VIE ET ŒUVRE DE BICHAT

VIE ET ŒUVRE DE BICHAT

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Roselyne Rey

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Mardi 14 janvier 1992

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Mardi 14 janvier, Roselyne Rey, docteur d’État (histoire des sciences), chargée de recherche au CNRS, nous a parlé de la vie et l’œuvre de Bichat.

La Rochefoucault écrivait : « Il y a des éloges qui tuent plus surement que des critiques ». Cette formule pourrait s’appliquer à la situation de Bichat.

Tout le monde connaît ce grand chirurgien grâce aux hôpitaux qui portent son nom, à son buste qui orne la Faculté de Médecine de la rue des Saints-Pères, et aux diverses commémorations.

Corvisart, un médecin proche de Napoléon disait de lui « Personne n’a fait autant de choses que lui en aussi peu de temps et aussi bien ».

Toutes les conditions sont réunies pour laisser un nom à la postérité et pourtant, lorsqu’on demande ce qu’a fait Bichat, la réponse est plus difficile.

La médecine moderne, dit-on, est sortie du « tablier de Bichat ».

Il y a trois aspects dans l’œuvre de Bichat :

– C’est un des fondateurs en France de l’histologie. C’est le premier qui a donné une formulation scientifique à la notion de tissu en la généralisant à tout l’organisme. Avant lui, on ne parlait que d’organes et de fibres. Toute la conception de la pathologie jusqu’à Pasteur, est dérivée du travail de Bichat. Ses travaux sur les tissus s’échelonnent sur une période extrêmement brève (1798-1801).

– Il a jeté les bases d’une méthode expérimentale en physiologie en suivant l’exemple de Haller. Il a pratique couramment des expériences sur les animaux vivants.

– Bichat est un vitaliste : le vitalisme est un courant de pensée qui insiste sur le fait que le vivant n’est pas simplement réductible à des phénomènes physico-chimiques. Il y a des lois particulières. Cette philosophie médicale a été très violemment attaquée durant le 19ème siècle, car beaucoup de gens pensaient que c’était un obstacle au progrès de la connaissance scientifique.

Xavier Bichat (1771-1802) est né à Thoirette dans le Jura. Son père est médecin et chirurgien, il avait étudié la médecine à la faculté de Montpellier. L’enseignement médical y était plus moderne qu’à la faculté de Paris. On y donnait des cours de clinique et on accordait beaucoup d’importance à l’anatomie. Conformément à la tradition hippocratique, l’art du médecin consistait à aider la Nature, à l’œuvre dans « l’économie animale » (pas encore appelée organisme) à résister aux atteintes de la maladie. On tenait compte de ce que l’on a appelé plus tard « le terrain ».

La légende veut que dès l’âge de onze-douze ans, Xavier Bichat ait été initié par son père à tout ce qu’il savait de l’art médical. Il va au collège jusqu’en 1770 à Nantua. Il est très brillant. Il part à Lyon faire ses études supérieures au séminaire de Saint-Irénée. On y accueille des étudiants en philosophie et en théologie. Son séjour à Lyon bien que bref (1790-1791) est important du point de vue de sa formation intellectuelle.

Dans cette période révolutionnaire, les troubles éclatent à Lyon, le séminaire est fermé et Bichat entre au service d’un médecin à l’Hôtel-Dieu de Lyon : Marc-Antoine Petit. Ce chirurgien, disciple de Pierre-Joseph Desault a instauré de nouvelles méthodes d’enseignement médical. Comme d’autres médecins et chirurgiens éclairés, il voulait introduire une certaine rationalité dans la connaissance et le traitement de maladies.

Marc-Antoine Petit est également un praticien profondément humaniste. Quand il quitte l’Hôtel-Dieu de Lyon, il prononce un discours qui a été imprimé à la demande du public et des étudiants qui l’ont entendu : « Ne sous-estimez jamais la douleur de celui qui vous parle. Sachez que sa douleur a toujours besoin d’être secourue, d’être prise en compte. Ne la méprisez pas… ».

Bichat doit quitter Lyon. Il est envoyé sur le front et sert dans les hôpitaux militaires pendant trois ans. Il n’a pas le titre de docteur en médecine, mais une formation de chirurgien sans diplôme.

En 1795, il part à l’Hôtel-Dieu de Paris chez Pierre-Joseph Desault. Un jour où l’étudiant chargé de faire le résumé de la leçon et des observations de Desault est absent, il le remplace. Son exposé est si brillant, que Desault est séduit. Il offre à Bichat de s’installer chez lui. Bichat devient son élève préféré. Il participe au Journal de Chirurgie de Desault et profite de sa bibliothèque pour parfaire ses connaissances médicales.

En ces temps troublés de révolution, Desault est accusé et jeté en prison. Le monde médical parisien se mobilise pour prendre sa défense (Pinel, Corvisart, Cabonis, etc.), il sort de prison et meurt quelques mois plus tard.

En 1796, Bichat continue le journal de Desault et reste assistant à l’Hôtel-Dieu. En quelques années, (1798-1802) il change les conceptions médicales. C’est une période favorable au renouveau : entre 1792 et 1795 il n’y a plus ni institutions scientifiques, ni académies, ni facultés, mais en 1795, les choses se réorganisent avec la création de l’Ecole de Santé de Paris, de Montpellier et de Strasbourg. Bichat espère obtenir une chaire dans cette école, mais sans succès.

Bichat est présent dans toutes les activités scientifiques importantes. En 1796, il fonde la Société Médicale d’Émulation. Tous les grands noms de la médecine s’y retrouvent (Pinel, Cabonis.…). Cette Société cherche à lier deux générations de praticiens, celle qui a connu le plein exercice de son savoir à partir de 1780, et celle qui sort de l’École de Santé depuis 1795 et qui est envoyée immédiatement dans les hôpitaux et acquiert ainsi une expérience considérable.

À cette époque, les médecins essaient de lier l’anatomopathologie avec la connaissance des signes cliniques pendant la maladie du patient vivant. C’est « l’anatomoclinique »qui se développe surtout dans les hôpitaux.

Bichat ébauche ce qui sera plus tard la physiologie expérimentale de Magendie et de Claude Bernard.

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Œuvres personnelles –

– En 1798, Bichat fait paraître consécutivement six études dans les Mémoires de la Société Médicale d’Émulation. Trois d’entre elles sont une sorte d’adieu au passé et à sa collaboration avec le chirurgien Desault. Les trois autres portent sur la membrane synoviale, sur la structure et la classification des membranes : c’est le point de départ de son travail sur les tissus.

Bichat réfléchit à l’organisation de ces parties de l’organisme qui ont été si peu étudiées avant lui. Il se demande quelle est leur fonction dans l’état pathologique et physiologique.

Pinel avait déjà étudié cette idée. Il était alors plus connu comme clinicien et nosographe (il avait cherché à élaborer une classification des maladies) que comme aliéniste.

En 1798, Pinel fait paraître sa Nosographie Philosophique. Il consacre un long passage aux inflammations que l’on appelait autrefois des phlegmasies. Il remarque l’importance des phénomènes inflammatoires pour la connaissance des membranes. Il constate qu’une membrane qui est dans un état pathologique peut jouxter une autre qui demeure dans un état sain.

Bichat reprend ces idées et décompose l’organisme en vingt et un tissus et il construit un certain nombre de critères qui lui permettent de les différencier. Il met à jour des propriétés physiques des tissus telles que élasticité, densité… Il se rend compte que c’est insuffisant et étudie si ces tissus sont excitables, contractiles, c’est à dire, cherche à connaître leurs propriétés vitales… Il se pose des questions sur leurs fonctions. Il se sert des réactions pathologiques pour identifier les différents tissus.

C’est une autre vision de l’organisme qui est concrétisée dans deux de ses trois autres œuvres : Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800), Anatomie générale (1801) et Anatomie descriptive (1802).

Il élabore une pathologie tissulaire, autant qu’une pathologie des organes, en s’appuyant sur de nombreuses dissections et observations cliniques. Ardent défenseur de l’anatomie pathologique, il en perçoit aussi les limites, pour des maladies qui ne laissent pas de lésions. Il souhaite réformer la thérapeutique en la rendant plus simple et plus spécifique.

– Bichat recourt à des expériences sur l’animal vivant. Il mène des expériences sur les problèmes de respiration et d’asphyxie. Il essaie de trouver l’endroit dans le poumon où le sang veineux se transforme en sang artériel ainsi que les constituants chimiques du sang. Il s’intéresse à la connexion qui existe entre les différents organes.

Il propose une nouvelle définition de la mort et essaie de montrer par quel processus précis elle s’effectue, en établissant des liens entre cœur, poumons, cerveau.

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La vie :

« La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».

Entre « soi » et « non-soi », il y existe toujours un rapport de conflit. Être médecin, cela signifie renforcer ce qui est « soi », l’organisme, en faisant en sorte que les forces qui sont dans l’organisme servent du mieux possible à prolonger la vie.

Si l’on est dans un état de résistance avec ce qui nous environne, cela n’exclut pas les échanges.

La définition que Bichat propose de la vie n’est pas une définition abstraite, mais un processus d’échange, d’interaction entre l’organisme et son milieu. Cette définition s’appuie sur une étude de ce qu’il appelle les deux formes de vie :

– vie animale où vie de relation, qui est sous la dépendance de la conscience.

– vie organique ou vie végétative (indépendante de la conscience et de la volonté).

Bichat réfléchit sur les rythmes propres à chacune de ces deux formes de vie. Il les différencie par la forme des organes, et par leur durée d’action (la vie animale est intermittente). Il analyse les rapports existant entre elles.

Il élabore une théorie des passions qui dépendent, selon lui, de la vie organique, mais retentissent dans la vie de relation. Partisan de l’unité du « physique et du moral », il développe des conceptions psychophysiologiques.

Bichat a donc une vision d’ensemble de l’organisme, la conscience que son fonctionnement ne se fait pas par la somme de chaque partie, mais par quelque chose de plus complexe.

C’est l’Anatomie Descriptive qui produit cette nouvelle synthèse en réintroduisant, non seulement le niveau de l’organe, mais la notion d’appareil, c’est à dire de coopération de plusieurs organes en vue d’une même fonction.

Entre la philosophie médicale vitaliste, l’expérimentation sur le vivant, les recherches cliniques et le travail histologique, Bichat ne choisit pas car à ses yeux, la médecine doit faire la synthèse de tous ces aspects.

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ANNEXE

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Les contemporains de Bichat

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Attachés que nous sommes à une découverte et impatients des progrès que nous attendons, nous avons parfois l’impression que l’œuvre a une vie propre, qui survient par une sorte de génération spontanée. Alors l’œuvre cache l’homme comme parfois aussi l’homme cache l’époque.

Prenons la démarche inverse et faisons connaissance avec quelques contemporains de Bichat dont la carrière put heureusement s’étendre sur de plus longues années.

Avec leur date de naissance, on se rend compte immédiatement de l’extraordinaire densité de grands médecins, tous honorés et passés à la postérité, qui naquirent dans les décennies autour de 1780.

On s’aperçoit aussi que l’essentiel de leur formation fut la tradition familiale, quand ce n’était pas une simple formation « sur le tas » ; formation il est vrai facilitée par les exigences de l’époque, celles des guerres de la Révolution et de l’Empire.

Retenons dans l’ordre chronologique quelques noms :

1766Larrey – Fils d’un cordonnier, le jeune aide-major de l’Armée du Rhin en 1792 devient le chirurgien de la Garde Impériale et de la Grande Armée qu’il suivra du camp de Boulogne à Waterloo.

1771Itard – Il a gravi aussi les échelons : officier de santé, puis chirurgien de 3ème classe et de 2ème.…, Son nom est attaché à son action dans l’affaire du « Sauvage de l’Aveyron ».

1772Broussais – D’une famille de médecins, de pharmaciens, il est le fils d’un officier de santé, chirurgien à bord de vaisseaux de la compagnie des Indes. La nature de sa carrière est donc toute tracée, sa qualité aussi, peut-être..? Il était à Austerlitz le 2 décembre 1805 avec Larrey.

1777 – Dupuytren – Avec le baron Dupuytren nous entrons dans le « petit côté » de la médecine quand l’amicale émulation fait place à la tatillonne rivalité. Mais cela ne retire rien à la qualité de son œuvre.

1778Bretonneau – Pierre appartient à la neuvième génération d’une famille qui se consacre depuis le XVIème siècle à l’art de la guerre. Donnons-nous le temps d’un petit sourire pour sa vie sentimentale. Il épouse à vingt-trois ans une femme de quarante-six ans, mais il se remarie à soixante-dix-huit ans avec une jeune fille de dix-neuf… Cela ne l’empêche pas d’avoir des vues prophétiques qui annonçaient Pasteur : « Un germe spécial propre à chaque contagion donne naissance à chaque maladie contagieuse ; les fléaux épidémiques ne sont engendrés, disséminés que par leur germe reproducteur ».

1781Laënnec – Ce n’est pas son père qui fut docteur, mais son oncle, véritable père spirituel et directeur de conscience de celui qui atteindrait la célébrité avec son ouvrage « L’auscultation mentale ». Un autre nom revient dans sa carrière, celui de Corvisart qui l’avait initié aux travaux sur l’auscultation.

1783Magendie – Il sera le maître de Claude Bernard, mais à ses débuts, fils de chirurgien puis apprenti-chirurgien, puis interne et aide-anatomiste, il sera promu docteur à vingt-six ans.

Tous ces docteurs, avec Bichat, et d’autres aussi, avec leur personnalité, leurs recherches, leur émulation, ont donné au début du XIXème siècle l’élan qui devait aboutir en fin de siècle, au rayonnement de Pasteur, de ses disciples, Roux, Calmette et de toute l’équipe des pastoriens.

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