Thème :MEDECINE ET SCIENCES NATURELLES Mardi 6 Décembre 2005
Par Patrice Courvalin – Professeur à l’Institut Pasteur – Directeur de l’Unité des Agents Antibactériens
Qu’est-ce qu’un antibiotique ? C’est une molécule capable d’inhiber à faible concentration la croissance bactérienne et pas (ou peu) toxique pour les cellules de l’hôte de cette concentration. N’oublions pas que la grande majorité des bactéries sont bonnes pour notre corps, sans elles pas de digestion possible. Notre tube digestif compte 1014 bactéries, soit dix plus qu’il y a de cellules dans notre corps (1013). Pour se reproduire, la bactérie va grandir, se décupler et donner deux cellules filles. La progression est exponentielle. A chaque génération, le nombre de bactéries double. Dans des conditions optimales, il ne faut que trente minutes pour passer d’une génération à une autre.
L’activité des antibiotiques
Il existe deux générations et demi d’antibiotiques : les naturels, les synthétiques et les hémisynthétiques (ou semi-synthétiques).
Les différents types d’antibiotiques ont des modes d’actions particuliers. Les bétalactamines (ex : pénicilline) agissent au niveau de la paroi de la bactérie, qui va exploser, et tuer la cellule. D’autres antibiotiques, comme les quinolones, agissent au niveau de la structure ADN de la bactérie et empêchent la transcription. Les macrolides inhibent la synthèse des protéines en se fixant au niveau du ribosome…
Pour connaître le niveau d’activité des antibiotiques, on étudie la concentration minimale inhibitrice (CMI) qui agit sur la bactérie. Grâce à l’antibiogramme, on détermine le spectre d’activité d’un antibiotique afin de savoir sur quel type de bactérie il est actif. Quand la souche bactérienne est résistante, le risque d’échec thérapeutique est élevé. S’il s’agit d’une souche intermédiaire, la guérison du malade est possible dans certains cas. Tout dépend où se loge la bactérie. Quand la souche est sensible, il existe une bonne chance de guérison grâce à cet antibiotique. Avant toute commercialisation d’un antibiotique, on détermine sa pharmacocynétique dans l’organisme, on cherche à savoir combien sa durée d’action et d’efficacité.
Le mécanisme de résistance des bactéries
Pour agir, l’antibiotique doit se fixer sur sa cible. Les bactéries ont élaboré trois types de mécanismes empêchant les antibiotiques de se fixer :
L’antibiotique ne reconnaît plus sa cible. Les pneumocoque résistent en mutant et en empêchant l’antibiotique de « casser » la membrane externe.
Dégradation de l’antibiotique par des enzymes. Les bétalactamases sont des enzymes qui dégradent l’antibiotique, donc la pénicilline ne se fixe plus. Pour que l’antibiotique soit à nouveau efficace, il faut anéantir les penicillinases. Ainsi, l’Augmentin est un antibiotique composé de pénicilline et d’un inhibiteur de pénicillinases.
La cellule devient imperméable. L’antibiotique ne peut pénétrer la cellule : soit la souche diminue le diamètre du « canal » où passent les nutriments (et les antibiotiques), soit les protéines réexportent l’antibiotique en dehors de la cellule par des pompes à efflux. On étudie actuellement le moyen d’inhiber ces pompes pour rendre les futurs antibiotiques plus efficaces.
La génétique de la résistance
Pourquoi des bactéries sont-elles devenues multi résistantes à plusieurs familles d’antibiotiques à la fois ? Quand il y a un mélange de bactéries sensibles et de bactéries résistantes, la prise d’un antibiotique favorise les bactéries résistantes car les sensibles ont laissé la place.
La résistance aux antibiotiques, c’est comme la conduite en état d’ivresse : même si on ne boit pas, on peut être tué par quelqu’un qui aura bu. C’est la même chose si vous côtoyez quelqu’un qui s’est mal soigné : vous pouvez, d’emblée, être infecté par une bactérie résistante sans jamais avoir pris d’antibiotique.
On sait qu’une bactérie résistante à un antibiotique peut être sensible à d’autres, qui auront des modes d’action différents. La trithérapie s’est révélée efficace pour de nombreux traitements (ex : Sida) car toutes les bactéries sont attaquées à la fois.
La dissémination de la résistance
Les pays qui consomment le plus d’antibiotiques sont ceux où l’on trouve le plus de bactéries résistantes. La corrélation entre résistance et prescription d’antibiotique est prouvée. La France est la championne d’Europe de la prescription, c’est aussi la championne de la résistance. On en consomme 500 tonnes par an, alors que les antibiotiques sont inefficaces dans 70% des cas (virus…). Aujourd’hui, plus de 60% des pneumocoques sont résistants alors qu’il y a quinze ans 100% étaient sensibles. En revanche, dans les pays nordiques où les antibiotiques sont moins prescrits, le seuil de résistance chute à 3%. Les antibiotiques ont longtemps été utilisés par des éleveurs pour faire grossir leurs bêtes plus vite et réaliser davantage de profits. Mais ces antibiotiques se sont retrouvés dans la nature, dans l’alimentation, et ont contaminé la population. Cette pratique est aujourd’hui interdite.
Il est inéluctable pour un antibiotique de provoquer une sélection de bactéries résistantes, malgré des durées variables. Il faut donc essayer de retarder la dissémination vers la résistance. De fait, plus un antibiotique est actif, nouveau, moins il est prescrit. Son usage est restreint à l’hôpital pour limiter la résistance. Conséquence : il n’est financièrement pas rentable pour un laboratoire pharmaceutique d’investir dans la recherche de nouveaux antibiotiques. Non seulement leur usage est volontairement restreint pour en maintenir l’efficacité, mais le brevet ne dure que dix-huit ans alors qu’il faut déjà dix ans pour mettre un antibiotique sur le marché, ce qui leur laisse peu de temps pour gagner de l’argent avec. En vingt ans, il n’y a eu qu’un seul antibiotique vraiment nouveau.
La résistance est très lentement réversible, ce qui aura un impact sanitaire sur nos petits-enfants et arrières petits-enfants. Certains antibiotiques ne sont plus utilisés depuis cinquante ans mais de nombreuses bactéries leur résistent toujours. Ce phénomène de résistance a de graves conséquences : à l’hôpital, des staphylocoques passent dans les tubes ; en ville, une forme de staphylocoque qui provoque une nécrose accélérée de l’intestin et tue dans la nuit se diffuse peu à peu.
Mais l’espoir demeure. Il existe actuellement des recherches visant à rendre les bactéries non pathogènes pour notre organisme.
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Coté Livres :
Antibiogramme
Patrice Courvalin
Editeur : Eska
ISBN : 2747209075
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