Thème : MEDECINE Mardi 15 Décembre 2009
Mme le professeur Claude Leclerc – Unité de régulation immunitaire et vaccinologie Institut Pasteur
Spécialiste des maladies infectieuses, l’Institut Pasteur s’intéresse aussi au cancer car cette maladie est devenue, depuis plusieurs années déjà, une priorité de la recherche. Le cancer, qui fut longtemps la première cause de mortalité chez l’homme, représente encore 30% des causes de décès en France. On pourrait presque parler d’épidémie : on compte deux fois plus de cancers en France qu’il y a vingt ans, et deux fois plus de cancers dans la population féminine. Pour autant, la mortalité est moindre, et ceci grâce à des diagnostics plus précoces et à des dépistages systématiques (sein, colon…). L’OMS prévoit une augmentation de 45% des cas de cancer dans le monde entre 2007 et 2030 (11,3 millions en 2007 à 15,5 millions prévus en 2030). Pourquoi un tel accroissement ? En raison de notre façon de vivre : un tiers des cancers sont directement dus au tabagisme (actif et passif). Le cancer étant un phénomène multifactoriel, on sait que certains comportements augmentent le risque de développer la maladie, outre le tabac, on sait que l’alcool et l’alimentation grasse et sucrée sont des éléments déclencheurs. Les obèses présentent un fort risque de déclencher un cancer. On sait aussi qu’un certain nombre de polluants sont responsables. Tant à Bhopal (Inde, où une usine chimique explosa) qu’en Ukraine (où se situe la centrale de Tchernobyl), le taux de cancers dans la population est encore très élevé, plus de vingt ans après les faits. Les pesticides utilisés par nos agriculteurs sont également sur la sellette.
Mais, on le sait moins, les infections sont, estime-t-on, responsables de 15% des cancers. Le cancer du foie peut être provoqué par une hépatite (B ou C), qui va entraîner une fibrose du foie qui peut dégénérer en cancer. L’helicobater pylori, une bactérie qui infecte la muqueuse gastrique, est souvent responsable du cancer de l’estomac. Le cancer du col de l’utérus est déclenché par le papillomavirus. D’autres tumeurs peuvent également être provoqués par des virus : le lymphome de Burkitt par le virus d’Epstein-Barr, le sarcome de kaposi par l’herpès virus de type 8.
Empêcher la survenue de cancers liés à des infections
Dans le cas du papillomavirus, on sait que 99,9% des cancers du col de l’utérus sont liés à ce virus, et il est vraisemblable que celui-ci soit aussi responsable de certains cancers de la tête et du cou. C’est Harold van Hauser, prix Nobel de médecine 2008, qui a découvert ce lien de cause à effet entre ce virus et le cancer du col de l’utérus. Chez les femmes qui n’arrivent pas à éliminer le papillomavirus de leur organisme, le virus intègre son ADN dans les cellules du col de l’utérus. La lésion se transforme en cellules cancéreuses qui vont, à leur tour, métastaser. Il faut donc intervenir avant que le virus ne soit présent dans l’organisme car une fois intégré dans une cellule, il devient inaccessible au système immunitaire.
La bactérie helicobater pylori est présente de façon chronique chez 30 à 40% de la population adulte des pays industrialisés, et chez 80 à 90% des adultes des pays en voie de développement. Cette bactérie n’est, le plus souvent, pas très virulente. Elle provoque des maux d’estomac ou des gastrites, des symptômes qu’on a tendance à mettre sur le compte du stress. Pourtant le cancer de l’estomac est le deuxième cancer sur le plan mondial et cette bactérie est présente chez 50% des malades du cancer de l’estomac. Sa présence va provoquer une inflammation des muqueuses ou une ulcération gastrique et c’est cette lésion qui va être le facteur déclenchant du cancer de l’estomac. Les chercheurs australiens Robin Marshall et Barry Marshall, récompensés du Prix Nobel de médecine en 2005 pour leur découverte sur le rôle du H. pylori dans les gastrites et les ulcères, ont permis la mise au point d’un test de détection de cette bactérie (qui peut être éliminée en une semaine avec des antibiotiques). En quelques années, le nombre de cancers de l’estomac en France a chuté de façon spectaculaire.
Il est indispensable de mettre en place des mesures de dépistage et de traitements qui permettent de contrôler ces infections chroniques. Pour se prémunir de ces attaques, notre système immunitaire produit des molécules, telles que des cytokines inflammatoires. Mais, à la longue (15 à 20 ans), cette défense contre l’agresseur provoque plus de mal que de bien car ce terrain fragilisé sera utilisé par la tumeur. L’approche vaccinale classique est efficace dans le cas du papillomavirus et de l’hépatite. Les études épidémiologiques sur la vaccination contre le papillomavirus en sont à leur début – la vaccination sur des jeunes filles qui n’ont pas zncoreeu de rapport sexuel a commencé il y a deux ans et nous saurons dans une vingtaine d’années combien de femmes qui auraient dû être contaminées n’ont pas développé de cancer – mais nous en savons davantage en ce qui concerne l’hépatite B et le cancer du foie. Des études à Taiwan ont montré que le nombre de cancers du foie chez les moins de douze ans a été divisé par dix après vaccination contre l’hépatite B. Mais il s’agit là de vaccins préventifs, qui n’ont aucune efficacité thérapeutique contre les cancers. Ils protègent contre les agents infectieux et contre la survenue de cancers liés à ces virus, mais si le virus se trouve déjà dans l’organisme, le vaccin est inefficace.
Un nouvel espoir : la vaccination thérapeutique
Le cancer, de quoi s’agit-il ? Ce terme générique réunit des situations très différentes qui ont en commun d’avoir une ou plusieurs cellules qui se sont mises à proliférer de façon anormale. L’organisme ne réagit pas à une agression de l’extérieur mais à une attaque de l’intérieur. Ce n’est pas la prolifération des cellules qui est gênante, ce phénomène est au contraire absolument indispensable à notre survie : notre organisme contient un million de milliards de cellules et, chaque jour, une partie d’entre elles meure et est remplacée par des cellules identiques. Pour que notre organisme garde sa permanence, nos tissus et nos organes se renouvellent sans cesse. Mais le contrôle de l’ADN est strict : des cellules de foie ne sont pas remplacées par des cellules d’estomac. Chacun doit être à sa place.
En revanche, un cancer correspond à une multiplication anarchique de cellules anormales qui peuvent être situées dans n’importe quel organe et qui échappent à tout contrôle. Ces cellules peuvent migrer dans l’organisme et donner naissance à des métastases. Les mécanismes en cause sont très nombreux, le processus de formation d’un cancer n’est pas heureusement unique. L’ADN de la cellule cancéreuse a pu muter à la suite d’une exposition répétée à un carcinogène, ou peut être liée à l’environnement (irradiation), à une infection chronique ou au mode de vie (tabac, alcool, soleil…). S’il faut plusieurs années pour qu’une cellule accumule les mutations aboutissant à un cancer, une fois ces mutations faites, la cellule se divise rapidement en de nouvelles cellules ayant les mêmes caractéristiques et qui mutent à leur tour. Le phénomène est exponentiel : en vingt jours, la tumeur représente un milligramme de tissu. Si rien n’est fait, la tumeur continuera à grossir, elle va se vasculariser en secrétant des molécules qui engendreront la formation de nouveaux vaisseaux sanguins (l’angiogénèse). La tumeur détourne alors une partie de l’alimentation dans le sang et s’en nourrit.
Comment faire pour tuer ces cellules cancéreuses sans faire de dommages collatéraux chez les cellules saines ? Les cancers provoqués par des infections sont des cibles plus faciles à reconnaître pour notre système immunitaire car ces cellules tumorales expriment des « étiquettes ». L’objectif est d’éduquer le système immunitaire du patient à reconnaître les cellules porteuses de ces étiquettes comme étant étrangères et les détruire. Des expériences de vaccination menées chez des souris autour de la molécule E7 ont montré que les lymphocytes tueurs (qui s’attaquent aux marques laissées à la surface des cellules par le virus, les peptides) vont reconnaître ces cellules tumorales et les attaquer. En quelques jours, les animaux ne présentaient plus aucune cellule cancéreuse. La poursuite de ces recherches que nous avons menées à l’Institut Pasteur est faite actuellement par une société de biotechnologie de Toulouse qui va tester l’efficacité thérapeutique de cette vaccination chez des patientes atteintes du cancer du col de l’utérus.
Dans le cas de cancers non liés à une infection, il faut utiliser une autre stratégie et il faut s’attacher à identifier les molécules que les anticorps ou les cellules devront attaquer. Ainsi, l’antigène Tn est présent à la surface des adénocarcinomes (sein, ovaire, colon, prostate) et absent de la surface des tissus normaux. Ces sucres sont extrêmement exprimés dans ces tumeurs les plus fréquentes, qui représentent 90% des cancers. Il faut donc apprendre à l’organisme à les reconnaître. Nous avons synthétisé le marqueur Tn qui a été associé à un antigène déjà connu, un peptide de l’anatoxine tétanique, au sein d’un vaccin de synthèse appelé Mag-Tn3. Les premiers résultats sur des souris sont encourageants : 70 à 90% des animaux ont réussi à éliminer la tumeur.
Ce vaccin sera peut-être un jour mis à la disposition des patients, mais il faudra au préalable procéder à des études toxicologiques. Ensuite, une première phase clinique sera menée sur un petit nombre de volontaires pour vérifier la tolérance au produit, qui sera suivie d’une seconde phase clinique sur un nombre plus important de patients, avant l’enregistrement et le lancement du vaccin.
Entre la recherche et la mise sur le marché, il faut une dizaine d’années. Mais un réel espoir existe pour les malades du cancer qu’un vaccin thérapeutique soit commercialisé dans les prochaines années.
En savoir plus …
Coté Livres :
Coté Web :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_Pasteur
http://www.pasteur.fr/ip/easysite/go/03b-000002-007/institut-pasteur
http://www.doctissimo.fr/html/dossiers/cancer_poumon/sa_7514_cancer_poumon_vaccin_futur.htm
http://www.pasteur.fr/actu/presse/com//dossiers/vaccins/cancers.html
http://www.curie.fr/home/conferences.cfm/lang/_fr/conference/3.htm
http://www.doctissimo.fr/html/sante/mag_2002/sem01/mag0607/dossier/sa_5605_cancer_vaccin.htm
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