété de bloquer la synthèse des protéines. En injectant des antibiotiques dans le cerveau d’animaux, on bloque leur apprentissage.
Vers les années 65, plusieurs auteurs, publièrent des résultats tendant à démontrer l’existence d’un transfert d’information par extraits de cerveau chez les vertébrés (rongeurs notamment). Le résultat le plus spectaculaire dans ce domaine a sans doute été l’obtention par un chercheur d’une peptide originale, la scotophobine. Les expériences sont effectuées à l’aide d’un appareil comportant trois boîtes dont une boîte noire. Les animaux donneurs (rats) tendent à se réfugier dans la boîte noire ; ils y reçoivent des chocs électriques qui créent chez eux une aversion de l’obscurité. Des extraits de cerveau de ces donneurs administrés à des receveurs (souris) amènent ces receveurs à passer à leur tour moins de temps dans la boîte noire. Pour ce chercheur, une molécule portant l’information de la peur de l’obscurité acquise par les donneurs est transmise aux receveurs.
Finalement, les essais biologiques ont permis le fractionnement de molécules nouvelles et intéressantes comme la scotophobine, mais n’ont pas permis une démonstration claire du codage moléculaire de la mémoire. On aboutit à la conclusion d’un rôle des peptides dans l’apprentissage, mais on ne peut aller plus loin.
Tout le monde connaît les benzodiazépines qui sont des tranquillisants commercialisés sous les noms, par exemple, de Valium ou Temesta. Ce sont des substances capables de combattre les convulsions et l’anxiété. Elles sont à fortes doses amnésiantes. En collaboration avec d’autres chercheurs, nous avons étudié les effets comportementaux d’une autre famille de molécules qui agissent elles aussi, sur le récepteur des benzodiazépines, mais qui ont des effets rigoureusement opposés. Ces molécules sont appelées des bêta-carbolines. A dose forte, elles provoquent des convulsions, à dose moyenne, elles causent de l’anxiété, à faible dose, elles facilitent la mise en mémoire. Ceci suggère un lien entre la mémoire et l’anxiété.
Un sujet pour une autre conférence
ANNEXE-
L’assistance était très nombreuse ce jour-là, pour écouter M. Chapouthier nous parler du cerveau et des mécanismes de la mémoire. Une des raisons de cette affluence était évidemment l’intérêt que ce sujet présentait pour un auditoire où nous sommes nombreux à affirmer quelquefois, comme Jeanne Moreau « j’ai la mémoire qui flanche ».
Certains d’entre nous attendaient donc des recettes, des détails précis et concrets pour combattre ces fâcheux oublis que nous nous reprochons souvent.
Mais M. Chapouthier est directeur de recherche, il n’est pas thérapeute donc il n’a pas pu entièrement répondre à cette attente. Heureusement, il a pris la précaution dans son temps de conférence (après son exposé magistral) de laisser une large place pour les questions que nous ne manquerions pas de lui poser. Elles furent en effet précises et concrètes car notre attente était plus celle des résultats de la recherche appliquée que de la recherche fondamentale.
Je voudrais dire quelques mots pour défendre notre mémoire qui est de plus en plus sollicitée et chargée sans que nous nous en rendions toujours compte et nous usons de « prothèses » de plus en plus sophistiquées pour répondre à ces charges et sollicitations.
Le premier « aide-mémoire » fut l’association du rythme de la musique (notre visite au Musée des Arts Africains nous l’a confirmé) et nous le pratiquions spontanément tout enfant quand la « musique » nous aidait à retenir les « paroles » de la table de multiplication.
Un deuxième « aide-mémoire » fut l’écriture dont l’efficacité fut centuplée par la diffusion de l’imprimerie et l’extension de l’instruction.
Passons rapidement sur le « nœud au mouchoir » pour arriver par les divers calepins, agendas, paperoles dont nous surchargeons tiroirs et poches, au micro-enregistreur de poche quand une idée lumineuse nous traverse l’esprit loin de tout crayon et papier.
Mais attention, la facilité d’atteindre la « bouée », notre aide-mémoire, ne doit pas nous dispenser d’apprendre à nager, ni d’améliorer notre « style ».
Notre mémoire est bien souvent considérée comme un grenier, une cave où nous emmagasinons, entassons les nouveaux acquis ou surplus sans toujours organiser leur rangement immédiat. Alors il arrive qu’on ne sache plus très bien de quoi se composent nos richesses et nos souvenirs.
Pour la cave ou le grenier, il suffit souvent d’une bonne résolution : on va ranger ! On est alors tout surpris d’y trouver des choses que l’on croyait disparues, des choses superflues aussi et quand chaque objet a bien retrouvé sa place, on s’aperçoit avec une heureuse surprise qu’il y a encore des places vides… à remplir bien sûr, et que tout peut se retrouver facilement.
Pour notre mémoire, la même méthode se révèlera aussi efficace. Une sérieuse remise en ordre de temps en temps permettrait, j’en suis sûr, de retrouver des richesses, d’élaguer quelques superflus et de laisser place pour d’autres acquisitions qui à leur tour auront à ne pas trop vite se cacher ou se faire oublier.
Pour terminer, à ma grande honte, un exemple de mauvaise méthode qui vous vaut cet appel.
J’ai lu, mais non noté, entassé mais non rangé, donc non retrouvable, l’anecdote suivante dans un ouvrage (bibliothèques municipales) de vulgarisation médicale :
« Un patient vient se plaindre à son médecin de « trous de mémoire ». Après le questionnaire et l’entretien habituels le docteur rédige son ordonnance :
1 -médicament X.
2 -médicament Y.
3 -apprendre chaque soir par cœur une fable de la Fontaine « .
Et l’auteur de l’ouvrage commente « cette dernière prescription était peut-être la plus efficace ».
Qu’en pense la faculté ?
Et qui peut me permettre de retrouver cette anecdote ?
E.B.
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