REGARDS CROISES SUR LES MONUMENTS AUX MORTS DE PARIS ET DE PROVINCE

Thèmes: Histoire – Société                                                                                                                     Conférence du mardi 16 novembre 2021

REGARDS CROISES SUR LES MONUMENTS AUX MORTS DE PARIS ET DE PROVINCE

 Par Michel PASSALACQUA, président de la Société d’histoire et d’archéologie Paris Ier et IIe

    Introduction

Le 11-Novembre célèbre la victoire de la France et de ses alliés. Elle est autant glorieuse que catastrophique car le coût humain n’a jamais été aussi élevé dans son histoire : environ 1 400 00 soldats morts sur les champs de bataille auxquels s’ajoutent quelque 300 000 civils, des milliers de blessés, mutilés sans compter les veuves et les orphelins. Cette hémorragie a amputé la France d’une partie de ses forces vives. Pour que ce sacrifice sans pareil ne fût pas oublié, les familles endeuillées et les multiples sociétés d’anciens combattants ont voulu offrir un lieu e recueillement symbolique et confié au marbre ou au bronze le soin de conserver à jamais les noms des morts pour la France. Elles ont demandé aux autorités communales l’érection de monuments aux morts.

Cette démarche n’était pas dans la tradition française qui privilégie les statues à l’effigie de tel ou tel célèbre militaire, mais pas question de célébrer les sans-grades. C’est pourtant ce qui s’est produit dès la fin de la Grande guerre. La France a été prise d’une fièvre commémorative et s’est couverte de milliers de monuments aux morts. Entre 1918 et 1925, on en compte environ 30 000. Pratiquement il n’y a pas de commune sans son monument. À Paris il y en a quelque 350, et c’est l’Église qui montra l’exemple dès 1915. Cette frénésie est le thème du roman de Pierre Lemaître Au-revoir là-haut.

Le texte suivant rend compte de cet art funéraire en présentant d’abord les étapes préparatoires à l’érection d’un monument aux morts, puis en comparant les épitaphes et la présentation des listes des noms. Il se termine par l’analyse des fonctions d’un monument aux morts qui n’est pas une simple statue.

 1 – Les étapes préparatoires

        Les communes ne sont pas tenues légalement à ériger un monument aux morts. C’est du ressort du conseil municipal d’en décider à la demande d’administrés qui en expriment le souhait et qui créent un comité ad hoc. Le conseil entend ses projets et donne suite ou les refuse. Le dossier doit recevoir l’aval du préfet en dernier lieu. La question du financement est primordiale après étude des devis.

1a – le financement

Il ne suffit pas de donner une réponse favorable au projet, encore faut-il pouvoir le financer. La commune peut participer à la hauteur de ses moyens et compléter le reste de plusieurs façons : elle autorise des quêtes publiques ; elle ouvre une souscription, elle organise des fêtes ou des foires au profit du monument à venir, elle peut même emprunter. L’État par la loi du 25 octobre 1919 favorise cet élan populaire. Il accorde « des subventions aux communes en proportion de l’effort qu’elles feront en vue de glorifier les héros morts pour la patrie ».

La loi de finance de juillet 1920 établit le barème de ces attributions. Il dépend du nombre de morts par rapport à la population de 1914 de chaque commune et de son budget. Jean Anglade dans son roman Un front de marbre imagine le maire d’une commune dont le nombre de morts s’élève à sept, largement insuffisant pour bénéficier du moindre centime de la part du sous-préfet. Le département peut aussi accorder une subvention. Des participations autres que financières existent : une cession de terrain pour installer le monument, la mise gracieuse à la disposition de la commune de matériaux, de moyens de transport et de levage L’ensemble de ces différentes sources permet aux communes de choisir le devis le plus approprié à leur budget.

   1b – le choix de l’entreprise, de l’artiste et de la typologie

Le comité peut soumettre un thème déterminé à un concours ou bien passer directement commande à une fonderie ou marbrerie. Tout dépend de ses ressources financières. Une œuvre originale coûte beaucoup plus cher qu’une œuvre de série. Rien de comparable entre le récent mémorial de la ville de Paris apposé au Père-La Chaise et un obélisque classique surmonté d’un coq qui se voit souvent dans les villages.

Des entreprises se sont spécialisées dans la production de l’art funéraire dont l’âge d’or a suivi la fin de la guerre. Les fonderies du Val d’Osne avaient un hall d’exposition, et éditait un catalogue, comme les marbreries Gourdon ou les établissements Durenne : respectivement le Poilu sentinelle d’Édouard Pourchet, le Poilu victorieux d’Eugène Bénet, le Poilu mourant de Jules Déchin. Ces modèles se retrouvent dans toute la France à des centaines d’exemplaires.

À côté de ces œuvres sérielles, il existe des œuvres originales, telles le bouclier de Landowski à la mairie du 16e, l’imposant monument de la ville de Thiers avec Vercingétorix remontant le moral à un Poilu, ou celui de Vichy reproduisant un attaque. Si on reconnaît Vercingétorix, le visage du soldat est celui de personne en particulier. C’est une des différences entre la statuaire d’avant-guerre à l’effigie d’un militaire célèbre et celle d’après-guerre.

Le conseil municipal choisit le modèle et le décor en rapport avec ses moyens La typologie et les épitaphes des monuments sont révélatrices des tendances politiques du conseil municipal, voire religieuses, bien que les monuments aux morts soient en général des œuvres laïques. Il est des Poilus prêts au combat, fusil à la main se précipitant vers l’ennemi, ou lançant une grenade, d’autres l’attendent de pied ferme l’arme au pied, enterrent l’un des leurs ou se recueillent sur la tombe d’un compagnon mort. Les femmes sont présentes avec Marianne, Jeanne d’Arc, la Vierge qui les reçoit. Les veuves accompagnées de leurs enfants et les mères qui ont perdu le leur sont aussi présentes dans les groupes funéraires. Elles n’ont plus que les yeux pour pleurer ou le poing pour réclamer vengeance (monument de Péronne)

Un décor permanent souvent sobre, s’ajoute à la statuaire : la palme qui symbolise aussi bien la victoire que le martyre, avec une couronne de lauriers et de chêne. Des médailles militaires, des épées, des casques et des masques à gaz peuvent s’ajouter à la croix de guerre omniprésente avec parfois la croix chrétienne. Un coq, une urne funéraire se trouvent au sommet de certains monuments.

Les gerbes, couronnes et drapeaux forment un décor temporaire mis en place lors des cérémonies. Une grille, une chaîne ou une bordure végétale scandée par quatre obus ou mortiers, marque les limites à ne pas franchir.

1c – L’emplacement et l’inauguration

        L’emplacement fait partie de délibérations et parfois de vives querelles. Deux critères s’imposent : un endroit-souvent à ciel ouvert- et une grande visibilité. Le monument se situe devant ou dans la mairie, sur le parvis d’une église ou à son chevet, au centre d’une place publique fréquentée, à un carrefour ou dans un cimetière. Il en existe aussi dans les églises, des vitraux avec des stèles portant les noms des paroissiens, dans les établissements scolaires et au sein de certaines entreprises comme la RATP, la SNCF ou la Comédie-Française. Le monument achevé est remis symboliquement à la commune lors de l’inauguration par le préfet ou le maire. Il devient un lieu de recueillement officiel.

2 – Les inscriptions

        Il y a beaucoup à lire sur un monument aux morts : épitaphes et listes des morts pour la France présentées de multiples façons.

« À la gloire des enfants d’Arlanc, morts pour la France », « À la mémoire de nos glorieux combattants », Ce sont des formules de reconnaissance lapidaires, répétitives et consensuelles. D’autres sont inattendues comme celle de Barbizon : « Honneur à nos héros de 1914-1918 dignes fils des Gaulois ». Des citations s’ajoutent parfois et les rendent plus originales. Sur le nouveau mémorial de Paris on peut lire ces vers d’Apollinaire :

« Qui saura jamais que de fois j’ai pleuré

Ma génération sur ton trépas sacré ».

Le début du poème de Victor Hugo, tiré du Chant du crépuscule (1835) est souvent reproduit :

« Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie

Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie ».

L’épitaphe de la mairie du 14e de Paris est remarquable :

« C’est du dernier souffle de nos héros qu’est fait le souffle immortel de la patrie ».

D’autres sont violemment contestataires, pacifistes et antimilitaristes :

« Guerre à la guerre »

« Apprenons à supprimer la guerre »

« Maudite soit la guerre et ses auteurs », St-Martin d’Estréaux (Loire)

Cette épitaphe est précédée d’un réquisitoire contre la guerre, le bilan humain et un programme pédagogique pour éradiquer la guerre est inscrit sur les quatre faces du piédestal.

L’originalité des monuments de la Grande Guerre est de présenter la liste des soldats morts pour la France, qui est une mention officielle. L’ordre de présentation est variable. L’ordre alphabétique (patronyme suivi du prénom, parfois précédé de l’initiale du prénom) et par années simplifie la recherche d’un nom tandis que l’ordre chronologique des dates de décès la complique. Plus rarement l’ordre hiérarchique des grades s’impose et les officiers supérieurs arrivent en haut de la stèle laissant le bas aux sergents et caporaux comme à Montbrison (Loire).

D’autres renseignements s’ajoutent sur une même ligne : l’âge, la date et le lieu du décès, la classe d’âge, le grade, les médailles et la commune d’origine. On trouve aussi des photos sépia sur des médaillons en émail blanc qui arrachent au passé le visage d’un militaire mort pour la patrie. Il n’est pas rare dans les villages de lire le même nom jusqu’à six ou sept fois répétés. Des listes supplémentaires avec les noms des soldats, maquisards et prisonniers morts lors de la guerre de 1939-1945 et des opérations extérieures viennent rejoindre les précédents.

Enfin signalons la disparité entre les listes des différents monuments aux morts : celle de la commune, celle à l’intérieur de l’église et celle du Livre d’Or qui existe dans la plupart des communes. Le décompte varie par erreur et surtout par manque d’information.

3 – Les fonctions d’un monument aux morts

        Les vers cités précédemment de Victor Hugo aux morts d’une commune annoncent la fonction essentielle du monument aux morts : c’est un lieu de recueillement pour tous, en particulier après-guerre pour les familles éloignées des cimetières militaires ou qui n’ont aucune tombe où se recueillir. Pourtant un monument aux morts n’est ni une tombe, ni un cénotaphe, ni un tombeau mais les trois à la fois ; C’est un symbole portant tous les noms des morts d’une commune réunis en une seule liste, comme s’il s’agissait des membres d’une seule famille.

À dates fixes, le public est invité à assister aux cérémonies officielles qui s’y déroulent : le 19 mars (fin de la guerre d’Algérie) le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre. Le cérémonial est le même dans tout le pays organisé par le maire :

Présence des anciens combattants, parfois de militaires, des autorités municipales, des pompiers, de la population et des élèves des écoles :

  • la sonnerie aux morts, le salut des drapeaux aux morts. La Patrie leur rend hommage.
  • le dépôt de gerbes*
  • l’allocution du maire

Un vin d’honneur est offert aux participants

      Conclusion

Les monuments aux morts sont une réponse à une demande légitime des familles et des associations d’anciens combattants. Ils constituent un conservatoire de tous les morts pour la France depuis plus d’un siècle, un musée d’art funéraire en plein air éparpillé sur tout le territoire. Ils constituent aussi un livre d’histoire en pierre et en métal qui raconte les épisodes de la guerre en compagnie de ceux qui y ont perdu la vie. Les monuments aux morts sont des œuvres d’art matérielles qui honorent, conservent et transmettent la mémoire immatérielle des Poilus morts pour la France.

 

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