L’ACCUEIL DES PARENTS DANS UN SERVICE DE PEDIATRIE

Thèmes: Médecine, Sciences, Société                                                                                                         Conférence du mardi 24 avril 1990

L’ACCUEIL DES PARENTS DANS UN SERVICE DE PEDIATRIE

© Hôpital d’Enfants Margency – Croix Rouge française

L’Hôpital d’Enfants Margency est un établissement de Santé Privé d’Intérêt Collectif (ESPIC), géré par la Croix-Rouge française, de Soins de Suite et Réadaptation (SSR) de 106 lits accueillant des enfants de quelques semaines à 17 ans.

 

Par Michel Odièvre, professeur de pédiatrie et de génétique médicale à la faculté de médecine, chef de service de pédiatrie de l’hôpital Antoine Béclère

Il est parfois nécessaire d’hospitaliser un enfant. Les conditions de cette hospitalisation, pour l’enfant et ses parents, sont évidemment différentes selon qu’il s’agit d’un évènement imprévu à l’occasion d’une affection aiguë ou au contraire d’une étape au cours d’une maladie chronique, permettant de préparer psychologiquement l’enfant et ses parents pour une date et des examens programmés. Habituellement les parents ont largement confiance dans la compétence des équipes médicales et infirmières ; leurs récriminations concernent plus l’accueil, le séjour et parfois les relations qu’ils ont pu ou n’ont pu établir avec les professionnels de santé. Ils pensent de toute façon que leur présence à l’hôpital peut faciliter le séjour de leur enfant.

La maladie est source d’angoisse pour l’enfant et ses parents, cette dernière s’exprimant parfois par un certain degré d’agressivité. La maladie, surtout si elle est grave, est un révélateur de l’équilibre familial, de la solidité du couple parental, de la qualité des liens entre l’enfant et ses parents. L’hospitalisation elle-même est souvent vécue comme une agression. Soulignons par ailleurs le pourcentage croissant d’enfants hospitalisés appartenant à des familles monoparentales ou complètement désunies. Il faut donc essayer de comprendre la demande des parents, étudier leurs motivations, apprécier les avantages de ce type d’accueil pour l’enfant, ses parents, l’équipe soignante, et en mesurer les inconvénients, autant de démarches qui n’ont guère été jusqu’à présent faites et qui peuvent constituer des axes de recherche clinique.

QUELQUES THEMES DE RECHERCHE

La demande des parents, leurs motivations, méritent à elles seules une enquête approfondie par l’intermédiaire de questionnaires et d’entretiens. Quels parents souhaitent rester auprès de leurs enfants ? Lesquels peuvent effectivement le faire ? Pour quelles raisons certains désirent-ils rester et d’autres non ? Il s’agit pour beaucoup d’aider l’enfant à s’adapter à un nouvel environnement alors qu’il a perdu ses repères habituels. Certains parents pensent aussi être auprès du personnel soignant les interprètes de ce que ressent leur enfant, de ses besoins, de ses habitudes concernant la nourriture, le jeu, les évènements de la vie quotidienne. D’autres enfin, parfois les mêmes, pensent pouvoir aider leur enfant à mieux accepter les examens et les soins. La demande des parents dépend de bien d’autres facteurs : hospitalisation inopinée ou au contraire programmée, présence ou non d’autres enfants à la maison, proximité du domicile, etc…

Rappelons à ce propos l’essor que connaissent les Maisons de Parents ; très utiles pour héberger les parents dont le domicile est très éloigné, elles ne répondent pas à la demande de parents qui, domiciliés près de l’hôpital, préfèrent rentrer chez eux la nuit s’ils ne peuvent dormir dans la chambre de leur enfant. D’autres facteurs interviennent également : l’apparente sévérité de la maladie, la relation habituelle entre la mère et son enfant et plus encore l’âge de ce dernier : la demande provient essentiellement des parents d’enfants âgés de 1 à 7 ans. Les enfants plus âgés s’adaptent plus rapidement et parfois ne souhaitent pas que leurs parents restent la nuit ; les très jeunes nourrissons nécessitent la présence de leur mère, en particulier de celles qui allaitent, mais ils dorment pendant une grande partie de la journée et leurs mères, inoccupées, se demandent si elles ne seraient pas plus utiles auprès de leurs autres enfants.

Les modalités de la relation qui s’établit entre le couple mère-enfant et l’équipe soignante, variables d’un couple à l’autre, n’ont jusqu’à présent été qu’imparfaitement étudiées. Alors que la maladie de l’enfant renforce l’instinct maternel, beaucoup de mères, à l’hôpital, se sentent dépossédées de leurs fonctions par les soignants qui connaissent les gestes techniques d’examens et de soins ; certaines mères placent ainsi leur relation avec les soignants au niveau de la compétition, et ces derniers, par ignorance ou incompréhension, ne se prêtent pas toujours à la résolution de tels malentendus. La durée de plus en plus courte des séjours hospitaliers ne facilite pas, par ailleurs, l’établissement de relations qui nécessitent confiance, échange et disponibilité. Les soignants ne perçoivent pas toujours les demandes de l’enfant et de sa mère et n’ont pas souvent été formés pour cela. Quelle angoisse inexprimée se cache chez un parent qui ne demande rien ou ne veut pas « déranger » ou au contraire vit sa relation sur un mode agressif ? Quelle signification attribuer à la démarche du parent qui veut tout contrôler, qui s’interroge et réinterroge sans cesse jusqu’à faire se contredire entre eux des interlocuteurs pas toujours informés ? Qu’y-a-t-il derrière des critiques parfois justifiées mais souvent vécues comme injustes ? Qu’imagine le soignant qui au cours de gestes de soins se sent observé et de toute façon jugé ?

Pour les soignants, la présence de la mère pendant la durée de l’hospitalisation comporte un certain nombre d’avantages. Il est ainsi possible de compléter un interrogatoire qui aurait été initialement insuffisant ou mal orienté, de mieux percevoir d’éventuelles difficultés dans la relation entre la mère et son enfant. La nature des examens et des soins est mieux expliquée et de ce fait ceux-ci sont mieux acceptés. Ces avantages ne vont pas sans retentir sur la durée de séjour et la qualité du retour à domicile ; un enfant malade dont les parents sont matériellement et psychologiquement absents a plus de risques de voir son séjour hospitalier prolongé jusqu’à guérison complète, alors que celui dont les parents ont pu faire apprécier leur compréhension des problèmes et leur capacité de poursuivre les soins à domicile peut quitter l’hôpital plus rapidement. La qualité du retour sera par ailleurs grandement améliorée si l’hospitalisation a été vécue dans les meilleures conditions, si la sortie a été préparée et le relais assuré auprès du médecin de famille.

En retour, le parent présent en permanence auprès de l’enfant exige une grande disponibilité de la part des soignants. Ceux-ci doivent acquérir une compétence dans le domaine de l’enfant et de ses parents, de l’information à leur apporter, bref, apprendre à communiquer. Ce point ne concerne pas seulement les infirmières et les aides-soignantes mais, également, tous ceux qui participent à la vie d’un service de pédiatrie : éducateurs, instituteurs, assistantes sociales, diététiciennes et naturellement les pédiatres, les étudiants et internes de formation. A cet égard tout ou pratiquement tout, reste à faire dans notre pays. Il n’est que d’écouter les doléances des médecins généralistes lorsqu’ils font le bilan de leur formation universitaire et hospitalière et qu’ils la confrontent aux impératifs de leur vie professionnelle. Communiquer avec le ou les parents, répondre à leurs demandes ou tout simplement être à l’écoute de leurs problèmes, nécessitent une grande disponibilité et donc beaucoup de temps. Chaque fois qu’une difficulté de type relationnel apparaît au cours d’une hospitalisation, l’analyse rétrospective des faits montre que cette difficulté aurait pu être évitée en prenant le temps suffisant pour expliquer les motifs de l’hospitalisation, les conditions matérielles de celle-ci, la raison des examens, la nature des soins, bref, de situer l’hospitalisation dans le cadre d’un véritable projet tout en gardant la possibilité de modifier celui-ci, de reprendre des explications qui n’avaient pas été comprises et de répondre à de nouvelles questions. Pour améliorer cette situation, il est indispensable de promouvoir une recherche ayant pour objectif d’améliorer la formation des infirmières et des étudiants aux techniques de communication.

D’autres axes de recherche doivent être explorés. L’un d’entre eux est crucial ; il concerne les différences de perception des besoins entre les soignants et les administratifs. Ces derniers souhaitent développer ce type d’accueil et dans le cas particulier de l’hôpital Antoine Béclère, ont eu à cœur d’en permettre la réalisation matérielle. Ils perçoivent moins bien le temps nécessaire pour faire face quotidiennement à cette demande, car, pensent-ils, la présence d’une mère auprès de son enfant ne peut que soulager le personnel, en particulier pour les soins d’hygiène et les repas. La pénurie chronique du personnel soignant est de loin ce qui frappe le plus les parents vivant en milieu hospitalier. Il nous faut trouver la méthodologie qui permette d’apprécier le temps réellement consacré par les soignants à répondre à la demande exprimée par l’enfant et par sa mère présente en permanence à son chevet. En effet, le taux d’hospitalisation en pédiatrie est une activité essentiellement saisonnière. A certaines périodes de l’année correspond un nombre accru d’enfants hospitalisés, mais aussi de parents présents, alors que les soignants sont en nombre inchangé, pour ne pas dire moindre quand ils sont eux-mêmes malades ou que, profession à forte majorité féminine oblige, leurs propres enfants le sont ; ces périodes au cours desquelles les soignants sont moins nombreux, plus sollicités, plus fatigués et donc moins disponibles, sont mal vécues par tous.

Pour ces carences, de nombreuses mesures d’humanisation ont été prises ces dernières années. Les heures de visite ont été supprimées, les parents pouvant venir voir leur enfant à l’heure qu’il leur convient.

Ils sont plus facilement admis dans la chambre du jeune bébé à condition que les règles d’asepsie propres au service soient appliquées. Mais alors que les parents souhaitent rester de plus en plus souvent la nuit auprès de leur enfant, ceci n’est accordé, dans la majorité des cas, seulement s’il s’agit de maladie très grave et souvent dans des conditions de confort discutables. Notre pays est certainement à cet égard en retard sur bien d’autres. Deux conditions doivent être remplies pour répondre favorablement à cette demande de plus en plus pressante des parents. Il s’agit en premier lieu de conditions architecturales ; de nombreux services de pédiatrie ne disposent pas de chambres suffisamment spacieuses pour recevoir l’enfant et l’un de ses parents, le plus souvent sa mère. On peut envisager de supprimer un lit d’hospitalisation pour le remplacer par un lit d’adulte mais cela pose des problèmes pratiquement insolubles en période automno-hivernale quand la demande est particulièrement forte.

La deuxième condition est l’ordre, professionnel ; nombre de pédiatres et de soignants sont réticents vis-à-vis d’une demande qui bouleverse les habitudes, remet en question la pratique médicale hospitalière, risque de gêner l’accomplissement des tâches quotidiennes, certains d’entre eux n’hésitant pas à proclamer que l’enfant se laisse plus facilement examiner et soigner en l’absence de ses parents. Il ne faut pas sous-estimer ce type de réaction, plus perceptible encore pendant les périodes d’encombrement. Accepter qu’un des parents demeure 24 heures sur 24 auprès de son enfant malade nécessite une adhésion active des soignants.

Ces conditions sont réunies au sein du service de pédiatrie de l’hôpital Antoine Béclère à Clamart qui comprend 41 lits. Les parents, lors de l’admission de leur enfant se voient proposer de rester ou non la nuit pour l’un d’entre eux. Pour les accueillir, le service dispose de onze chambres mère (ou père)-enfant comportant chacune un lit d’adulte et, soit un grand lit d’enfant, soit un berceau, soit une couveuse. Un lit de camp peut être disposé dans sept autres chambres en cas de besoin. L’expérience montre qu’environ 12 à 15 mères restent chaque nuit dans la chambre de leur enfant. Un livret d’accueil est remis aux parents, leur expliquant les conditions de vie dans le service, les règles d’hygiène à observer. Il leur est rappelé que le personnel soignant est présent pour assurer les soins et se consacrer au séjour de l’enfant et qu’il n’est pas à leur service sur le plan hôtelier (lits, rangement…). Pour le moment il n’est demandé aucune participation financière aux parents, ceux-ci pouvant prendre leurs repas à leurs frais au self-service de l’hôpital et non dans la chambre.

Nous envisageons d’aller plus loin dans la prise en charge de l’enfant hospitalisé et d’essayer d’introduire la mère elle-même dans le processus de guérison de la maladie de son enfant. Ceci est déjà fait dans certains pays étrangers et il est possible de proposer à certaines mères de dresser elles-mêmes la courbe de température, de recueillir les urines, de surveiller les perfusions, d’accompagner leur enfant dans le service de radiologie ou dans certains laboratoires ou consultations, bref d’éviter qu’elles ne se sentent exclues même si le nécessaire apprentissage de ces gestes risque de demander un temps supplémentaire au personnel soignant.

On peut également profiter de la présence des mères pour leur offrir une information plus générale à l’aide de brefs exposés, sur l’alimentation, la conduite à tenir en présence de certains problèmes de santé (épisode fébrile, poussée dentaire, etc.), les allocations familiales, etc., toutefois l’expérience montre que chaque mère est plus intéressée par le problème spécifique et actuel de son enfant que par celui des autres. Il serait à cet égard intéressant que des mères ayant passé un certain temps à l’hôpital avec leur enfant acceptent d’adhérer et d’animer une Association justement créée pour réfléchir aux problèmes de l’accueil dans un service de pédiatrie, même si leur premier et légitime souci est d’oublier le plus rapidement possible l’hôpital.

Un thème aussi porteur que celui de la présence des mères auprès de l’enfant hospitalisé doit donc être approfondi et peut-être le point de départ d’un certain nombre de recherches cliniques. Les résultats d’une telle recherche doivent être confrontés à ceux d’autres services avec pour objectifs finals d’améliorer l’accueil, la prise en charge des enfants malades et de leurs familles, d’incorporer ces données nouvelles dans l’enseignement des Facultés de Médecine et des Ecoles d’Infirmières et d’informer les concepteurs de nouvelles unités d’hospitalisation pédiatrique,

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