Thème : SCIENCES NATURELLES Mardi 9 décembre 2003
VARIATIONS CLIMATIQUES en Europe Occidentale du Moyen-Age à nos jours
Par Emmanuel LE ROY LADURIE – Professeur au Collège de France. Président de l’Académie des Sciences Morales et Politiques
Etudiant un tronc d’arbre ou fouillant le calendrier des vendanges aux siècles passés, l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, Professeur de l’Académie des Sciences morales et politiques, évoque l’évolution du climat et ses conséquences sur les sociétés agraires du passé.
I – Les Méthodes
L’historien du climat dispose de plusieurs outils pour construire une histoire régressive du climat.
La méthode de la » dendroclimatologie »
Toute coupe transversale effectuée dans le tronc d’un arbre fait apparaître une série d’anneaux concentriques ; chaque anneau représente la croissance annuelle de l’arbre et le décompte de tous les anneaux donne immédiatement l’âge de l’arbre. De plus, chaque anneau a en lui-même sa valeur climatologique. S’il est large, l’année a été favorable à sa croissance. Sinon, il est liséré, mince, voire à peine marqué. En portant sur un graphique la suite des années en abscisse, l’épaisseur des anneaux en ordonnée, on obtient la » courbe de croissance » de l’arbre, courbe dont les fluctuations sont révélatrices des fluctuations météorologiques d’une année sur l’autre.
Afin de construire une histoire régressive des variations climatiques, on associe un certain type de cercle annulaire de l’arbre (tree-ring), plus ou moins épais avec un certain type de météorologie, qui exalte ou freine la croissance de l’arbre. Cette recherche ne peut être réalisée que pour une période récente où l’on dispose de ces éléments et d’observations météorologiques. Toutefois, une fois cette recherche terminée, et les probabilités d’occurrence étant connues, il devient possible d’écrire une histoire régressive et d’éclairer le passé par le présent. A l’aide de ces relations de probabilité, on peut remonter jusqu’aux siècles dépourvus d’observations météorologiques.
Les travaux les plus remarquables portent sur les pins Bristlecone. Grâce à eux, une chronologie de 7 117 années a été bâtie.
Les dates des vendanges
Le Célèbre Sägesignatur, ou » signature en dent de scie « , recouvre un curieux phénomène datant de 1530-1541. Pendant ces 12 années, le tree-ring épais succède au tree-ring mince, en un zigzag caractéristique, dans une alternance biennale. Or, la Sägesignatur apparaît parfaitement sur la courbe des dates de vendange, enregistrées dans les vignobles français les plus proches de l’Allemagne. Aux tree-rings épais correspondent des dates de vendange tardives, symptomatiques de printemps et étés plutôt frais. Au contraire, les tree-rings minces coïncident avec des dates de vendange précoces, qui caractérisent des printemps et des étés chauds et secs.
Ces méthodes révèlent la stabilité générale du climat dans le dernier millénaire depuis 2000 ans au moins: » des poutres coupées il y a 1700 ans ont des anneaux de croissance tout à fait semblables à ceux d’arbre de même espèce vivant actuellement sur les mêmes sites « . Cependant, depuis le Moyen-âge, on observe des événements climatiques exceptionnels.
II – Les événements climatiques exceptionnels depuis le Moyen-âge
En 1420, en pleine Guerre de cent Ans, l’été chaud et sec ruine la récolte de céréales.
En 1438, la France est frappée par la famine de Bruges, pendant laquelle » des enfants en jeune âge sont dévorés par des chiens affamés « . A l’inverse, certaines années sont touchées par des » famines de pluie « , le mauvais temps provoquant la pourriture des récoltes et aussi une mortalité considérable.
Entre 1523 et 1525, les années sèches sont à l’origine de l’une des grandes crises de subsistance du seizième siècle, caractérisées aussi par des incendies importants comme à Troyes, où 1500 maisons furent brûlées. A peine 40 ans plus tard, un anticyclone provoque une forte chaleur estivale sur l’ensemble de l’Europe Occidentale, asséchant les fleuves, faisant reculer les glaciers et transformant le vin en boisson apéritive sucrée. En 1556, des incendies de forêt embrasent la Normandie et les vendanges ont lieu dès le ler septembre.
Cependant, dès 1560, période dite du » petit âge glaciaire maximal « , la température est plus fraîche, comme le témoigne la correspondance de Mme de Sévigné à sa fille pour l’été 1695.
Des épisodes de forte chaleur estivale ont toutefois été constatés en 1636, 1639, 1705, 1706, 1718, 1719 et 1779; les conséquences des étés pluvieux ont été souvent plus graves que les étés chauds pour les populations. Les chaleurs estivales ont entraîné des diminutions du niveau des cours d’eau et leur pollution. Il en est résulté des dysenteries (choléra) qui ont entraîné des morts par centaines de milliers (on est loin du nombre de morts de l’été 2003).
Les variations climatiques brutales ont parfois contribué au déclenchement d’événements historiques. Ainsi, les travaux du chercheur Ernest Labrousse montrent le lien entre les grandes époques de surproduction agricole de 1778-1781 et la crise prérévolutionnaire. De même, le climat de l’année 1788, marqué par l’échaudage des blés, puis un hiver rigoureux et donc de mauvaises récoltes provoquent une hausse des prix agricoles, semblant bien avoir contribué au déclenchement de la Révolution française.
C’est également le climat qui a contribué aux journées révolutionnaires de Prairial en 1794 et aux émeutes à Lyon en 1816.
En 1858-1859, le début de la fonte des glaciers alpins met fin à la période du » petit âge glaciaire « .
De 1904 à 1906, la chaleur des étés provoque une crise de surproduction viticole ; celle-ci occasionne la révolte des vignerons du Midi.
Entre 1950 et 1970, les températures se stabilisent. Depuis, la France a connu une succession de coups de chaleur et de sécheresse en 1976, en 1982-83, en 1987, en 1989, en 1992, en 1994, et l’été dernier 2003.
Quelle est l’incidence du climat sur les rendements agricoles ?
Il semble que les facteurs limitant le rendement varient d’une région à l’autre. En Europe méditerranéenne, il s’agit principalement de la sécheresse. En Europe nordique, c’est au contraire les basses températures qui sont le facteur limitant : une longue séquence d’années défavorables a nui à l’économie agricole. En Europe océanique et tempérée, le principal danger pour les récoltes est la récurrence des années humides.
Les causes du réchauffement climatique récent
Mitchell explique le réchauffement récent par la combinaison de plusieurs facteurs.
A l’accroissement de l’activité superficielle du soleil entre 1925 et 1960, s’ajoute le rôle de l’effet de serre. Depuis le début du siècle, la combustion du charbon a dissipé d’énormes quantités de C02 dans l’atmosphère, contribuant à réchauffer celle-ci. De plus, la relative inactivité des volcans, entre 1890 et 1950, a constitué un facteur supplémentaire d’échauffement climatique.
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