Thème : MEDECINE ET SCIENCES NATURELLES Mardi 20 Mai 2008
Par Michel Durigon – Professeur de médecine légale
et Philippe de Mazancourt – Professeur de biochimie et biologie moléculaire
Identifier quelqu’un est devenu un acte assez banal grâce aux progrès scientifiques. L’identification touche tous les particuliers, qu’ils soient vivants ou morts. Son intérêt est avant tout criminalistique, et parfois civil. Nous pouvons désormais établir si l’auteur d’une infraction est un récidiviste, notamment dans le cas de crimes sexuels. Quand une personne est retrouvée morte, il n’y a pas d’enquête possible sans identification de la victime. En droit civil, si un corps n’est pas identifié, cela pose des problèmes de succession car l’héritage est bloqué.
Comment identifier quelqu’un ?
L’identification, c’est l’ensemble des signes qui distinguent un individu de tous les autres. Ce sont toutes ces différences qui font notre identité (petit/grand, maigre/gros, vieux/jeune, chevelu/chauve…). Qu’on le veuille ou non, on identifie en permanence. On classifie sans cesse. Comment fait-on pour identifier quelque chose ou quelqu’un ? En comparant les données mémorisées et répertoriées par rapport aux données observées. Si la concordance est établie, alors l’identification est faite.
Dans le cas de l’identification en médecine, certaines méthodes sont très performantes. La dactyloscopie (l’étude des empreintes digitales) et la biologie moléculaire sont parmi les plus efficaces. Pour identifier quelqu’un, nous cherchons à rassembler les caractéristiques propres à un individu, par des méthodes médicales (anthropométrie, odontologie, anthropologie) et non médicales (vêtements, bijoux, effets personnels…). En 1870, Alphonse Bertillon avait posé les bases de l’anthropométrie judiciaire. Cette technique, utilisée pendant très longtemps, permettait de caractériser un individu en prenant un certain nombre de mensurations (taille du nez, des oreilles, des pieds, des mains…), en relevant la couleur des yeux et des cheveux, l’origine ethnique, les marques particulières (angiomes, naevus, séquelles chirurgicales, tatouages, etc.). Tous ces éléments permettaient de dresser le caractère d’ensemble.
L’utilisation de la dactyloscopie est, elle, encore très utilisée. Nous relevons les reliefs papillaires de la pulpe digitale. En France, quand on trouve douze points de concordance entre deux empreintes, l’identification est formelle. Pourquoi relever les empreintes digitales, alors que toute notre peau est constituée de tels reliefs ? Parce que nous posons nos doigts partout, et donc nous laissons nos empreintes digitales là où nous passons. Celles-ci sont définitives et uniques à chaque individu. Même les jumeaux monozygotes, qui ont pourtant le même ADN, ont des empreintes digitales différentes.
L’odontologie a longtemps été la reine de l’identification médico-légale en raison de la richesse des fichiers dentaires, les dents étant à la fois très solides et très difficiles à maquiller. Quant à l’anthropologie, c’est un bon moyen d’identifier des cadavres en mauvais état. Mais tous les éléments thanatologiques sont utiles, les plus rares étant les plus discriminants. Dans les années 70, lors du crash d’un avion français, nous avions pu identifier le corps d’une hôtesse britannique grâce à son stérilet. Elle était la seule femme à bord à en avoir un, le stérilet étant alors autorisé en Grande-Bretagne et pas en France.
La révolution des empreintes génétiques
L’identification avait fait un grand pas en avant au début du XXe siècle avec l’apparition des groupes sanguins. En prélevant du sang, du sperme ou des cheveux, on pouvait notamment inclure ou exclure une paternité. Mais l’analyse pouvait prendre du temps et ne pas toujours être fiable. La révolution biologique est venue de la découverte des empreintes génétiques. Cette technique, qui date des années 80, a vite prouvé toute son efficacité. Il existe un certain nombre de cas où cette technique se révèle tout à fait nécessaire mais, quand on peut se dispenser d’empreintes génétiques pour identifier quelqu’un, on le fait. En France, le législateur a strictement encadré cette pratique : seuls les magistrats et officiers de police judiciaire peuvent demander un test d’empreintes génétiques, seuls les laboratoires et experts agréés peuvent faire ces analyses, et il n’y a que quinze laboratoires et une trentaine d’experts agréés.
Dans le laboratoire, le généticien analyse les éléments apportés par la police ou le médecin légiste (une goutte de sang pas plus grande qu’une goutte d’encre de stylo bille suffit). Il fragmente le génome en plusieurs chromosomes, qu’il étudie de façon indépendante les uns des autres. En analysant les variations sur plusieurs chromosomes distincts, on multiplie la précision de l’identification pour aboutir à une probabilité d’erreur de 1/1016.
Lors de la fécondation, l’embryon hérite, pour chaque paire, d’un chromosome paternel et un maternel. Quand nous faisons un test de paternité, la combinaison de seize marqueurs va nous permettre de dire formellement si tel homme est bien le père ou non de tel enfant. En France, il est interdit de faire son propre test ADN, car la loi française considère qu’il faut protéger la famille en tant que structure sociale, et pas seulement comme structure biologique. L’identification génétique peut s’avérer très utile pour identifier des personnes disparues (50 000 disparitions en France chaque année), qu’elles soient mineures, amnésiques ou traumatisées. On doit alors recouper avec l’ADN prélevé sur des proches.
Le fichier national des empreintes génétiques, un outil policier
Dès les débuts de l’utilisation de l’ADN dans le cadre d’enquêtes médico-légales, le législateur a privilégié la prudence. En 1989, le comité national consultatif d’éthique a estimé que ces informations ne devaient pas tomber entre toutes les mains. Il était hors de question qu’elles puissent être utilisées par les compagnies d’assurance. La loi du 29 juillet 1994 stipulait qu’il fallait le consentement d’une personne pour pouvoir prélever son ADN. Suite à un vide juridique, la loi a ensuite été infléchie, instituant le caractère obligatoire du prélèvement d’empreintes génétiques. En 1998, lors de la création du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), seules les traces des personnes ayant épuisé tous les recours et dont la condamnation était définitive pouvaient être répertoriées. Autre exemple de cette prudence originelle du législateur, les empreintes n’étaient potentiellement utilisables que des années après les faits, ce qui pouvait empêcher d’identifier certains violeurs ou agresseurs sexuels récidivistes. En 2001, l’inscription au FNAEG a été étendue à tous les auteurs de crimes, avec obligation de se soumettre au prélèvement.
En 2003, la loi de sécurité intérieure a imposé que tous les suspects soient passibles d’une inscription au fichier national d’empreintes génétiques, à l’exception des auteurs de délits routiers et de délits financiers. La liste des personnes potentiellement concernées est donc extrêmement vaste, du faucheur de maïs OGM à la personne habitant un immeuble où un crime a été commis. Une fois la soumission des empreintes et la comparaison effectuées, la loi prévoit que le suspect innocenté peut exiger que ses empreintes soient retirées du fichier.
Le FNAEG est devenu un véritable outil policier. Plusieurs milliers de comparaisons sont effectuées chaque année. Elles permettent de faire le rapprochement avec des traces orphelines vieilles de plusieurs années. Il arrive, par exemple, qu’une personne interpellée pour usage de stupéfiant soit mise en cause dans un crime ancien grâce à son ADN.
L’empreinte génétique n’est qu’une combinaison de chiffres qui ne renseigne que sur le sexe d’une personne. Il n’est pas possible, avec le FNAEG, de connaître les opinions politiques d’un individu, sa religion, ses goûts ou encore son lieu d’habitation. Ce fichier renseigne finalement moins que le numéro de Sécurité sociale. Les informations contenues dans ce fichier d’empreintes génétiques sont inutilisables en dehors de l’identification. Ce fichier est un outil policier, pas médical. On ne peut l’utiliser pour vérifier les compatibilités entre donneurs et receveurs de greffe.
Chaque fois qu’une catastrophe survient dans le monde, il serait utile d’avoir une base de données permettant d’identifier formellement le cadavre ou le fragment de corps. Mais les réticences sont trop fortes. Nous restons sur le souvenir du fichage pratiqué par les nazis et par la peur de l’eugénisme. Il n’existe même pas de fichier génétique à l’échelle européenne. Chaque Etat est maître de sa pratique des empreintes génétiques, et leur exploitation est très différente d’un pays à l’autre : en Grande-Bretagne, même les chauffeurs de taxi ont leur kit de prélèvement alors qu’en Belgique il est interdit de comparer l’ADN d’un toxicomane interpellé avec des empreintes relevées sur une scène de crime.
En savoir plus …
Coté Livres :
Pratique médico-légale
Auteur : Michel Durigon
Editeur : Editions Masson
http://www.amazon.fr/Pratique-m%C3%A9dico-l%C3%A9gale-Michel-Durigon/dp/2294014626
Un tueur peut en cacher un autre
Auteur : Corinne Hermann
Editeur : Stock
http://livre.fnac.com/a2183008/Corinne-Hermann-Un-tueur-peut-en-cacher-un-autre?PID=24101
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Empreinte_g%C3%A9n%C3%A9tique
http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i0504.asp
http://www.huyghe.fr/actu_481.htm
http://www.med.univ-rennes1.fr/etud/medecine_legale/empreintes_genetiques.htm
http://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/calvin/YRE/2ca_rapports/flores_cornaz.htm
http://www.labgenetics.com.es/fr/criminalistica.htm?gclid=CK2lptHDjZQCFQkNuwodRGvWeA
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