Grippe aviaire et pandémie grippale, danger réel ou intox ?

Thèmes: Médecine, Sciences                                                                                                                   Conférence du Mardi 20 janvier 2009

Grippe aviaire et pandémie grippale, danger réel ou intox ?

Par Claude Hannoun, professeur honoraire à l’Institut Pasteur

L’une des premières caractéristiques de la grippe est d’être extrêmement contagieuse. La transmission de ce virus se fait par voie aérienne, qui est la plus efficace. Quand un malade éternue, il émet des particules contenant le virus présent dans sa gorge. Ces petites poussières sont ensuite inhalées par d’autres personnes, qui tombent à leur tour malade. On a remarqué qu’une seule personne infectée dans un espace confiné – un avion par exemple – suffit pour contaminer des centaines de gens

Le virus de la grippe, isolé en 1933 par des Anglais (qui l’appellent « influenza »), est soixante-dix fois plus petit qu’un globule rouge. Ce virus contient en surface l’haemaglutinine (le fameux H, dont il existe seize formes différentes) et la neuramidase (le N, dont il existe neuf formes). Le virus peut varier de deux façons : le glissement, une variation modérée et saisonnière, ou bien la cassure, qui est l’apparition d’un virus nouveau et qui peut provoquer une pandémie.

La grippe saisonnière

La grippe saisonnière se développe l’hiver, quand les conditions de diffusion sont optimales – le froid conserve le virus et les gens sont davantage confinés les uns avec les autres. Selon que l’épidémie est faible ou beaucoup plus forte, elle tue chaque année entre 200 et 3 000 personnes en France. La grippe affecte surtout les gens vulnérables comme les personnes âgées. Une épidémie saisonnière dure environ six semaines, avec un pic vers la troisième semaine. Pour surveiller la diffusion de la maladie, la France s’est dotée de groupes régionaux d’observation de la grippe (GROG) constitués de médecins qui font remonter les informations. La surveillance se fait également par le biais de la délivrance des médicaments prescrits en cas de grippe, des arrêts maladies et des visites de SOS Médecins.

D’avril à octobre, le virus se trouve dans l’hémisphère sud, où c’est l’hiver austral. Dans les pays intertropicaux, il est en revanche présent tout au long de l’année. Entre novembre et mars, les échanges se font entre l’hémisphère nord et les tropiques grâce aux voyageurs ; entre avril et octobre, les échanges se font entre les tropiques et l’hémisphère sud. Le virus est toujours actif quelque part.

Celui qui touche la France cet hiver est une variation de celui de l’année précédente, qui a été modifié au cours de son périple dans l’hémisphère sud. Pour fabriquer le virus contre la grippe, on se base sur celui de l’année précédente. D’ici le mois de février, nous commencerons à préparer  les vaccins pour l’hiver prochain – il faut six mois pour fabriquer un vaccin. Mais la problématique en cas de cassure est toute différente, car l’apparition d’un virus totalement nouveau provoque souvent de graves pandémies.

Trois pandémies de grippe par siècle

On constate qu’il y a en moyenne trois pandémies par siècle. Il faut donc s’attendre à être touchés au cours des années à venir. Certaines ont des effets limités, d’autres sont catastrophiques. Lors de la première vague d’une pandémie (avant qu’on puisse produire un vaccin), le taux de morbidité de virus peut atteindre 30 à 40% d’une population. En 1918, le virus H1N1 dit de la « grippe espagnole » (alors que son origine était asiatique) a fait, en quelques mois, de 20 à 40 millions de morts dans le monde, soit au minimum deux fois plus que la Première Guerre Mondiale (10 millions de morts). En 1957, la grippe asiatique H2N2 (qui a totalement remplacé les souches H1N1 issues de 1918) a, en six semaines, atteint toute la Chine, et, en six mois, le monde entier, faisant deux millions de morts. Les liaisons aériennes  n’étaient pourtant pas aussi développées qu’aujourd’hui ! En 1968, la grippe « de Hong Kong » (H3N2) a fait 1 million de morts dans le monde. Sa diffusion a d’abord été très rapide puis stoppée par l’arrivée de l’été. Après dix-huit mois de « préavis », la France a été touchée début 1970 et 40 000 personnes sont mortes en deux mois (dont 25 000 de complications). En 1977, le virus H1N1 a réapparu en Chine et Russie, mais cette fois la pandémie a raté.

L’homme n’est porteur que de trois formes d’haemaglutinine (H) et de deux formes de neuramidase (N) alors qu’il existe des réserves de virus chez les animaux. Tous les sous-types – les 16 HA et les 9 NA – sont présents chez oiseaux, qui peuvent être porteurs sains. La grippe aviaire se transmet des oiseaux sauvages aux oiseaux domestiques (poules, dindes…) qui peuvent ensuite diffuser la maladie aux autres animaux de la ferme, le cochon notamment, et aux hommes qui sont en contact avec. Depuis 1997, le virus H5N1 a circulé dans plus de soixante pays, essentiellement en Asie, provoquant la mort de plus de 300 millions de volatiles, dont beaucoup ont été abattus. Dans le même temps, on a assisté à 393 contaminations humaines par ce virus, responsable de 248 décès. Ces personnes étaient en contact fréquent avec des volailles, notamment beaucoup d’enfants qui les plumaient.

Si ce virus réussit à se transmettre directement d’homme à homme, on peut alors assister à une pandémie. Mais la transmission interhumaine est conditionnée par la mutation ou le réassortiment du virus. Il faudrait que, d’une façon ou d’une autre, le virus réussisse à reconnaître les récepteurs humains (qui ne sont pas identiques à ceux des animaux) ou qu’on assiste à une mutation de ces récepteurs cellulaires chez l’hôte (suite à une autre maladie, par exemple). Le récepteur 2.6 qui permet la transmission chez les oiseaux existe pourtant aussi chez l’homme, mais au fond des poumons. La contamination est beaucoup difficile que par simple voie aérienne mais pas pour autant impossible, comme on l’a vu avec les trois cas de transmission interhumaine en Turquie.

Les stratégies pandémiques

En 2005, l’OMS a défini plusieurs phases pandémiques. Nous en sommes à la phase 3 : risque faible, pas ou peu de contamination d’homme à homme. La phase 4 est l’existence d’un foyer sans risque pandémique substantiel. La phase 5 est le début de la pandémie. La phase 6 est déclenchée lorsque les vagues épidémiques frappent partout dans le monde. A chaque phase, la stratégie pandémique prévoit la mise en place de nouvelles mesures : surveillance renforcée, interventions non médicales, stratégies d’utilisation des vaccins et des antiviraux, information et communication… En France, la lutte contre la grippe aviaire dépend d’une délégation interministérielle placée directement sous l’autorité du Premier ministre. Les interventions non médicales peuvent être de différents types : mesures d’hygiène élémentaires (lavage des mains…), surveillance aux aéroports, interdiction de se rendre dans les régions infectées, restrictions locales des mouvements de personnes, restriction de mouvements publics (écoles, colloques, conférences du CDI…), mises en quarantaine des cas identifiés et mesures d’isolement, prise en charge des conséquences sociales…

La lutte contre la pandémie prend aussi des formes médicales, sous la forme de vaccins et d’antiviraux. Pour qu’un vaccin soit efficace, il faut qu’il soit injecté de façon préventive et qu’il soit adapté à la situation épidémiologique. Or dans le cas d’un virus nouveau, on risque de se tromper. L’intérêt d’un vaccin pré pandémique, constitué de souches du virus H5N1 existantes mais qui peuvent ne pas être tout à fait celle du virus humain, est toutefois d’augmenter ses chances de protection. Il ne sera peut-être efficace qu’à 50%, contre 80% dans le cas d’un vaccin classique, mais ce sera toujours mieux que rien. Il y aurait alors trois façons de faire : soit on injecte le vaccin et son rappel avant le début de la pandémie, soit on fait une première injection puis on attend le début de la pandémie pour savoir si c’est le bon vaccin pour faire la deuxième injection, ou encore on injecte le vaccin pré pandémique puis on injecte le véritable virus pandémique qui ne sera disponible qu’environ six mois après le début de la pandémie. Pour intéressantes qu’elles soient, ces dispositions posent un problème de communication – expliquer à la population qu’on injecte un vaccin hypothétique – et un problème de financement – payer ces 50 millions de doses qui peuvent être inefficaces.

Contrairement aux vaccins, qui sont préventifs, il existe aussi  la solution des antiviraux, qui sont curatifs. Dans le cas du H5N1, on a beaucoup parle du Tamiflu. Pour que ce médicament soit efficace, il doit être administré dès les premières heures de la maladie. Après quarante-huit heures, il est inopérant. Or cela nécessite un diagnostic spécifique de la part du médecin, et nous ne savons pas – et pour cause – si le virus peut développer des mécanismes de résistance à ce médicament. Malgré ces inconnus, les gouvernements ont financé la production et le stockage stratégique de cet antiviral. En cas de déclenchement d’une pandémie, le traitement précoce par les antiviraux pourrait ralentir la diffusion de virus et permettrait de se donner du temps pour fabriquer un vaccin.

Le danger existe. Mais il n’existe aucun moyen de savoir quand il frappera ni avec quelle force. Sans verser dans le catastrophisme, il faut donc s’y préparer, médecins, gouvernements et grand public réunis.

 

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