Les épidémies dans l’Histoire de l’Homme

Thèmes: Sciences, Médecine                                                                                                                          Conférence du mardi 1er Mars 1988

Les épidémies dans l’Histoire de l’Homme

Par Jacques Ruffié, Professeur au Collège de France, membre de I ‘Académie de Médecine.

QU’EST-CE QU’UNE EPIDEMIE?

On peut opposer l’épidémie à l’endémie en tenant compte qui il existe entre les deux concepts des formes intermédiaires.

Une épidémie est une maladie qui éclate, qui tue beaucoup de monde et tend à disparaître. L’endémie est une maladie chronique qui se voit chez des personnes isolées.

Mais parfois il existe des endémo épidémies qui tiennent des deux caractéristiques.

Pour apparaître, une épidémie est conditionnée par 3 facteurs

. Un germe pathogène (virus, bacille, parasite…)

. Une population de récepteurs entraînant le passage du mal d’une population infectée aux sujets non infectés.

Nous savons maintenant que la transmission de la maladie au sein d’une communauté peut se faire de nombreuses façons soit directement d’individu à individu comme  la scarlatine, soit par un intermédiaire comme l’eau et c’est le cas de la fièvre typhoïde, soit par un insecte vecteur , par exemple le moustique qui transmet le paludisme, soit par des procédés combinés ainsi la peste peut se contracter par la piqûre d’une puce ou par les postillons d’un malade.

. Une concentration humaine suffisante.

HISTOIRE DES EPIDEMIES

Par son intelligence qui a permis le développement progressif de la culture et de la technique, l’homme a su échapper peu à peu aux contraintes de la sélection naturelle. A la prédation, dont il était victime de la part des grands carnivores, il répondit en fabriquant des armes qu’il savait utiliser avec efficacité.

C’est ainsi que cet individu, au départ très mal armé (force physique limitée, absence de crocs, de griffes, d’organes efficaces de défense), devint un chasseur redoutable, apte à imposer sa volonté à la nature avant de la mettre au pillage.

Par le feu, la confection d’une vêture, l’aménagement d’un abri, il put échapper aux contraintes climatiques et rétablir un peu partout le microclimat tropical humide qui lui était favorable. Il est intéressant de noter que l’époque des glaciations et les zones tempérées ou froides furent toujours favorables au développement et à l’expansion au sapiens, bien qu’il fût un animal d ‘origine tropicale.

Les régions chaudes, où règnent les conditions de température et d’ hygrométrie les plus favorables au déroulement des réactions biochimiques, grouillent de vie. C’est là que nos ancêtres sont nés, mais ils y ont rencontré une compétition très puissante, tant de la part de grands prédateurs carnassiers pour qui ils faisaient office de gibier que de la part de petits invertébrés vecteurs de multiples maladies et grands consommateurs de graines.

Rien de tel en zone froide où dominaient les troupeaux de rennes, pacifiques herbivores fournissant à l ‘homme de la viande sur pied, du lait, des peaux laineuses.

Certes, il existait aussi quelques meutes de loups, mais, contrairement à des légendes bien établies, le loup n’est pas un animal très agressif, il fuit le bruit, la menace, et n’attaque l’homme que poussé à toute extrémité. Quant à l’ours des cavernes, il demeurait un animal rare et recherché.

Huit à dix mille ans avant notre ère, l’homme savait déjà lutter contre la faim en cultivant des plantes et en élevant les animaux qui étaient les plus utiles. Ce fut la « révolution néolithique » qui multiplia par dix à cent les ressources disponibles sur un même espace. Cette révolution naquit sur les rives orientales de la Méditerranée, dans le Sud-Est asiatique et un peu plus tard, en Méso-Amérique. En outre, en réalisant de façon purement empirique des croisements judicieux, nos lointains ancêtres surent développer, tant chez l’animal que chez le végétal, des caractères qui leur étaient plus profitables.

Ainsi naquirent les races domestiques, hautement productives, qui permirent en grande partie le développement des civilisations,

Il faut noter que l’agriculture imposait au sapiens, jusque-là prédateur et semi-nomade, la sédentarisation qui vit naître les premiers villages, puis les premiers empires, zones de concentrations et d’échanges particulièrement propices aux progrès des connaissances et des techniques.

Nous voici donc prêts à recevoir les épidémies. Les gens sont rassemblés, se promènent et l’on voit apparaître des épidémies qui suivent les courants commerciaux ou guerriers.

La peste:

LA PESTE A TOURNAI EN 1349

Les victimes sont si nombreuses que les survivants suffisent à peine pour les enterrer

Un document historique est célèbre c’est le récit de la « peste » d’Athènes par Thucydide.

En 430 avant J .C. Athènes était attaquée par une coalition menée par Sparte, et de nombreux réfugiés s’étaient entassés dans ses murs, car les campagnes environnantes avaient été saccagées.

Le récit de Thucydide est intéressant car il raconte des évènements que l’auteur a traversés et auxquels il a survécu. Il décrit des faits et des réactions qui devaient se succéder pendant plus de deux mille ans la soudaineté du mal, la recherche de prétendus coupables, la dissolution des mœurs, le dévouement des médecins et des parents des malades s’opposant à l ‘abandon des moribonds et des morts , les invocations aux dieux et leur inefficacité, les conséquences politiques et économiques funestes pour la cité, autant de traits que connaîtront les communautés humaines chaque fois qu’un drame semblable s’abattra sur elles.

La peste sévit également au temps de l’empereur Justinien et sous les règnes suivants dans tout le Bassin Méditerranéen, depuis Constantinople jusqu’à Paris.

A une période plus récente, c’est la « mort noire » du XIVe siècle qui a le plus frappé d’horreur l’humanité et a laissé dans les mémoires du temps les descriptions les plus impressionnantes. S’étant manifestée pour la première fois dans un comptoir génois de la Mer Noire, elle progressa d’année en année, et à partir du port de Messine en 1347, de Marseille en 1348, elle envahit l’Europe.

De mois en mois, les chroniqueurs nous ont raconté sa progression mortelle. A la fin de 1347, I ‘épidémie était à son apogée à Constantinople. Un soir d’octobre, douze galères génoises venant du Proche-Orient faisaient escale à Messine.

Leurs équipages étaient en piteux état, beaucoup de marins étaient morts pendant la traversée et les survivants étaient pour la plupart de grands malades. Ils contaminèrent toute la Sicile, de port en port. Entre-temps, tous les archipels grecs avaient été atteints et, à partir d’Alexandrie, toute la vallée du Nil.

Quand Gènes refusa l’accès de sa rade à ses propres galères maudites, elles abordèrent le 1er novembre 1348 à Marseille.

L’évêque ne tarda pas mourir, suivi, dit la légende, de tous ses chanoines.

Au large du port, les bateaux fantômes dont nul n’osait s’approcher, bien qu’ils fussent pleins de soieries et de denrées précieuses, allaient et venaient au gré du vent, avec leurs équipages de cadavres. De la ville la peste gagna très vite la campagne de Provence selon les agglomérations, de 50 à 75% de la population disparut. Au même moment, d’autres bateaux véhiculaient la maladie à Pise puis à Raguse, d’où elle atteignit Venise.

A partir de ces ports, toute l’Europe continentale fut envahie.

On admet qu’en l’espace de 3 ou 4 ans l’Europe perdit entre le tiers et la moitié de sa population. Ce fut certainement la catastrophe démographique la plus brutale que l’humanité ait connue, elle ne s’est jamais reproduite depuis.

Une telle calamité ne manqua pas de semer l’épouvante. Comme l’Apocalypse, texte sacré qui alimentait les prédictions millénaristes du Moyen-Age, mentionnait la peste parmi les fléaux qui devaient s’appesantir sur l’humanité pécheresse, on vit en elle une punition de Dieu. On dut inventer des coupables. Des groupes de flagellants parcoururent les routes, se suppliciant eux-mêmes, annonçant à leurs auditeurs leur propre châtiment et attirant leur attention sur des criminels qu’ils nourrissaient de leur sang et de leur argent, comme les juifs, les sorciers, les gitans . . .

L’antisémitisme, qui existait déjà dans l’Europe chrétienne, trouva un nouveau prétexte pour s’exacerber des massacres de familles entières eurent lieu, surtout en Allemagne. En France, de nombreuses villes se contentèrent de les expulser.

Après cette épidémie meurtrière, l’Occident n’était pas débarrassé de la peste: elle n’allait pas abandonner le terrain avant 4 siècles.

La lèpre:

La lèpre n’a pas marqué la vie de l’homme de façon aussi tragique que le peste

En tout cas, la maladie était solidement implantée en Europe occidentale dès le haut Moyen-Age en France, et le devint relativement commune partir des XIIe et XIIIe siècles.

Le premier stade de son repérage relevait de la dénonciation quel qu’un qui avait remarqué une maladie de peau chez un voisin, un parent ou même son conjoint, était dans l’obligation de le signaler à l’autorité séculière ou religieuse. Celle-ci convoquait alors un tribunal dont la composition a varié selon les époques et les provinces.

Après l’examen minutieux de la peau du sujet entièrement dénudé, les tests proposés étaient nombreux on les retrouve dans les livres médicaux comme dans les manuels ecclésiastiques. Si l’on met une personne au clair de lune en sorte que les rayons lui frappent le visage, le lépreux est marqué de diverses couleurs, alors que l’homme sain paraît pâle.

Une fois établie la nature de la lèpre par un tribunal laïc et religieux, la sanction judiciaire était également double le lépreux ou “mésel” était exclu de la communauté des fidèles, puis de toute vie sociale.

Le rituel ecclésiastique a été souvent décrit.

Le prêtre revêtu de l’étole et du surplis des cérémonies de deuil accueillait le malheureux sur le parvis de l’église et lui annonçait la mesure prise à son encontre puis il l’accompagnait à l’intérieur du temple tendu de noir, avec un catafalque au centre, et l’on célébrait pour lui l’office des morts, accompagné du chant solennel « Libera me, Domine ». On le recouvrait d’un voile noir et, si on jetait sur lui , allongé sur les dalles, quelques pelletées de terre, cette coutume symbolique de certaines paroisses représentait une autre coutume plus cruelle utilisée ailleurs l’inhumation simulée par la descente pour quelques instants dans une vraie fosse du cimetière voisin où l’on allait en procession. Après cette éviction de l’Eglise, le retranchement de la vie commune se faisait par l’enfermement dans une léproserie.

Dans ces établissements la vie était austère, l’interné travaillait à la mesure de ses moyens, toute vie familiale demeurait impossible.

Lorsque ce retranchement du monde se terminait par la mort du ladre, son corps n’avait même pas droit aux obsèques communes. L’office des morts, qui avait déjà été célébré pour lui était simplifié et la dépouille était refusée dans le cimetière des autres chrétiens, les léproseries disposaient d’un enclos particulier.

Dès le début du XVe siècle la lèpre était en déclin et peu à peu les léproseries se vidèrent.

La tuberculose:

La tuberculose, et singulièrement la tuberculose pulmonaire ou phtisie, qui en est la localisation la plus fréquente, la plus spectaculaire et la mieux connue, diffère notablement de la lèpre, même si les deux bacilles responsables appartiennent à la même famille.

C’est seulement en 1546 qu’un génial médecin italien, humaniste  ses heures, Jérôme Fracastor, classe la phtisie dans le groupe des maladies infectieuses et contagieuses, alors qu’on la croyait jusque là héréditaire.

Pour Fracastor, on devient tuberculeux non par ascendance, mais par contact direct ou indirect avec un autre tuberculeux.

Fracastor estime que la maladie est transmise par microparticules, que le contact soit direct ou qu’il se produise par l’intermédiaire de linges, d’objets porteurs de ces “seminaria contagionis” venus du malade.

Quelle prémonition du savant italien, quatre siècles avant l’ère pasteurienne !

Fracastor étendra d’ailleurs avec succès sa théorie de la contagion à la syphilis.

La tuberculose commença à se répandre en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle quand ce pays entreprit son industrialisation et fit croître ses villes elle y déclinait quand la France fut atteinte à son tour cinquante ans plus tard.

Elle fut la maladie des enfants et des jeunes femmes romantiques pendant un demi-siècle et commença à décroître à la naissance du XXe siècle, avant même le pneumothorax et les sanatoriums. Deux des plus grands médecins du siècle, qui se consacrèrent à l’étude de la maladie, Bayle et Laennec, ce dernier inventeur de l’auscultation, en seront aussi les victimes. Mais alors l’Allemagne eut en souffrir, avec la même décroissance spontanée à l’approche de la dernière guerre, et ce fut le Japon qui prit le relais.

Aujourd’hui vaincue en Occident (grâce au B.C.G. depuis 1925 puis aux antibiotiques, depuis 1945) la tuberculose croît dans les pays en développement.

LE XXe SIECLE.

Les grandes épidémies sont un souvenir. Il y avait encore la variole dans les pays sous-développés, mais il existe un vaccin tellement efficace que depuis 1977, on n’a plus revu un seul cas de cette maladie.

Voilà pour la première fois un virus qui a disparu du globe.

I l y a encore la grippe mais il existe là encore des vaccins.

Et puis un nouveau venu, le SIDA, d’origine virale probable, initialement découvert chez les homosexuels américains et les drogués.

Mais grâce aux chercheurs français et américains, un vaccin sera certainement trouvé dans 5 à 6 ans

Le Professeur RUFFIE termine sa conférence en reprenant presque mot pour mot ce que nous avait dit le Professeur ISRAEL l’année dernière: « Finalement je demeure optimiste parce qu’il y a  les vaccinations, l’explosion scientifique… Ayant maitrisé ce qui est bactériel, on est en train de maîtriser les affections virales. J’ai confiance. J’ai foi en la science”

Tableau complémentaire ajouté en février 2022.

 

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