Thème : MEDECINE-SCIENCES NATURELLES Mardi 13 mars 2012
D’où viennent les maladies émergentes?
Par François Rodhain, Professeur honoraire à l’institut Pasteur
Malgré tous nos efforts les maladies infectieuses sont loin d’être jugulées. Non seulement elles reviennent en force, mais de nouvelles maladies apparaissent comme si elles voulaient se venger des attaques qu’on leur a fait subir. Ne nous faisons pas d’illusion : on ne va pas réussir à éliminer ces agents infectieux plus vieux que les hommes et qui ont de ce fait bien plus d’expérience de la vie que nous. Il faut donc apprendre à les observer du mieux que l’on peut…
Qu’est-ce qu’une maladie émergente ?
C’est l’idée de l’arrivée d’une situation nouvelle. Cela peut-être une maladie due à un agent inconnu, une maladie connue apparaissant dans une région qui n’avait jamais été touchée par elle jusqu’alors ou encore une maladie connue présentant de nouvelles caractéristiques cliniques ou épidémiologiques.
Ex : la dengue, une maladie transmise par les moustiques qui concernait à l’origine les singes, qui est passée à l’homme et qui a évolué des zones rurales jusqu’à devenir endémique dans les villes avant d’émerger dans tous les pays tropicaux et de devenir ainsi cosmo tropicale, tout en acquérant une évolution plus sévère.
Les maladies émergentes sont elles devenues plus fréquentes et plus graves ?
Les épidémies ont toujours marqué les histoires des hommes. Les techniques de détection et de communication actuelles font qu’on a connaissance d’une nouvelle épidémie beaucoup plus vite mais cela ne veut pas dire que nous la soignons mieux et plus rapidement car elles sont de plus en plus fréquentes. Elles sont plus graves également quand au nombre de personnes touchées car la densité de population est elle-même en augmentation constante. De plus, on se heurte souvent à de réelles difficultés de traitement avec par exemple l’existence de germes résistants aux antibiotiques.
Les maladies émergentes entraînent-elles des conséquences économiques ?
Oui, bien sûr car les mesures de santé ont de nos jours un coût de plus en plus élevé. Quelquefois les maladies émergentes ont pu être de véritables entraves au commerce international, avec des crises sanitaires nationales et internationales (la grippe aviaire et la fièvre aphteuse).
Les maladies émergentes sont-elles plus fréquentes sous les tropiques ?
Oui car la biodiversité y est plus riche. De plus, les conditions sanitaires sont plus propices à la dissémination des germes et leur détection est moins rapide.
Quels sont les mécanismes des émergences ?
Il faut discerner 3 étapes dans le mécanisme d’émergence :
1- L’émergence potentielle : apparition d’un événement initial qui peut être par exemple l’apparition d’un variant d’un agent infectieux connu qui passe sur un nouvel hôte
2- La réussite émergentielle : se produit dans le cas où les conditions locales permettent l’amplification et la circulation de l’agent infectieux. Ces conditions locales résultent en général d’une modification écologique secondaire aux activités humaines. Un foyer de transmission se crée et représente une menace infectieuse. Si l’on fait une détection précoce et une intervention rapide on peut contenir l’émergence dans le foyer en question.
3- La dissémination : c’est l’expansion de la maladie sur une grande surface. Avec le développement des échanges internationaux la menace s’élargit et peut passer très vite d’une dissémination régionale à une dissémination internationale à cause majoritairement des transports des hommes et des animaux. A ce stade, il est très difficile d’enrayer la maladie.
Quel est le rôle de l’homme ?
L’homme a décidé de prendre en charge l’organisation et le fonctionnement de la nature. En sédentarisant ses populations, en domestiquant les plantes, les animaux, il a commencé à accroître sa population.
Nous étions 1 milliard en 1800, nous augmentons notre population de 232000 humains par jour, à ce rythme-là nous devrions être 9 milliards en 2050. Notons que notre population vieillissante est à l’origine d’une baisse de notre immunité.
Cette poussée démographique, alliée aux progrès technologiques a entraîné des altérations des milieux naturels, une urbanisation, un développement des transports et des échanges commerciaux, une mondialisation. Mais quelles sont les conséquences de nos activités humaines ?
Tout d’abord identifions les conséquences écologiques de nos activités humaines sur l’émergence des maladies
Nous avons modifié la flore, la faune, nous avons diminué la biodiversité et on est probablement en train de modifier le climat. Toutes ces actions d’altération des milieux naturels, comme l ‘assèchement des zones humides, la fragmentation des écosystèmes ou la déforestation entraînent des modifications de la répartition et de la densité des animaux qui sont des réservoirs d’agents infectieux. Tout cela crée de nouveaux contacts écologiques qui conduisent l’homme à s’introduire dans des cycles qui ne concernaient autrefois que des maladies d’animaux sauvages. Exemple avec la propagation de la maladie de Lyme aux Etats-Unis suite à une installation de l’homme au milieu de la forêt.
-De plus, nous utilisons l’espace différemment aujourd’hui à travers notamment des plantations, des barrages ou des zones d’irrigation.La riziculture, par exemple, est à l’origine de l’émergence d’un certain nombre de maladies comme l’encéphalite japonaise. (A l’origine une maladie d’oiseaux qui vivent dans les milieux aquatiques). L’élevage du porc favorise aussi cette émergence car cet animal est un excellent amplificateur de virus.
-L’élevage industriel est aussi à l’origine de nouvelles maladies dues bien souvent à la forte densité de ces animaux, qui sont souvent des clones sur le plan génétique, et qui ont une alimentation parfois douteuse.
-Le changement climatique qui a une influence sur la répartition géographique des zones d’endémie, sur la saison d’apparition, sur l’intensité de la transmission (elle peut tout aussi bien diminuer car il n’y a pas que des catastrophes)
Maintenant, identifions les conséquences des changements dans nos modes de vie sur l’émergence des maladies
-L’urbanisation pose problème. Dans les pays non développés économiquement, les équipements sont mal conçus, mal réalisés et mal entretenus. Sur le plan sanitaire, ces écosystèmes sont caractérisés par une trop forte densité, une insalubrité, des problèmes d’évacuation des eaux usées, d’hygiène, etc. Bien évidemment ce sont des milieux hautement favorables à l’émergence de maladies. Dans nos pays développés, nous avons aussi nos problèmes avec par exemple la présence de pigeons, de goélands, de rats ou même parfois de renards et de sangliers qui font entrer des agents infectieux dans nos milieux urbains.
-L’accroissement de la mobilité avec l’avion a lui aussi révolutionné l’épidémiologie. Les maladies circulent beaucoup plus vite et partout.
-Nos habitudes alimentaires ont changé (avec des chaînes de froid qui se rompent)
-des technologies médicales avec l’antibiothérapie qui modifie la flore des bactéries ou les insecticides qui changent la faune des insectes.
-L’usage des drogues injectables
–Enfin le bio terrorisme qui est une menace d’émergence de maladie délibérément provoquées
Que pouvons-nous faire pour lutter au mieux contre ces émergences?
Ce n’est ni avec les médicaments, ni avec les vaccins que l’on va pouvoir se tirer d’affaire… Ce ne sera pas suffisant…
-Il faut avant tout se préparer à ce qui est prévisible pour prévenir les risques infectieux. Mais il faut aussi se préparer à l’imprévisible. On se doute que cela va arriver mais on ne sait pas quand. La situation est comparable aux tremblements de terre (en Californie tout le monde sait que la terre va trembler mais personne ne sait quand) ;
Il faut avertir les gens, les éduquer sur les attitudes à adopter en cas de problème.
-Développer une veille sanitaire efficace avec une surveillance permanente des agents infectieux qui circulent qui permettraient de détecter tout phénomène inhabituel. Hélas, bien souvent les diagnostics sont trop tardifs.
-Mettre au point des interventions spécifiques, dirigées vers telle ou telle maladie en mettant en place des plans d’action pré-établis (stock et matériel suffisants) afin de réagir très vite une fois l’alarme déclenchée.
– il faut augmenter notre effort de recherche pour accroître l’efficacité des armes existantes et pour créer de nouvelles armes (par ex : des techniques de diagnostics rapides).
– il faut aussi former des spécialistes qui connaissent le terrain.
En conclusion, on a affaire à des systèmes biologiques extrêmement complexes qui demandent des approches de naturalistes malheureusement de moins en moins présents sur le terrain. La volonté politique d’investir dans les moyens de lutte contre ces émergences est faible alors que dans ce domaine on sait à quel point la prévention est indispensable pour enrayer rapidement les épidémies et à quel point il faut développer notre effort de recherche. Si l’on s’interroge sur l’origine des maladies émergentes, on peut raisonnablement répondre : du monde animal, mais si l’on réfléchit bien on peut aussi ajouter : de l’imprévoyance de l’homme…
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