Thèmes : Sciences Mardi 28 février 2017
LE NOIR… UNE COULEUR ?
Par Claude DARRAS – Vice président du CDI
Il y a plusieurs manières d’aborder la notion du noir. On peut l’étudier selon les points de vue physiques, physiologiques, techniques, sociaux, artistiques…Depuis des millénaires les savants hésitent entre deux définitions : « C’est l’aspect des ténèbres ». Le noir étant 0%, le blanc 100% de lumière. Ou bien « C’est l’absence de couleur » ? D’où l’ambiguïté du problème.
Jusqu’au XVIII° siècle la question était rarement débattue car on conservait la classification de Platon pour qui il y avait sept couleurs : noir, violet, bleu, vert, rouge, jaune et blanc. Depuis Newton on prend comme couleurs de base celles de l’arc-en-ciel : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orange et rouge. Le noir et le blanc ont disparu ! Dire que celles-ci ne sont pas des couleurs semble pourtant échapper au bon sens. C’est parce que, lorsqu’on parle de couleurs, on oublie toujours de préciser si l’on parle de pigments ou de lumière, car s’il existe bien de la peinture noire, il n’y a pas de lumière noire. Celle qu’on appelle ainsi est en fait une émission de rayons ultra-violets.
Les définitions proposées aujourd’hui ne prennent pas parti et évoquent les deux notions. Ainsi le Dictionnaire de l’Académie Française de 1837 nous disait que le noir est « la couleur la plus obscure, la plus opposée au blanc. » et pour le Petit Larousse le noir c’est « le caractère d’absence complète de lumière, de couleurs ».
Une surface qui parait noire prive l’œil de lumière parce qu’elle absorbe tous les rayonnements qui la frappent. En réalité on ne peut obtenir un noir absolu. Une surface qui nous parait très noire reflète quand même environ 5% de lumière. Avec les nanotechnologies on arrive à des absorptions de 99,5%. Il existe cependant des véritables pièges à lumière : la pupille de l’œil ou les ailes de certains papillons. Selon les moyens employés pour obtenir une surface noire, les aspects peuvent être très différents en fonction du support et du produit telle l’encre ou la peinture…. C’est pourquoi les romains avaient deux mots pour exprimer le noir : ater, un noir mat, triste, inquiétant et niger, un noir brillant, valorisant.
Quand on aborde ce sujet, on nous demande souvent : « Comment l’œil voit-il le noir ? » Question physiologiquement absurde puisque les cellules de l’œil ne sont pas stimulées, donc le noir est invisible ! Seuls les objets qui émettent ou réfléchissent de la lumière nous sont donnés à voir. Pourtant, tous les jours nous « voyons » des objets ou des signes noirs…Cela parait un paradoxe parce que la question est mal posée. Il faut dire : « comment le cerveau peut-il déceler le noir donc le percevoir ?».
Le savant Hering, en 1875, a bien expliqué le dilemme : le blanc est une sensation lumineuse donc objective et le noir une sensation visuelle donc subjective. L’œil optiquement ne voit pas le noir, c’est le cerveau qui l’identifie. L’œil ne voit que les contours d’une surface noire et c’est ce qui permet au cerveau d’en déduire la forme. On serait amené à dire : « Le noir, c’est une idée ! »
Le noir depuis très longtemps fait partie de notre culture graphique, dessin ou écriture. On le trouve déjà dans les images rupestres de Lascaux ou dans les manuscrits de la Mer Morte. En imprimerie, depuis Gutenberg c’est la couleur la plus utilisée, symbole de la clarté ce qui nous fait dire à propos de quelque chose évidente « C’est noir sur blanc ». L’inverse, un texte imprimé en blanc sur noir, est moins aisé à lire. Hélas, certaines revues en abusent.
En cosmologie, on a découvert les trous noirs. Une région de l’espace dont le champ de gravitation est si puissant que toute matière ou onde qui s’approche de lui est attiré et ne peut en sortir. On évoque aussi la matière noire dont la présence expliquerait l’organisation du cosmos. Ce n’est sans doute pas une matière et on la dit noire parce que mystérieuse. En fait cette énergie sombre n’est encore considérée par certains comme une hypothèse
Le noir a souvent symbolisé la tristesse et la mort. Anubis le Dieu funéraire des Egyptiens était représenté en noir. Jusqu’au XV° siècle les vêtements n’étaient presque jamais en noir. Sous l’influence de Calvin, pour qui les habits en couleurs étaient sataniques, le noir s’imposa. Par exemple, Charles-Quint est toujours représenté en noir. Auparavant aucun roi n’aurait accepté un tel accoutrement !
Depuis bientôt un siècle pour participer à une réception importante les hommes mettent un smoking ou un habit noir. Dès les années trente les tenues féminines, pour des soirées, sont souvent devenues noires. Au XIX° siècle on n’aurait jamais fait une publicité pour une « petite robe en noir », le noir était seulement la couleur des veuves. Maintenant, quand on regarde un rassemblement de nombreuses personnes on constate qu’il est « noir de monde ». Ce n’est que dans les pays occidentaux qu’un vêtement noir est devenu banal et les gens ne se posent pas de question sur sa signification symbolique et encore moins de savoir si c’est une couleur.