Thème : MEDECINE Mardi 11 Janvier 2011
Par Claude DARRAS, Président Honoraire de la Société Française d’Optique Physiologique, Vice Président du CDI
Le monde de la couleur est celui des paradoxes. Quoique pour chacun d’entre nous la couleur semble une réalité bien concrète, pour le physiologiste elle n’est qu’une sensation et pour le physicien elle n’a pas d’existence réelle !
La couleur bleue n’y échappe pas. Elle présente des aspects contradictoires à plusieurs points de vue. Sur le plan historique, pourquoi cette couleur a-t-elle été pendant des millénaires comme ignorée des populations primitives de pratiquement toutes les régions du globe ? Leurs langages n’avaient pas de mot pour l’exprimer. Ceux qui l’évoquaient, comme les Romains, la considéraient comme une couleur barbare ! Il a fallu le début du Moyen-Age pour que cette couleur commence à faire partie des tonalités en usage, encore qu’on la réservait à des représentations particulières : la Vierge et les rois de France. Actuellement c’est devenu, de beaucoup, la couleur préférée des Européens et des Américains.
L’autre curiosité du bleu est de nature physiologique. Comparées à celles sensibles au rouge et au vert, les performances de nos cellules réceptrices – les cônes S – qui réagissent aux ondes courtes, de moins de 480 nanomètres, c’est-à-dire le bleu et le violet, sont très inférieures dans tous les domaines : ils sont moins perceptifs, moins nombreux, mal répartis et de plus ils sont fragiles.
D’abord, dans la rétine, non seulement les cônes S sont trois fois moins nombreux que leurs collègues L (rouges) et M (verts), mais ils sont totalement absents au centre de la fovea, zone chargée de viser et de voir avec précision ce qu’on regarde. De sorte que le centre de la rétine est dichromique. Ainsi une stimulation bleue qui ne serait reçue que par la fovea, ne serait pas perçue. Cela explique que notre acuité visuelle est de qualité médiocre pour des détails bleus. Elle est d’autant plus imprécise que c’est la fovea qui stimule l’accommodation.
Donc pour le bleu la mise au point est incertaine. De plus, ce qui n’arrange rien, pour cette couleur, les cônes S ont une très mauvaise sensibilité aux contrastes, « cinq fois moins bonne que celle de leurs camarades » dit Yves Le Grand. Autre particularité, les nerfs issus des cônes S n’adressent au cerveau aucune sensation sur la luminance. De sorte qu’un détail fin de couleur bleue est difficile à fixer et à identifier.
Le bleu est une couleur fuyante. Ainsi un objet en bleu parait plus lointain que le même objet peint en rouge ou en vert. C’est ce qu’on appelle la stéréovision chromatique. Notons que la séréocularité est la plus faible pour les stimulis bleus. Une autre infériorité du bleu concerne sa vitesse de transmission au cerveau, plus lente par rapport au vert et au rouge.
Si l’on compare le champ de réceptivité des trois types de cônes, on s’aperçoit que les cônes M et L répondent à une large gamme de longueurs d’ondes qui s’étale sur plus de 200 nm, alors que celle des cônes S ne dépasse pas 100 nm et qu’ils sont totalement indifférents aux radiations de plus de 500 nm. Seule circonstance où les cônes S reprennent l’avantage : à la tombée du jour, la couleur bleue reste visible quand les autres tonalités sont vues grises (phénomène Purkinge).
Enfin ces cônes sont beaucoup plus fragiles que les autres, sensibles aux phototraumatismes provoqués non seulement par les ultra-violets, mais aussi par excès d’exposition à la lumière bleue. On ne dira jamais assez combien les lunettes équipées de verres bleus sont dangereuses, surtout pour les jeunes. Depuis peu les autorités sanitaires mettent en garde sur l’utilisation des lampes LED dans les chambres d’enfants tant elles émettent un excès de lumière bleue toxique pour leurs rétines fragiles. Un séjour en haute montagne, sans protection sérieuse des yeux provoque aussi des troubles, voire des lésions rétiniennes qui se traduisent souvent par une perte de la perception bleue confondue avec le jaune (tritanopie). On sait maintenant que l’abus de lumière bleue entraîne des céphalées qui disparaissent avec le port de lunettes à verres orange ou marron
Certaines maladies affectent la vision du bleu, comme le diabète ou le glaucome ; ce peut être un signe pour leur dépistage. Un effet du vieillissement : la perte progressive de transparence du cristallin affecte d’abord le violet et le bleu qui ne sont plus perçus par les yeux atteints d’un début de cataracte. La vision correcte du bleu revient naturellement après l’opération de la cataracte, mais la rétine reste fragile pour les courtes longueurs d’ondes.
Toutes ces observations nous obligent à constater que les yeux des humains sont vraiment mal organisés pour percevoir la lumière bleue… et pourtant depuis quelques années c’est notre couleur préférée. En fait le bleu est une bonne teinte quand elle est diffuse, utilisée pour le « décor », pour les « fonds » comme le ciel, pour les surfaces qui sont perçues en périphérie visuelle, mais il ne doit pas servir pour des détails, encore moins pour l’écriture (à moins de prendre un encre bleue foncée). Mais surtout n’exposez pas vos yeux à une lumière bleue intense et encore moins si cette teinte est exclusive, comme celle donnée par des lunettes ou des lampes bleues.
… Et malgré tout, cette couleur on l’aime ! Mais c’est subjectif, pas objectif.
En savoir plus …
Coté Livres :
Auteur : Michel Pastoureau
Editeur : SEUIL
http://www.gibertjoseph.com/bleu-histoire-d-une-couleur-56785.html
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Couleur
http://fr.wikipedia.org/wiki/Bleu
http://physique.paris.iufm.fr/lumiere/voir.html
http://www.almanart.com/la-couleur-bleue.html
http://www.color-institute.com/Francais/News/Nouveaufr.html
Le CDI ne peut être tenu responsable des dysfonctionnements des sites visités. Vous pouvez toutefois en aviser le Webmaster pour information et mise à jour