Thèmes: Médecine, Sciences, Société Conférence du mardi 15 octobre 2024
Par Monsieur Thierry-Léandre LE FUR, expert en comportements numériques addictifs, Président de Digital Detox Ressources.
INTRODUCTION
La dépendance peut être liée à des substances telles que le tabac, l’alcool ou les drogues mais aussi à des comportements tels que les jeux ou les écrans. On distingue deux types de dépendance : psychique et physique. La dépendance psychique est plus cruciale car elle pousse à consommer à nouveau et mène à la rechute.
Pouvons-nous guérir d’une addiction ? Quand peut-on parler d’addiction ? On peut rappeler que le mot addiction est dérivé du latin addictus signifiant esclave ou adonné à.
I – De l’hyperconnectivité à l’addiction.
2012 est une date charnière en ce qui concerne l’hyperconnectivité. En effet en France selon l’ARCEP, le nombre de téléphones portables actifs passe à 105%, le prix des forfaits illimité devient dérisoire, la télévision passe au 100% numérique, 99% du territoire est potentiellement couvert par la 3G. Symboliquement le minitel aura été fermé juste avant cette bascule numérique (novembre 2011). Cette avancée à marche forcée se poursuit : en 2024, 99% du territoire est potentiellement couvert par la 4G et 80% par la 5G.
Dans le monde cinq grandes sociétés du numérique (GAFAM – Google, Amazon, Facebook (devenu Méta), Apple, Microsoft) dépassent ensemble les 10 000 milliards de dollars de capitalisation boursière (Boursorama, 2023). Hors GAFAM la première entreprise numérique devient Nvida, avec 3300 milliards de dollars (Les Echos, 2024). Le nombre de mobinautes, utilisateurs d’internet via des téléphones mobiles, dépasse les 5,6 milliards soit près de 70% de la population mondiale (We Are Social, 2024).
On estime qu’un cadre d’une société « always on » sera connecté environ 250 000 heures au cours de sa vie professionnelle (Le Monde, 2016). L’hyperconnectivité ne concerne pas que le monde du travail mais également les loisirs, cela de façon excessive voire compulsive. N’avons-nous pas pu découvrir des messages sur les panneaux autoroutiers mettant en garde contre le jeu vidéo… au volant ?
Ainsi la dépendance au numérique est facilitée par son omniprésence partout, tout le temps et à coûts dérisoires (hors phénomènes de marque). Elle est favorisée par une industrie dont les modèles économiques imposent aux clients d’être toujours plus connectés selon le principe de la captation du « temps de cerveau humain disponible » évoqué par le Président de TF1 (P. Le Lay, 2004).
Sur ces fondements, toujours plus connectés nous entrons progressivement dans le processus de l’addictivité, décomposé en 9 étapes et explicité par la « Spirale des 9C » (T. Le Fur – Docis, 2015). Le psychiatre E. Couderc s’appuyant sur sa thèse doctorale sur l’addiction aux réseaux sociaux (SOCIADD, 2012) l’illustre scientifiquement. La Spirale des 9C a été relayée par tous médias (ex. Allô Docteur), la Fédération Addiction, Addict’Aid, la CFDT Cadres et la CFE-CGC, les SSCT, etc.
En fin de processus – l’addiction – répond aux mêmes critères définis par le Dr A. Goodman (Journal of Addiction, 1990) pour tous types de comportements addictifs à un produit ou une activité.
Les 9 étapes sont :
1.Coping (adaptation à l’environnement) → 2. Circuit de récompense → 3. Cognitif facteur (facilitation de la consommation) → 4. Cycle de renforcement (envie de ‘’toujours plus’’) → 5. Comportement de conformité (réduction du libre arbitre) → 6. Co-dépendance et interdépendance collective (nos entourages ou groupes nous incitent au ‘’encore’’ ou ‘’toujours plus’’ → 7. Continuum (les effets de notre consommation deviennent permanents) → 8. Compulsion ou craving (envie irrépressible, incontrôlable) → 9. Centration (je ne pense plus qu’à ça, à me procurer le produit, à consommer).
Les étapes 1 à 3 montrent une adaptation normale au nouvel usage, les étapes 4 à 6 un comportement progressivement excessif et les étapes 7 à 9 une conduite addictive.
Une addiction peut être avérée (A. Goodman, 1990) si les 5 critères suivants sont remplis :
A) Incapacité à s’empêcher de réaliser un certain comportement
B) Une sensation accrue de tension juste avant de réaliser le comportement
C) La sensation de plaisir ou de relâchement de la tension dès la réalisation du comportement.
D) La sensation de perdre le contrôle alors que le comportement est en train d’être réalisé.
E) Présence d’au moins 5 des 9 critères suivants :
1) Préoccupation fréquente (au sujet du comportement ou de sa préparation)
2) Intensité et durée des épisodes (plus importantes que souhaitée à l’origine)
3) Tentatives répétées pour réduire, contrôler ou abandonner le comportement
4) Temps important (consacré à préparer les épisodes, les entreprendre, se remettre de leurs effets)
5) Survenue fréquente des épisodes (quand le sujet doit accomplir des obligations)
6) Activités sacrifiées du fait du comportement (sociales, professionnelles ou de loisirs majeures)
7) Perpétuation du comportement (malgré risques connus d’aggravation des problèmes)
8) Tolérance marquée (besoin d’augmenter l’intensité ou la fréquence pour obtenir l’effet désiré)
9) Agitation ou irritabilité (en cas d’impossibilité de s’adonner au comportement).
II – Définition de l’addiction.
L’addiction est une médaille à deux faces, l’une due à un mal-être et l’autre au processus décrit dans la Spirales des 9C avec perte de contrôle. Ces deux faces sont liées mais sont variables selon les individus.
Une définition communément acceptée est une « conduite qui repose sur une envie répétée et irrépressible d’un comportement ou d’un produit, en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour s’y soustraire et de ses conséquences négatives (physiques, psychiques, familiales, professionnelles, sociales…).» (Université Lille Nord de France ; SAMU – CHRU de Lille. 2011).
Pour le psychiatre Claude Olievenstein l’addiction est « la rencontre d’un produit, d’une personnalité et d’un moment socioculturel ». Cette définition invite à une stratégie de Développements ou 3D :
– Développement personnel et motivationnel
– Développement fonctionnel et temporel
– Développement relationnel et socio-émotionnel.
Appliquer les 3D est déterminant pour comprendre et résoudre l’addiction.
III – La stratégie 3D de Thierry-Léandre Le Fur
La stratégie proposée intitulée Digital Detox 3D repose sur deux principes :
– Les 3D Développements
Ils s’appuient sur la définition précitée d’une addiction « rencontre d’un produit, d’une personnalité et d’un moment socioculturel », invitant à une stratégie de Développements ou 3D :
1) Développement personnel (la personne, personnalité), motivationnel compris
Cela concerne toute activité bien-être (méditation, jeux, lecture…), physique (natation, ping-pong…), renforcement mental (ex. motivation), alimentaire, santé, etc.
2) Développement fonctionnel (maîtrise du produit) et temporel (ex. durées des pratiques)
Cela concerne la maîtrise des fonctions par exemple d’un portable (filtrer les notifications, utiliser les fonction équilibre digital) et selon les fonctions d’un produit (stimuler, apaiser) trouver des substituts.
3) Développement relationnel et socio-émotionnel (intégration dans notre environnement)
Cela concerne en famille, dans des groupes ou en équipe : savoir parler en public, savoir dire non ou oser dire je veux, faire preuve d’écoute et d’empathie, apprendre à réseauter pas qu’en numérique. Sortir ensemble (théâtre, soirées, dîner, pique-nique) et vie associative (vivre le CDI !) sont excellents.
– Nos besoins de « bleu » et de « rouge »
Nous avons vu ensemble le principe de la « balançoire de la vie ». Elle montrait que notre vie est faite d’alternance de moments bleus (s’apaiser, se rassurer, se réconforter, se ‘’cocooner’’, se détendre) et rouges (se mettre en action, se stimuler, se défouler, s’offrir des plaisirs intense) : de l’équilibre vivant de ces moments dépend notre qualité de vie, vitalité et santé comprises.
Les neurosciences nous indiquent les fonctions de la centaine de neuromédiateurs et hormones. La sérotonine, la mélanine et l’endorphine participent à nourrir nos besoins « bleus » (apaisants). L’adrénaline, la noradrénaline ou le cortisol participent à nourrir à nos besoins rouges (stimulants)… à conditions de ne pas en abuser. Certains sont indispensables à notre bien-être… voire bonheur telle l’ocytocine (ex. favorise le lien social et l’attachement, réduit le stress).
Ainsi devons-nous nourrir chacun de nos 3 types de développement de façon à équilibrer notre vie : si nous sommes hyperconnectés ou addicts au numérique, nous sommes trop dans le rouge et devons rechercher les activité bleues (ou des rouges non numériques comme substitutions).
Notons que de la pratique d’une activité dépend de son appartenance au champ « bleu » ou « rouge ». Le jardinage apaise… ou défoule si on abat un arbre. Courir moins d’une demi-heure rapidement offre du rouge, bien plus libère des endorphines apaisantes.
IV – Enjeux : de la dépendance à l’isolement et réciproquement.
Chaque type d’addiction a ses enjeux. Le tabac tue plus de 70 000 personnes par an, l’alcool 45 000 sans compter les risques comportementaux (agressivité, accidents).
Pour le numérique en santé physique l’attractivité digitale et la lumière bleue des écrans réduisent la durée de sommeil. Le manque de sommeil triple des maladies cardiovasculaires, le surpoids, le diabète et trois types de cancers (sein, colon, prostate). Dormant moins ou moins en forme (fatigue, surpoids) et accros aux écrans devant lesquels on ne bouge plus, la sédentarité triple les mêmes maladies : « Le smartphone tue » indique le Dr Guillodo médecin référent équipe française Paris 2024.
Parmi les risques psychosociaux, celui de l’isolement devient un problème majeur : l’hyperconnectivité qui remplace les relations en vrai conjuguée aux périodes Covid avec les confinements, un climat global incertain stressant (crises économiques, sociales et internationales) générant des relations de plus en plus clivantes parfois au sein d’une même famille contribuent à s’isoler de plus en plus. Et plus on s’isole… plus on s’isole.
Ainsi les 3 Développements doivent être pris dans leur globalité : on peut mettre l’accent sur le développement relationnel, mais si fatigué et moins en forme ou plus irritable avec perte de confiance en nous-même, pour aller vers l’autre il faut aller mieux. Ainsi le développement personnel et motivationnel doit s’effectuer simultanément.
Ne tardons pas car l’isolement contribue à son tour à une addiction renforcée, c’est un cercle vicieux. Nos problématiques sont la majeure partie du temps liées à des excès qui nous envahissent au détriment du reste mais sur lequel nous gardon un vrai pouvoir.
N’hésitons pas à nous faire aider car nous sommes si nombreux à être confrontés à un risque addictif, ne serait-ce que parce que « la vie n’est pas un long fleuve tranquille ». Entourages, aidants, coach, psychopraticiens ou médecins, groupes de parole, ateliers ou cures, les solutions sont beaucoup plus douces et agréables qu’on ne le croit, sont multiples et s’adaptent au cas par cas.
CONCLUSION
L’addiction peut concerner des substances mais aussi certains comportements. Ainsi, dans notre monde hyperconnecté, il est fréquent que certaines personnes tombent dans la dépendance aux écrans, internet ou au smartphone, spécifiquement à l’addiction aux jeux multi-joueurs, aux paris en ligne, aux réseaux sociaux, à la cyberpornographie voire à l’infolisme ou infobésité (quête inextinguible de tout savoir et tout contrôler, d’avoir peur de manquer une information).
Quelle que soit l’addiction, les mécanismes de notre cerveau dont le système dopaminergique sont les mêmes. Le processus de l’addiction est similaire, simplement plus ou moins rapide selon le produit ou l’activité. L’addiction nous concerne toujours de façon biopsychosociale donc les stratégies pour y échapper sont similaires. A nous d’apprendre ce que nous avons à faire et passer à l’acte.
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