Thème: Médecine – Sciences Naturelles mardi 13 mai 2014
Quels aliments pour bien penser ?
par Jean-Marie Bourre, membre de l’Académie de Médecine
Docteur en médecine, Docteur es-sciences, Jean-Marie Bourre a dirigé une unité de recherches à l’Inserm spécialisée dans la chimie du cerveau et ses rapports à la nutrition. Il a été l’un des premiers à découvrir et à défendre les effets bénéfiques des oméga 3 sur le cerveau, à une époque où la plupart des scientifiques s’accordaient à bannir les corps gras de notre alimentation.
Auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels « La chrono-diététique », publié en 2013, le diététicien nous dévoile les véritables besoins du corps et nous explique comment l’alimentation influence la structure, la construction et l’efficacité du cerveau. A l’heure des repas dénaturés par les injonctions nutritionnelles, les régimes et le comptage des calories, la chrono-alimentation porte un nouveau regard sur les liens qui unissent notre cerveau à notre assiette.
Bien s ‘alimenter en respectant les rythmes
Manger de tout pour ne manquer de rien : l’idée semble simple. Mais en quelle quantité, à quel moment, à quelle vitesse, selon quels rythmes ? Quelles sont les associations d’aliments qui renforcent les perceptions et les performances de notre cerveau ?
Dans les aliments il convient de distinguer 40 nutriments obligatoires et indispensables à l’être humain, à savoir 13 vitamines, 15 minéraux et oligoéléments, 4 acides gras poli-insaturés – dont les oméga 3 -, et 8 acides aminés. Aucun aliment, en dehors du lait maternel, ne contient à lui seul tous ces nutriments essentiels. Ils ne peuvent pas être synthétisés par l’organisme et doivent dont être impérativement apportés journellement par l’alimentation. La carence de l’un d’entre eux, et à fortiori plusieurs, empêche l’organisme d’utiliser les autres éléments protéiques qui auraient dû lui être associés entraînant, par la même, des déséquilibres et des désordres biologiques générateurs de plusieurs pathologies. Il convient donc de ne négliger aucune de ces classes d’alimentation.
JM Bourre a initié ses recherches sur les bienfaits des oméga 3 à une époque où il était de circonstance de chasser et de bannir à outrance le gras et le cholestérol, s’attirant ainsi les foudres de ses homologues du corps médical, et notamment les psychiatres. Pour ces derniers, il est alors impensable de croire que des aliments – gras de surcroît – peuvent avoir une influence sur le cerveau.
Le cerveau est l’organe le plus gras du corps humain, juste après le tissu adipeux . Par conséquent, ces graisses doivent être bien organisées afin de permettre un bon fonctionnement du cerveau. L’obésité, contrairement à l’opinion reçue, ne provient pas du changement de notre patrimoine génétique mais d’une inadaptation de l’alimentation ; en effet,on peut prendre du poids avec un régime hypocalorique.
Un aliment complet sur le plan nutritionnel est un aliment qui apporterait la quarantaine de substances indispensables, en bonne quantité, qualité, diversité et proportion. A ne pas confondre avec un aliment complet sur le plan alimentaire, c’est à dire un aliment qui va conserver l’ensemble des nutriments présents à l’état natif sous forme de graines (le pain complet par exemple).
Le lait maternel, seul aliment complet
La spécificité humaine réside dans l’acquisition des apprentissages. L’enfant va devoir apprendre à se tenir debout, à marcher, à manger, à lire et à écrire. Des apprentissages rendus possibles grâce à l’organisation de circuits de neurones dans son cerveau. Totalement désordonnés à la naissance, les mouvements du nourrisson vont peu à peu se coordonner et s’organiser.
Le lait maternel, seul aliment complet, contribue largement au bon développement du cerveau. Il fournit la quantité de vitamines et minéraux nécessaires au jeune enfant durant les six premiers mois de sa vie, et procure également tous les types de gras dont il a besoin : acides gras oméga 3 et autres acides gras essentiels qui contribuent au développement du cerveau et de sa vision. Au delà des six premiers mois, l’alimentation doit être diversifiée et complétée.
Les recherches d’Hubel et Wiesel ont considérablement enrichi, dans les années 60, la connaissance scientifique du processus sensoriel en se livrant à des expériences sur les effets de la privation visuelle durant la période critique du développement de la vision. Les chercheurs ont montré que si un chaton est privé d’expérience visuelle normale pendant une période critique au début de sa vie, la câblage des neurones de son cortex visuel en est irréversiblement altéré. Privé de stimulations, le chaton devient aveugle. Les influences environnementales précoces se traduisent par une modification définitive des connexions nerveuses dans certaines régions du cerveau.
Ces travaux ont permis d’étendre les recherches sur les pathologies humaines, notamment dans le domaine du strabisme chez l’enfant.
La vision, l’odorat, l’ouïe, relèvent du domaine de l’acquis, tandis que le goût -saveurs du sucré, salé, amer, acide-, se réfère à celui de l’inné. L’attirance spontanée pour le sucré se manifeste dès la naissance, voire même avant, in utéro. Les autres perceptions du goût sont acquises à travers une bonne éducation nutritionnelle qui passe par une consommation diversifiée des aliments ; à défaut, l’analphabétisme alimentaire conduit inévitablement à des déficits et troubles nutritionnels, parmi lesquels l’obésité y trouve son origine.
Le gras, exhausteur de goût
Les aliments contenant des lipides ont plus de goût, nous avons une tendance naturelle à en consommer plus car ils procurent davantage de plaisir. Notre instinct primaire nous pousserait à manger plus de nourritures grasses que notre besoin quotidien de base.
Il semblerait que les papilles gustatives de la langue détectent le gras comme une saveur, au même titre que le sucré ou l’amer. Cette détection du gras peut avoir des conséquences sur les comportements alimentaires, notamment sur la préférence pour les lipides, et donc le risque de sur poids. Cette hypothèse a été vérifiée dans une expérience mettant en scène des hommes et des femmes à qui l’on propose de goûter des aliments les yeux bandés. Il s’avère que plus l’aliment est gras, plus la sensation de plaisir est grande. Une fois le bandeau retiré, la tendance s’inverse car le vue d’aliments trop gras renvoie au cerveau des signaux négatifs.
Bonnes graisses, mauvaises graisses, quels sont alors les bons lipides ?
Les oméga 3, acides gras essentiels
Les acides gras oméga 3 sont des acides gras poli-insaturés que l’on trouve en grandes quantités dans certains poissons gras (origine animale), dans les graines de chia, le lin, le colza, la noix (origine végétale). On commence à les étudier dans les années 70, époque où ils étaient appelés provisoirement « vitamine F ». Acides gras essentiels, ils jouent un rôle majeur sur la santé. Protection du système cardiovasculaire, anti-inflammatoire général, mais aussi préventifs des cancers et de l’immunité dans son ensemble, les oméga 3 sont indispensables au bon fonctionnement du métabolisme. Le problème est que nous en sommes très souvent carencés car notre organisme n’est pas capable d’en fabriquer ; il faut donc trouver des sources d’oméga 3 dans les aliments ou les compléments alimentaires.
Consommer du poisson deux fois par semaine – dont au moins une fois du poisson gras -, diminue par 5 le risque cardiovasculaire, par 2 les risques d’infarctus, retarde de plusieurs années les signes de la maladie d’Alzheimer, combat le mauvais cholestérol et régule l’hypertension. Les poissons ne fabriquent pas eux-mêmes les acides gras, seules les micro algues sont capables de les synthétiser ; ainsi les poissons les assimilent à partir de leur nourriture, ce qui explique pourquoi les poissons d’élevage ne contiennent pas d’oméga 3.
Les oméga 3 ont également un effet reconnu sur le système nerveux, participent au bon développement du cerveau chez l’enfant, préviennent la dépression (notamment post-partum), favorisent la concentration, la mémoire et stimulent la libido.
Ces lipides contribuent à la construction du cerveau et facilitent les apprentissages. Chez les Esquimaux, le risque d’infarctus est divisé par 10 compte tenu de leur grande consommation d’acides gras poli-insaturés. En situation de déficit, l’augmentation journalière d’une portion de 20 grammes de poisson entraîne une baisse de 7% du risque de mortalité cardiovasculaire.
Le régime Crétois, ou régime méditerranéen est le reflet du mode de vie des habitants du bassin méditerranéen, la Grèce, la Crète, l’Italie ; pays qui utilisent de l’huile d’olive dans leur alimentation, mais aussi du poisson, des œufs, très riches en protéines (aliment à très forte valeur nutritionnelle lorsqu’il est consommé cuit). Ce régime est associé à la « bonne santé » et à la longévité et repose sur une alimentation équilibrée et saine, riche en fruits, légumes frais et céréales. Il permet de prévenir les maladies cardiovasculaires et garantie une meilleure qualité de vie. L’huile d’olive, qui contient des acides gras mono-insaturés, améliore le taux du bon cholestérol et permet la consommation de bons lipides. Mentionnons que les Crétois – qui affichent toujours le taux le plus bas de décès cardiovasculaires au monde – mangent encore aujourd’hui de façon traditionnelle, consommant très peu d’aliments importés ou transformés.
Les effets d’une carence en oméga 3 sont visibles, en particulier sur la vision et sur les comportements dépressifs ; ses symptômes sont la fatigue, une mémoire déficiente, des problèmes cardiaques, des sautes d’humeur et une mauvaise circulation sanguine.
Qui dort ne dîne pas
La chrono-nutrition suggère de se nourrir en respectant les rythmes biologiques en ne négligeant aucun repas. Par ailleurs, il convient de bien mastiquer les aliments, cela permet au cerveau d’être informé que l’organisme se nourrit et donc de créer le signal de la satiété. Concernant les horaires des repas, il est recommandé de prendre le petit déjeuner une demi-heure après le réveil, le déjeuner idéalement vers 13h, le dîner environ une heure et demie avant le coucher. Il ne faut pas trop alléger le dîner car l’organisme doit affronter ensuite le jeûne de la nuit. Le cerveau, même durant le sommeil, exige en effet beaucoup d’énergie (+ 30% d’énergie lors d’un rêve et + 50% pendant un cauchemar). Les légumes gagnent à être dégustés avant les fruits au cours du repas car, dans ce cas, l’efficacité de leurs fibres en est meilleure.
En raison de la vascularisation importante du cerveau, il est nécessaire de lui fournir l’énergie dont il a besoin pour fonctionner. Le glucose tient un rôle majeur ; les sucres lents permet d’alimenter le cerveau tout au long de la journée, à la différence des sucres rapides qui sont absorbés rapidement et stockés sous forme de graisses.
En l’absence de glucose, le cerveau fonctionne moins bien (l’expression « coups de pompe » en est l’illustration), les performances scolaires chez l’enfant sont réduites, la mémoire visuelle, ainsi que l’attention, diminuées.
Le cerveau a besoin d’énergie, mais il a aussi besoin d’oxygène. Le fer est important car il permet aux globules rouges de transporter l’oxygène dans l’ensemble de l’organisme. En effet, l’hémoglobine, composante des globules rouges, est elle-même constituée de molécules de fer qui fixent l’oxygène. Quand on manque de fer, l’organisme est donc moins bien oxygéné. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, près de 25% de la population serait carencée. Les femmes sont plus concernées en raison des menstruations qui représentent, à chaque cycle, une perte sanguine et donc une perte de globules rouges. La solution ? Manger plus d’aliments riches en fer. On le trouve dans les viandes rouges mais aussi les abats, le boudin noir et le foie, les légumes et fruits secs, les lentilles ou encore le poisson et les crustacés. Contrairement à l’idée reçue, les épinards ne contiennent que très peu de fer.
Le fer, d’origine végétale, est absorbé à 2% par l’organisme, et à 30% lorsqu’il est d’origine animale.
Une étude portant sur les ramasseuses de feuilles de thé au Sri Lanka montre que la quantité de fer dans leur sang est proportionnelle à leurs performances et donc à leurs salaires.
Les propriétés du fer sont nombreuses : il aide à stimuler l’immunité, à réduire la fatigue, contribue à la concentration intellectuelle et apporte dynamisme, tonus et vitalité.
13 vitamines et 15 oligoéléments
Les vitamines, comme les oligoéléments, sont indispensables au fonctionnement de l’organisme, incapable de les produire (à l’exception de la vitamine D). Treize vitamines et quinze oligoéléments ont été identifiés à ce jour et sont considérés comme essentiels pour une bonne santé.
Le crétinisme est une pathologie qui résulte d’un déficit en iode et se traduit par un mauvais fonctionnement, aussi bien physique que psychique. Des études chinoises ont démontré l’augmentation des performances scolaires chez les enfants supplantés en iode, essentiellement chez ceux vivant dans les régions montagneuses, et donc loin de la mer.
Adopter de bonnes habitudes alimentaires a pour but de garantir le bon fonctionnement de l’organisme et de maintenir un poids normal et stable. Les repas doivent être variés et toutes les catégories d’aliments représentées.
Bien manger pour bien penser ? Dotez-vous d’une alimentation saine et variée garantissant vigilance, énergie, épanouissement, mémoire…et plaisir !
EN SAVOIR PLUS…
Coté livre :
Comment bien manger pour bien penser ? Ce livre célèbre les bonheurs d’un cerveau gourmand, d’un cerveau gastronome. Il nous entraîne dans une passionnante exploration de la chimie qui relie notre assiette à notre cerveau. Voici le guide qui permettra de vous doter d’une alimentation assurant vigilance, énergie, épanouissement, mémoire !
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Manger de tout pour ne manquer de rien : l’idée semble simple. Mais en quelle quantité, quand et à quelle vitesse ? Pour en finir avec la malbouffe, les régimes qui agressent notre corps ou le comptage simpliste des calories, voilà ce que vous explique le Dr Jean-Marie Bourre. Vous découvrirez quels sont les véritables besoins de votre corps et comment ne pas mettre à mal ses rythmes ; quels aliments consommer à quels moments et selon quelles combinaisons en fonction de votre âge, de votre sexe, de votre activité ; comment éviter qu’à tel moment tel aliment favorise le surpoids et, bien sûr, comment retirer le plus de plaisir au meilleur compte pour votre santé ! La bible indispensable pour avoir une alimentation vraiment naturelle et adaptée à chacun.