Thèmes: Médecine, Société Conférence du mardi 5 novembre 2024
Par Madame Marie-Alix DES COURTILS, naturopathe, éducatrice de santé, DEA en Biologie.
INTRODUCTION
Depuis des millénaires les épices et les aromates ont joué un rôle important aussi bien dans notre alimentation que dans l’économie. Tous les grands empires ont contrôlé la route des épices : la Chine, la Perse, Rome et plus récemment les puissances coloniales européennes (Portugal, Espagne, France et Grande-Bretagne). De nos jours, l’Inde est le premier producteur d’épices du monde.
En France au cours des dernières années, la consommation d’épices et d’herbes aromatiques a augmenté de 30%, cela est dû à la végétalisation de notre alimentation et aussi à son internationalisation notamment l’engouement pour la cuisine asiatique. Les épices et les herbes aromatiques n’étant pas caloriques et nous apportant des bienfaits (vitamines, oligo-éléments, etc.) ce sont des aliments intéressants pour notre alimentation.
I Définitions : condiments, herbes aromatiques et épices.
Les condiments sont des produits alimentaires qui servent à assaisonner les plats. Ils peuvent être d’origine végétale, minérale ou animale comme la mayonnaise qui contient de l’œuf. Ce sont souvent des préparations élaborées à partir d’un mélange d’épices, d’aromates ou d’herbes.
Les herbes aromatiques sont des substances végétales naturelles dont on utilise les feuilles ou la totalité : feuilles et tiges. Elles ont une saveur plutôt douce.
Les épices quant à elles sont des produits végétaux (feuilles, fleurs, racines, gousses, rhizomes ou graines) utilisés sous forme de poudre, séchés ou frais.
Le mot « épice » vient du latin species qui signifiait denrée, drogue. Leur goût est puissant voire parfois piquant. On utilise les épices essentiellement dans les plats salés bien que parfois elles soient associées à du sucré (chocolat au piment d’Espelette par exemple). Par ailleurs, les épices sont aussi utilisées dans d’autres domaines que la cuisine. Ainsi on les utilise pour la teinture des tissus, en pharmacie ou en cosmétique.
II Histoire des épices et des aromates.
L’intérêt de l’Homme pour les assaisonnements commence à la Préhistoire avec la consommation de viandes et poissons cuits ce qui leur enlève du goût. L’Homme s’ouvre à de nouveaux végétaux et commence à utiliser le sel.
A partir de l’époque hellénistique, les épices et les condiments prennent un tel essor qu’ils deviennent une valeur marchande essentielle et certaines épices valent plus que l’or. Elles servent parfois de monnaie d’échange. Certaines herbes aromatiques sont si prisées qu’elles ont disparu. C’est le cas du silphium qui poussait à l’état sauvage en Syrie actuelle. Les Grecs et plus tard les Romains lui prêtaient de telles vertus qu’il a été surexploité et a fini par disparaître.
Grâce à Alexandre le Grand et ses conquêtes vers l’Orient, certaines épices sont arrivées en Occident notamment le poivre qui garde une place de choix dans la gastronomie jusqu’à nos jours. Les Romains seront de grands importateurs d’épices grâce à leur présence au Proche-Orient. Ainsi, le célèbre auteur latin Pline nous parle du poivre comme monnaie d’échange. La gastronomie romaine est friande d’assaisonnements comme le prouve la grande consommation de garum.
Après l’effondrement de l’Empire romain, les Arabes contrôlent les routes commerciales entre l’Orient et l’Occident et apportent les épices dans les grands ports de Méditerranée (Alexandrie, Constantinople etc.). Au bas Moyen-Age, les Vénitiens qui sont de grands marchands importent des épices mais en petites quantités ce qui les rend extrêmement chères et donc réservées à l’aristocratie et quelques privilégiés.
Au XVe siècle les navigateurs portugais vont ouvrir de nouvelles routes des épices en réussissant à contourner l’Afrique. Ils installent des comptoirs commerciaux en Inde et dans les Moluques (Indonésie actuelle) et diffusent en plus grande quantité des épices comme le poivre, la noix de muscade, les clous de girofle ou la cannelle. La route de la soie n’est plus le seul acheminement des épices. A la suite des Portugais, de grands navigateurs vont contribuer à la diffusion des épices. Ainsi, Christophe Colomb en découvrant l’Amérique permettra l’arrivée en Europe de nouvelles plantes (canne à sucre, cacao), Fernand de Magellan en réussissant à faire le tour de la Terre par l’Ouest ouvre une nouvelle route maritime. Le commerce des épices est si prospère que rapidement la Hollande, la Grande-Bretagne et la France créent des compagnies (cf. Compagnie des Indes Orientales) et se lancent dans le commerce des épices rompant le monopole des Portugais et des Espagnols.
Les herbes aromatiques sont déjà connues 4000 ans avant notre ère. Elles étaient souvent associées à des rites religieux ou utilisées comme remèdes car beaucoup moins onéreuses que les épices. Un des premiers témoignages écrits faisant référence aux plantes aromatiques est le Capitulaire de Villis de Charlemagne (812) dans lequel l’Empereur recommande la culture de plusieurs plantes potagères dont un certain nombre d’herbes aromatiques telles que l’ail, le cerfeuil, la menthe ou le romarin. Au Moyen-Age, les monastères seront des lieux importants pour la culture de nombreuses herbes aromatiques que l’on utilise souvent à des fins thérapeutiques comme le montrent les écrits de Hildegarde de Bingen (1098-1179) qui indique dans son ouvrage Physica de nombreux remèdes obtenus à partir de chaque plante.
Les aristocrates anglais plantent eux aussi de nombreuses espèces de plantes aromatiques dans les jardins de leur manoir afin de créer des cosmétiques ou de les utiliser pour chasser les mauvaises odeurs. Enfin on peut mentionner La Quintinie (1626-1688), agronome français passionné de potagers qui créa le Potager du Roi à Versailles qui fournissait le roi Soleil en une grande diversité de fruits, légumes et plantes aromatiques.
De nos jours, en dépit de nouvelles techniques agricoles, les serres notamment, le commerce d’épices et d’herbes aromatiques reste important car ces plantes ne poussent pas toutes sous les mêmes climats. Ainsi, dans l’hémisphère Nord on trouve la ciboulette, l’estragon, l’oseille, le persil ou le romarin alors que sur le pourtour méditerranéen on trouve l’aneth, le cumin, le thym ou le safran et qu’enfin dans la zone équatoriale poussent la cannelle, la cardamome, le clou de girofle, le poivre ou le gingembre, pour ne citer que quelques exemples.
III Histoire d’odorat et de goût.
Selon Jean Anthelme Brillat-Savarin, philosophe du goût du début du XIXe siècle L’odorat et le goût ne forment qu’un seul sens, dont la bouche est le laboratoire et le nez la cheminée ou, pour parler plus exactement, dont l’un sert à la dégustation des corps tactiles, et l’autre à la dégustation des gaz.
L’odeur est d’autant plus importante pour apprécier la saveur que notre cerveau mémorise facilement les odeurs. Suite à la pandémie de Covid-19, certaines personnes, dans les cas les plus extrêmes, ont quasiment cessé de s’alimenter car elles ne percevaient plus les odeurs et par conséquent les saveurs.
IV Atouts santé des épices et des herbes aromatiques.
Les épices et les herbes aromatiques permettent d’exalter le goût des aliments et permettent donc de diminuer l’apport de sel, de sucre et de graisse dans l’alimentation. Ces trois derniers éléments étant nocifs pour l’hypertension, la rétention d’eau, le diabète et le cholestérol notamment, une consommation régulière d’épices et d’herbes aromatiques permet de lutter contre ces problèmes de santé. Par ailleurs, les épices et les herbes aromatiques apportent des antioxydants (polyphénols, caroténoïdes), des vitamines (provitamine A, vitamines B et C) et des minéraux (potassium, phosphore, calcium, magnésium etc.).
On classe les épices et les herbes aromatiques dans diverses catégories selon leurs bienfaits :
– les anti-inflammatoires et antioxydantes (cannelle, clou de girofle, céleri, curcuma, fenugrec, gingembre, sauge, safran, thym, mélisse).
– les antispasmodiques (ail, cannelle, mélisse, muscade, safran, sauge, thym).
– les diurétiques (céleri, estragon, persil, romarin, thym).
– les digestives et carminatives (fenouil, coriandre, cumin, gingembre, mélisse, muscade et nigelle).
– les cholagogues et cholérétiques (fenugrec, romarin, mélisse, muscade, thym)
– les hypoglycémiantes (cannelle, fenugrec)
– les antiseptiques (ail, cannelle, clou de girofle, coriandre, curcuma, gingembre, thym, origan, mélisse).
– les immunostimulantes (ail, nigelle, persil, romarin, safran, thym)
– les mucolytiques (laurier, origan, thym)
– les tonifiantes (cannelle, coriandre, fenugrec, gingembre).
– les prébiotiques (ail, cannelle, coriandre, gingembre).
– les sédatives (mélisse, menthe poivrée, safran).
V Utilisation des épices et des herbes aromatiques.
Les épices et les herbes aromatiques peuvent être fraîches ou sèches, entières ou en poudre et peuvent être utilisées pour des tisanes, associées à de l’huile ou sous forme d’huiles essentielles.
Nous pouvons énumérer les bienfaits de certaines et comment les consommer afin d’en tirer le plus de bénéfices.
L’ail est un antiseptique et un prébiotique qui contient de la vitamine C, de la provitamine A et des minéraux. Il est excellent pour la santé cardio-vasculaire surtout quand il est consommé cru.
La cannelle est un antispasmodique pouvant stimuler les sécrétions digestives et un hypoglycémiant. Il est source de fibres, de sélénium, de zinc et de fer. C’est un tonique de nature chaude que l’on consomme en poudre ou en bâton dans des préparations salées ou sucrées.
Le clou de girofle est un antioxydant, un anti-inflammatoire, un antiseptique et un analgésique, qui contient du fer, du zinc et de la provitamine A. On consomme les boutons floraux dans les eaux de cuisson ou les boissons chaudes.
Le curcuma apporte de la vitamine C, B et E ainsi que du manganèse. C’est un antioxydant et un antiseptique excellent pour la santé cardiovasculaire, les muqueuses digestives et les articulations. Il est consommé sous forme de lait d’or, dans les jus de légumes, les huiles aromatiques et il est une des épices qui composent le curry.
Le fenugrec contient du fer, des fibres et des vitamines du groupe B. C’est un hypoglycémiant et un anti-inflammatoire, protecteur du foie et du cœur. On consomme ses graines surtout en bouillon.
Le gingembre est riche en manganèse et vitamines du groupe B. C’est un anti-inflammatoire et un antalgique ainsi qu’un stimulant digestif. C’est un tonique de nature chaude. On consomme ce rhizome râpé, cru ou cuit.
La mélisse nous apporte du calcium, du phosphore, des vitamines A et C. C’est un stimulant digestif, un anti-inflammatoire et un antiseptique. Elle agit aussi pour apaiser le système nerveux. On consomme ses feuilles fraîches, crues dans les salades de fruits ou les jus de fruits ainsi que dans les tisanes.
Le safran apporte du manganèse, des vitamines C, A et E et il a des propriétés antioxydantes, antispasmodiques et sédatives. On consomme le pistil du crocus cru ou en tisane.
Le thym contient des minéraux et des vitamines du groupe B, A et C et c’est un antioxydant, un antiseptique respiratoire, intestinal et urinaire, ainsi qu’un expectorant stimulant. On consomme ses feuilles en tisanes.
CONCLUSION
Les épices et les herbes aromatiques sont utilisées par l’Homme depuis des millénaires et leur commerce à engendrer de grandes richesses. Leur bienfait pour la santé n’est plus à démontrer bien qu’il faille faire attention lorsqu’on les utilise sous forme d’huile essentielle car la concentration en molécules actives est extrême.
De nos jours, la consommation d’épices ne fait que croître et même si l’Asie reste la première zone de production mondiale, de nombreux pays d’Amérique Latine et d’Afrique exportent de grandes quantités d’épices.
+ de 1050 textes des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches et via le QRCode