MATIÈRE, ANTIMATIÈRE : DES JUMELLES ENNEMIES ?

Thèmes: Sciences                                                                                                                             Conférence du mardi 1er octobre 2019.

MATIÈRE, ANTIMATIÈRE : DES JUMELLES ENNEMIES ?

Par Madame Catherine THIBAULT, Directrice honoraire de recherche au CNRS.

INTRODUCTION

La matière a été explorée jusqu’à ses constituants les plus « élémentaires ». Et on verra que l’antimatière, quant à elle, est à la fois sa jumelle et son ennemie.

I – Qu’est-ce-que la matière ?

La matière se compose de molécules qui elles-mêmes se composent d’atomes. L’atome est constitué d’un noyau composé de protons chargés positivement, et de neutrons sans charge, entouré par des électrons chargés négativement, en nombre égal aux protons. Le nombre d’électrons (et donc de protons) détermine les propriétés chimiques de l’atome.

Un élément chimique peut avoir plusieurs isotopes qui ne différent que par le nombre de neutrons.

Le proton et le neutron sont constitués de trois quarks par combinaison des « up » de charge électrique + 2/3 et des « down » de charge -1/3. Les autres composants élémentaires sont les «leptons» : l’électron (charge -1) et le neutrino (charge 0). Toute la matière est construite avec ces particules dites « élémentaires ». Les particules élémentaires interagissent entre elles en échangeant des « bosons » : photons pour l’interaction électromagnétique, gluons pour l’interaction forte, ,  et  pour l’interaction faible.

II – Découverte de l’antimatière.

Fin XIXème, début XXème, la description du comportement des électrons a beaucoup progressé : Electromagnétisme de James Maxwell (1864), Relativité restreinte d’Albert Einstein (1905), Mécanique quantique d’Erwin Schrödinger (1926), et enfin et surtout équation de Paul Dirac pour tout combiner (1929). Mais cette équation a deux solutions, et, en 1930, Dirac, pour interpréter la 2ème solution, imagine l’existence d’un antiélectron, particule jumelle de l’électron, mais de charge positive.

Et, miracle ! dès 1932, un électron chargé positivement, antiparticule de l’électron : le « positon » est observé par Carl David Anderson dans les rayons cosmiques qu’il étudiait avec une chambre de Wilson.

On avance alors l’hypothèse d’antiprotons et d’antineutrons qui auraient la même masse que protons et neutrons. Et on essaie de les fabriquer : grâce à la formule d’Einstein E=Mc² (E énergie, M masse et c vitesse de la lumière), on peut transformer de l’énergie E en masse M. Mais cette masse est constituée d’exactement autant de matière que d’antimatière. En créant des collisions, de l’énergie cinétique est libérée qui va pouvoir se transformer en masse. Mais l’antiproton ayant une masse de 1 GeV* (2000 fois supérieure à celle du positon), sa création nécessite 2000 fois plus d’énergie. Une compétition mondiale acharnée commence alors pour construire des accélérateurs suffisamment puissants. Il faudra plus de 20 ans ! Et l’antiproton est enfin observé en 1955, suivi de près par l’antineutron en 1956.

Ce sont les USA qui ont gagné grâce à l’Université de Berkeley.

III – Que devient l’antimatière ? 

Les jumelles, une particule et son antiparticule, s’annihilent lorsqu’elles se rencontrent. Cette annihilation libère de l’énergie qui sera finalement sous forme de photons gammas. Les masses de la particule et de l’antiparticule sont ainsi totalement transformées en énergie : Mc² = E.

Les réactions chimiques ou nucléaires (fission, fusion) produisent aussi de l’énergie, mais, pour une même masse de départ, l’annihilation produira au moins 1000 fois plus d’énergie. Ce serait un combustible idéal pour des fusées…mais sa production requiert une quantité d’énergie irréalisable.

IV – Un auxiliaire pour les physiciens.

Dans les années 70 ‘, les théoriciens prédisaient l’existence des bosons associés à l’interaction faible avec des masses de 100 GeV. Pour les créer, on disposait déjà de protons accélérés à 300 GeV grâce au synchrotron en anneau appelé SPS au CERN près de Genève. Mais, pour disposer d’une énergie suffisante, du fait des lois de relativité, il fallait provoquer des collisions frontales. Pour cela Carlo Rubbia et Simon Van der Meer ont réussi à injecter des antiprotons dans le SPS : tournant en sens inverse des protons dans le champ magnétique du SPS, ils ont tout naturellement pu entrer en collision avec les protons. Et en 1983 les bosons ,  et  ont été créés et identifiés avec des masses de 90 GeV.

 V – Antimatière, radioactivité, et médecine.

Seules certaines combinaisons des nombres neutrons-protons forment des noyaux stables. Un excès de neutrons les rend radioactifs : ils émettent des électrons.. Et un excès de protons les rend radioactifs émettent alors des positons , donc de l’antimatière…

Grâce aux accélérateurs de particules, nous pouvons fabriquer des atomes radioactifs émetteurs de positons et nous savons que ces positons vont s’annihiler avec les électrons de la matière en produisant de l’énergie sous forme de 2 photons qui partent dos à dos, ce qui va permettre à des détecteurs multiples disposés en anneau autour, de reconstruire le point d’émission.

Ceci est utilisé en médecine dans la TEP (Tomographie par Emission de Positons) !

L’atome radioactif le plus utilisé est le fluor18 dont la demi-vie** est d’environ deux heures. On a donc le temps de l’incorporer dans un glucose qui va être injecté au patient. Le glucose va se fixer sur les cellules avides de sucre, et en particulier sur les cellules cancéreuses : la détection des gammas émis lors des annihilations va permettre de caractériser ces cellules et de les localiser. Pour une image 3D très précise de la tumeur, on combine généralement l’image de la TEP, (ou PET Scan), avec celle de la TomoDensitoMétrie (scanner). Le traitement pourra ainsi être optimisé.

VI – Propriétés de l’antimatière : matière et antimatière sont-elles tout à fait symétriques ?

En physique des particules (dont matière et antimatière), il existe 3 transformations par symétrie :

C : symétrie de Conjugaison de charge c’est-à-dire l’échange entre la particule et l’antiparticule.

P : symétrie de Parité, c’est comme si l’on regardait dans un miroir.

T : symétrie par inversion du Temps, c’est comme si on passait un film à l’envers.

On parle de conservation de C, P, T, ou de leurs combinaisons lorsque leur application conserve toutes les propriétés du système. Si ce n’est pas le cas on parle de violation. La combinaison des trois symétries : « CPT » est considérée comme une loi de conservation fondamentale (théorème d’Emmy Noether en 1918). Jusqu’à présent, en effet, aucune expérience ne l’a contredite. Ainsi, elle prédit l’égalité stricte des demi-vies, des charges et des masses des particules et de leurs antiparticules. Dans le cas des masses une vérification à un miliiardième de milliardième près a même été atteinte.

L’interaction électromagnétique et l’interaction forte conservent C, P, et T indépendamment les unes des autres. Mais l’interaction faible ne conserve ni C, ni P

On a longtemps pensé que la combinaison CP serait conservée, mais un mode de désintégration qui ne respecte pas la conservation de CP a été observé en 1964. Il y a donc violation de CP. De ce fait, pour qu’il y ait conservation de CPT, il faut qu’il y ait violation de T pour compenser celle de CP.

C’est pourquoi une expérience, « CP-LEAR », à laquelle j’ai collaboré, a cherché à observer cette violation de T. Pour cela, on a utilisé la faculté très particulière de certaines particules neutres appelées « kaons » de pouvoir osciller entre les 2 états kaon et antikaon : on a créé des kaons et des antikaons par annihilation proton-antiproton, et on a comparé la probabilité qu’un kaon créé soit un antikaon lors de sa désintégration à celle du phénomène inverse. Une asymétrie de 6,6/1000 a été observée en faveur des kaons, donc de la matière.

VII – Où est passée notre antimatière ?

Lors du BigBang, beaucoup d’énergie a été transformée en matière et antimatière en quantités strictement égales. Et lorsque l’’antimatière et la matière entrent en contact, elles s’annihilent mutuellement pour se transformer en énergie. Alors comment se fait-il que notre univers ne comporte plus que de la matière ?

Une des conditions nécessaires avancées, notamment par Andreï Sakharov en 1965, est l’existence d’une asymétrie entre la matière et l’antimatière. La violation de CP et de T en est une, mais elle ne suffit pas, même si on sait que la matière ne représente qu’un milliardième de l’énergie résiduelle du BigBang. La question est donc toujours ouverte…et bien difficile.

VIII – Et la gravité ?

Une autre question ouverte est celle de la gravité : l’antimatière est-elle repoussée par la matière de la terre, ou bien, si elle tombe, est-ce à la même vitesse que la matière ? La difficulté principale est que les forces de gravité étant très faibles, il faut créer et stocker des antiatomes neutres. Le plus simple est l’anti-hydrogène (un antiproton associé à un positon). Au CERN, plusieurs expériences (Alpha G, Aegis et GBar,) se préparent à recueillir des données sur la gravité des anti-hydrogènes à partir de 2020.

CONCLUSION

L’antimatière est bien réelle. On sait la détecter, la créer, l’étudier et l’utiliser. En particulier, la médecine bénéficie de l’apport de l’antimatière dans le diagnostic et le traitement des cancers.

La recherche sur la production et le stockage de l’antimatière neutre évolue rapidement. C’est un des grands enjeux actuels en physique des particules.

*   eV électron-Volt : énergie d’un électron accéléré sous 1 Volt, MeV=1 million eV,  GeV=1 milliard eV

** demi-vie : temps au bout duquel la moitié des atomes radioactifs se sont désintégrés.

 

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